Il est la personnification, au sein de la population française, d'une communauté qui aspire à une vie meilleure. L'énigme Zidane n'a pas cessé d'interroger les consciences européennes engluées dans un matérialisme destructeur des repères identitaires. Ce n'est donc pas un hasard si les analyses les plus pertinentes sont le fait de sensibilités religieuses. Ainsi dans le journal La Croix nous lisons: «Dans sa carrière, Zinedine Zidane a donné des mauvais coups et récolté quelques cartons rouges. Mais le meneur de jeu de l'équipe de France et du Real Madrid laissera surtout le souvenir d'un homme rare et discret, un ambassadeur du beau geste et des causes humanitaires, un fils d'Algérien soucieux des liens familiaux, présenté par certains comme un symbole d'intégration. En somme, un modèle pour beaucoup. C'est la question rituelle qui se pose à l'heure où les grands footballeurs prennent leur retraite. Comment situer Zinédine Zidane par rapport à ses prédécesseurs au panthéon des esthètes du football?» «Il n'a pas la fluidité de Platini ou de Beckenbauer, ni le ‘‘jumping'' de Pelé, estime l'écrivain Denis Tillinac. Mais Zidane, lui, tricote sur trois mètres, dans un petit périmètre, au bord de la rupture, avec un jeu de jambes ahurissant, toujours penché, avec la maîtrise de son corps à la limite du déséquilibre.» Cette maîtrise a aussi marqué un plasticien comme Ernest Pignon-Ernest: «Ce qui m'impressionne chez lui, c'est son appréhension de l'espace, sa compréhension immédiate de ce qui se passe autour de lui. On dit souvent que le dessin est le moyen d'expression directe entre l'esprit et la main. Il me donne la même impression avec ses pieds. Il a la beauté du geste efficace et juste. La beauté plastique de ses mouvements est nourrie de l'idée qu'il y amène et que l'on devine en le regardant. Ses reprises de volée fantastiques dessinent un équilibre parfait entre la tension du corps, la vitesse, la puissance et la précision de la frappe.»(1). Le P. Jean-Yves Baziou, professeur à la Catho de Lille, un théologien qui a travaillé sur la question du sport et du corps, estime que Zinédine Zidane, un sportif de la fraternité, «a symbolisé la rencontre entre plusieurs générations et plusieurs types de populations, le fameux ‘‘black, blanc, beur''. Il a su cristalliser des gens de différentes traditions et convictions ultimes et permettre une communion entre eux. On a justement besoin de personnes capables de fédérer les groupes et les convictions. C'est une réelle urgence.» Le P.Jean-Yves Baziou observe que «des sportifs comme lui peuvent le faire, ils sont même porteurs de cette responsabilité extrêmement précieuse pour la société. On ne peut pas vivre ensemble en jouant sur l'agressivité ou sur la lutte, ou sur l'esprit des clans des supporteurs. Il nous faut cette civilité dont il est porteur, y compris, sur le terrain quand il faut canaliser l'agressivité. Le temps fera la part entre l'image et la réalité mais chaque époque produit ses symboles. Et Zidane correspond à une France qui a bougé prodigieusement en quelques années, il pèse dans le paysage des quartiers, de la coexistence et de l'intégration.» Spécimen rare Il est vrai que la lutte contre la pauvreté et la promotion de la paix dans le monde sont les deux grandes causes dans lesquelles Zinédine Zidane s'est investi au cours de sa carrière. Nommé en mars 2001 ambassadeur itinérant du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), il a, notamment participé à de nombreux matchs caritatifs pour récolter des fonds. Mais c'est surtout au sein de l'Association européenne contre les leucodystrophies (ELA) que «Zizou» s'est engagé de la manière la plus déterminée. Cela fait maintenant six ans que le joueur est le parrain de ELA cette association de Nancy, qui se bat contre de graves maladies génétiques. Zinédine Zidane a deux passions, répètent ceux qui le connaissent : le foot et sa famille. Né dans une famille kabyle, Zinédine n'a jamais oublié les sacrifices que son père Smaïl, modeste veilleur de nuit dans une grande surface à Marseille, a consentis pour l'élever, lui et ses quatre frères et soeurs. Le footballeur est fier de son père, «fier qu'il soit un Algérien», et parle de lui comme «le phare de sa vie». «C'est formidable d'avoir des personnalités de cette nature pour porter des valeurs et des repères aussi forts. Compte tenu de l'impact de Zinédine Zidane sur la jeunesse, qu'il porte ces valeurs en toute simplicité et vérité, c'est assez extraordinaire.»