L'Expression: Vous avez réalisé un documentaire sur le cinéma algérien intitulé «Cilima» en choisissant quatre réalisateurs des quatre coins du pays. Pourriez-vous nous en parler et comment s'est fait le choix? Aïssa Ben Saïd: Le choix a pris presque deux ans. Il y a d'abord Imen Ayadi, auteure du «le vieux Kelbelouz». Elle représentait le Nord / le Centre. Il y a aussi Redouane Beladjila qui représente l'Est.Il est de Constantine. Il a réalisé Tribulation. De l'Ouest, il y a Mohamed Benabdellah qui a fait Je vais tout raconter à Dieu et enfin il y a Oussama Raïa qui est de Ghardaïa, qui représente donc le Sud avec son court métrage El cartable... Chacun est libre et travaille de manière différente et vit une situation différente de l'autre. Il y a celui qui fait tout seul, il y a celui qui a toute une équipe, mais il n'a pas les moyens et il y a celui qui a les moyens et il y a ceux qui font du cinéma dans des petits patelins où il n' y a pas vraiment de public qui suit le cinéma. Tout ca représente mon vécu à travers ces quatre personnages. Ces quatre personnages sont moi en cette période où j'essaye de faire des films en réalisant et en produisant aussi. En tant que réalisateur algérien et producteur, quel regard portez-vous sur le cinéma algérien, selon votre vécu? Je suis passé par étapes. Au début c'était difficile pour moi. aujourd'hui à travers les réseaux, les voyages et les festivals que je fais et où je distribue aussi les courts métrages que je produis, à travers cela je peux dire que j'ai pu atteindre un début de maturité en faisant des choses, en décrochant des prix, en pitchant des projets à l'étranger, dans des grands festivals, en ayant des fonds de l'extérieur et pas en comptant seulement sur le fond du Fdatic qui est gelé pour l'instant. Justement, votre documentaire a été réalisé grâce à l'aide du Fdatic, pourtant, ce dernier n'existe plus aujourd'hui, quel est votre sentiment là-dessus? C'est vrai qu'il est gelé. Il y a moins de productions algériennes à cause de ce Fdatic qui n'existe plus mais entre-temps, je peux vous dire que je suis en train de produire cinq courts métrages documentaires en créant un concept qui s'apelle Dzaïr Docs. Je l'ai créé avec une production française qui s'appelle Chrysalide Diffusion avec ma boîte qui est «la nouvelle vague algérienne». On a pu avoir des fonds de l'Institut français, de l'Onda aussi, on a déjà tourné trois courts métrages, il nous en reste deux. On a commencé la post-production. Il y a toujours une solution. On ne va pas toujours compter sur le fonds du Fdatic et ça je l'ai appris avant la Covid-19. Aujourd'hui, je produis quatre longs métrages qui sont en développement. Ils y en a qui sont prêts à être tournés. Un porte sur les journalistes disparus pendant la décennie noire, un autre long métrage d'animation sur les mariages mineurs. Il y a aussi mon film qui s'appelle Sorry to be there. Il aborde le sujet des victimes des tests nucléaires de la France dans le Sud algérien. Le film est en pré-repérage et en développement. Il me reste encore des repérages à Reggane, à Bruxelles, à Genève et à Paris. Je suis parti récemment à Beyrouth, à Amman, à Sarajevo..Tout cela pour vous dire qu'aujourd'hui on est ouvert sur le monde. il y a beaucoup de fonds qui existent à l'étranger. Il y a aussi le crowdfunding, le sponsoring etc. On peut trouver des solutions. Aujourd'hui j'ai commencé à réfléchir autrement.Je n'aime pas jouer à la victime en disant qu'il n' y a plus de fond donc, il n y a plus de cinéma. C'est faux! Votre film s'ouvre sur un extrait de scène que l'on connaît, celui de la confrontation dans les années 1990 à Bordj Bou Arréridj entre un groupe de cinéastes et l'ex-directeur de la Cinémathèque avec des représentants de la partie civile, de la mairie qui voulait défendre une certaine idée du cinéma basée sur les préceptes religieux de l'islam. Pourquoi cet extrait en début de votre documentaire? Pour moi, c'est à partir de ce moment-là où l'âge d'or du cinéma algérien à commencé à s'éteindre, à se décliner. je voulais ouvrir avec cette séquence qui se passe effectivement à Bordj Bou Arréridj. La commune ferme une salle de cinéma. Les islamistes viennent de gagner les élections électorales et ont commencé à dire que c'est à nous de décider ce que le peuple doit voir ou ne pas voir. J'ai choisi cet extrait car il présageait ce passage d'un monde vers un autre.Aujourd'hui, il y a une vraie volonté de faire changer les choses à travers les jeunes réalisateurs qui veulent travailler, faire des films et qui cherchent une identité cinématographique. C'est cela ce que mon film documentaire essaye de dire. Autrement dit, le cinéma algérien se cherche encore parce qu'il est influencé par le cinéma international? Absolument. Mais je crois que ça va venir, parce qu'il n y a pas seulement que la volonté. Je croise chaque jour, des jeunes cinéastes qui ont des idées extraordinaires et une énergie débordante. C'est vrai qu'il y a un blocus entre l'administration algérienne et les jeunes cinéastes de manière général, mais je reste optimiste. Ça va venir je le sens. Dans votre film vous distillez une seule image sur le Hirak au moment où un jeune réalisateur évoque le mot «Révolution». Est-ce à dire que pour vous la révolution se doit d'être culturelle d'abord? Ce plan aérien était voulu pour dire que voila ca commence! Car le film, je précise, a été tourné entre 2018 et 2020. Le film a vécu le Hirak. J'ai voulu utiliser ce plan pour dire que la révolution culturelle a commencé. C'est vrai que ce n'est pas avec le rythme qu'on souhaite, mais ça vient. Ça se construit et on sent que cela se construit. Votre révolution est culturelle... Bien sûr. Selon moi, chacun fait sa révolution avec les outils qu'il a. Mon outil à moi c'est la caméra, c'est la production, c'est réaliser des films, c'est aider des gens à réaliser leurs films. Ça commence comme ça. Mon arme, c'est ma caméra!