Deuxième journée du procès du meurtre de Djamel Bensmaïl. «Jimmy», comme était surnommé le jeune artiste, a été froidement assassiné le 11 août 2021 à Larbaâ Nath Irathen, wilaya de Tizi Ouzou. Un lynchage populaire de la part d'une foule qui l'accusait d'être derrière les terribles incendies ayant frappé la région, faisant une centaine de morts. 15 mois après ce drame qui a ému toute l'Algérie, le procès s'est ouvert, mardi dernier, au tribunal de Dar El Beïda, dans la banlieue est d'Alger. Une présence policière très importante était déployée devant et à l'intérieur de cette cour de justice. 102 accusés, dont quatre femmes, étaient à la barre. De lourdes charges pèsent contre eux. Il y a des affaires de délits, dont la réception de fonds de l'étranger, dans le cadre d'un groupe ou d'une organisation en vue de commettre des actes attentant à la sécurité de l'Etat, à l'unité et à l'intégrité nationales, jusqu'au meurtre et aux actes terroristes et subversifs contre l'Etat, l'unité nationale. Menottés, ils étaient assis les uns auprès des autres, sur le côté gauche de la salle d'audience. Ceux qui comparaissaient libres, n'avaient pas de menottes. Une confrontation directe Mais tous avaient le visage fermé, en attendant d'être auditionnés par le juge du tribunal pénal de première instance de Dar El Beïda. Ce dernier semble bien décidé à faire toute la lumière sur cette terrible affaire. Maîtrisant parfaitement le dossier, il n'hésitait pas à confronter les accusés devant les preuves, ou même les uns contre les autres, à l'instar du quinquagénaire qui avait été filmé en train de proférer des insultes et menaçant de «faire un barbecue» des responsables des incendies en Kabylie. L'accusé affirme avoir proféré des injures avant de rentrer chez lui, ne sachant pas ce qui s'est passé après, c'est-à-dire qu'il avait profané le corps de la victime. Le juge l'arrête. «Ce n'est pas ce que vous avez dit devant le juge d'instruction», lui lance-t-il. L'accusé réplique à plusieurs reprises: «J'étais en colère, j'étais en colère, je ne sais pas ce qui s'est passé. Je ne connais pas l'identité de la personne qui a essayé de couper la tête du corps de Djamel Bensmaïl», réplique-t-il, tête baissée. Le juge lui rappelle que c'est lui qui avait «identifié» la femme qui incitait la foule à profaner le corps. Il répond: «J'ai juste entendu la voix d'une femme criant: «Adh-bhouh, adh-bhouh (égorgez-le) avant de rentrer chez moi». Le juge appelle alors la femme qui fait partie des accusés et qui avait été entendue la veille. Il confronte les deux témoignages. Celle qui est connue comme «infirmière de Tipaza», assure qu'elle avait appelé les manifestants à l'égorger et à le décapiter, de peur de se faire lyncher à son tour, car «n'étant pas de la région». Elle assure que l'accusé faisait partie des personnes qu'elle appelait à cette profanation. L'accusé esquisse alors un sourire nerveux. Le juge s'énerve. «Je ne suis pas là pour rire. Vous n'étiez pas là-bas? L'homme sur la vidéo ce n'est pas vous? On se trompe tous...?», peste-t-il. La salle se chauffe. Le juge demande le silence avant d'inviter les deux accusés à reprendre leurs places. Ils sont conduits par des policiers qui leur remettent, illico presto, les menottes. L'homme sur le fourgon de police Le magistrat appelle une nouvelle personne à la barre. Il s'agit du dénommé Ahcène, H. Il fait partie des personnes qui sont montées sur le véhicule de police au moment où Djamel est arrivé au commissariat. L'accusé affirme qu'il était au mauvais endroit, au mauvais moment. «Je n'ai rien fait. J'étais venu au commissariat pour déposer plainte après avoir été agressé par les personnes de la Clio Campus blanche », atteste- t-il. Les avocats de la partie civile montrent alors des photos où l'on voit l'accusé sur le fourgon de police, si bien qu'il fini par avouer que sous le coup de l'émotion, il est monté sur le «Vito» dans lequel se trouvait «Jimmy». «On était deux, avec un policier sur le toit de la voiture. Je suis descendu pour voir de plus près ce qui se passait», rapporte-t-il, assurant avoir de suite quitté les lieux du drame. «Je n'ai pas participé au drame et je n'ai à aucun moment été témoin du meurtre», ajoute-t-il avec une petite voix presque inaudible. Cependant, le parquet l'a confronté à ses aveux faits au juge d'instruction où il reconnaissait avoir pris d'assaut le siège de la sécurité urbaine. Avec sans froid, il rétorque: «Ce ne sont pas mes paroles». Le juge lui montre les vidéos qu'il avait envoyées à partir de la scène du crime. Il nie toujours. «Je ne suis pas l'expéditeur, je les ai reçues de personnes que je ne connais pas, vivant dans la région», soutient-il. Le juge lui demande alors de s'asseoir. Un message glacant envoyé à sa femme... Un autre accusé est appelé. Lui aussi est également confronté aux messages qu'il a écrits. Il s'agit de Aziz H. Il a nié sa participation au crime, assurant que sa présence sur les lieux du crime était dû au fait qu'il avait entendu que c'était son frère qui venait d'être tué. «Je me suis même évanoui sur les lieux», atteste t-il. C'est le moment où le juge choisit de sortir une preuve «compromettante». Il s'agit d'un message envoyé à sa femme où il écrit textuellement: «On l'a attrapé, on l'a tué». Ce à quoi l'accusé répond que c'était juste pour l'informer de ce qui venait de se passer. Les auditions se sont poursuivies dans sous le même tempo. De nombreux accusés ont été interrogés sur leur appartenance au groupe terroriste du MAK. Ils ont tous nié avoir un quelconque lien avec le groupe de Ferhat Mehenni, comme ils ont nié leur implication dans le crime. Dans certains cas, les avocats de la partie civile ont sorti des photos pour prouver qu'ils étaient bel et bien présents et très proches des lieux du meurtre. Des débats s'ensuivent avec les avocats de la défense qui demandent que ces photos ne soient pas prises en considération par le parquet, du fait qu'elles viennent d'une vidéo qui sera diffusée à la fin du procès lequel devrait se poursuivre encore durant quelques jours. Les auditions continuaient d'ailleurs, hier, au moment où nous mettions sous presse. Cette deuxième journée aura été particulièrement éprouvante, avec ces témoignages qui nous replongent dans ce terrible mercredi du 11 août 2021...