(1). Zidane est peut-être le dernier représentant d'une force morale en Europe livrée à la luxure et la permissivité, une Europe où on peut tout insulter sauf la shoah, on peut insulter le Prophète, le Christ sans enquérir les foudres. Sauf en cas d'atteinte au sacré ; Faurisson l'a encore une fois appris à ses dépens. Ce qu'à fait Zidane est un acte qui honore encore la dignité humaine, la dignité de la filiation. Il faut peut-être dire à Blatter au lieu d'engranger des bénéfices qui ont dénaturé totalement la face du sport telle que vue par Coubertin- encore que ce dernier ne voulait pas que les Noirs courent avec les Blancs- il eut mieux valu qu'il s'occupe de la déontologie pour ne pas permettre à tout les Materazzi de ne pas insulter impunément. Ce dernier savait ce qu'il faisait, peut-être même que tout était calculé d'avance pour déstabiliser Zidane, vulnérable quand il s'agit de la famille. Il faut s'interroger aussi sur le fait que ses coéquipiers (Thuram, Makelele), qui d'habitude intervenaient rapidement pour s 'interposer, ne l'aient pas fait pour cause de nouvelles tactiques de Raymond Domenech. Ce laxisme, voire cette croisade de la droite italienne n'est pas un fait isolé. Souvenons-nous de Berlusconi qui traite l'Islam de religion arriérée devant le Christianisme religion supérieure. On croit entendre le Duce. Que penser alors du vice-président du Sénat ou d'Oriana Fallaci qui fait un comeback financièrement juteux sur le dos des Musulmans au point que personne n'a osé protester. Au contraire, les biens pensants qui dictent la norme au peuple français sur ce qu'il doit penser ou pas, tels qu'Alain Finkielkraut n'ont pas tari d'éloge à son endroit. On a pas fini d'exploiter toutes les conséquences visibles ou cachées de la geste de Zidane. C'est, de fait, une rupture entre deux mondes: celui de la divinisation celui de l'icône européenne, sans état d'âme fausse et sans dimension éthique et celle du montagnard, de tous les montagnards de la terre qui symbolisent, à des degrés divers, la marchandisation du sacré, ou de ce qu'il en reste dans un monde où tout se vend et s'achète, il suffit d'y mettre le prix. Kissinger disait à peu près ceci: «Tout homme a son prix». Faut croire que Zidane, en dernier Vercingétorix, on peut dire aussi Jugurtha, n'a pas voulu marchander ses «valeurs» quitte à être «traîné symboliquement» dans les rues de Rome et mourir dans un cachot comme son illustre aïeul il y a de cela plus de 2000 ans. 2000 ans plus tard,Mutadis mutandis, la presse transalpine- plus chauvine que jamais- tire sur lui à boulets rouges exonérant l'enfant de coeur Materazzi connu pour être un pur provocateur xénophobe. Ce n'est pas seulement, écrivent Raphaël Liogier, Rachid Benzine, à Materazzi que Zidane a mis un coup de boule à la fin d'une finale qu'on espérait se terminer en apothéose, c'est d'abord à l'image trop lisse, injustement lisse sur laquelle on voulait le voir partir et que les médias ont tissée pour lui, article après article, reportage après reportage. D'une certaine manière, c'est un formidable «non» à cette image taillée pour lui, le refus de se voir momifié qu'il a -plus ou moins volontairement, plus ou moins consciemment- jeté sur nos rêves de perfection et d'idéal. C'est un acte de vie qu'il a posé, sans doute aussi un «coup de boule» contre un racisme trop répandu en Italie. Un soubresaut bien humain qui signifiait qu'il ne cherchait pas à être panthéonisé trop tôt, et certainement pas contre son gré et au détriment de sa dignité immédiate. La surmédiatisation, la presque «divinisation» dont il faisait l'objet tuaient, finalement, la vie qui bouillonnait en lui. Nous sommes dans un monde où l'on érige des emblèmes qui sont autant de substituts à nos rêves déchus.(2) «Un monde où l'on fige un être dans ce que l'on voudrait qu'il soit. A 34 ans, la postérité de Zidane était déjà écrite. Mais quel homme peut accepter de voir sa vie se dérober ainsi à lui, même si c'est pour devenir le refuge des espérances de milliers de gens ? Sa passion était devenue son calvaire. Son art, un chemin de croix où il a dû expier nos frustrations contemporaines, (désenchantement, sinistrose quotidienne, solitude). Il se devait, non seulement de nous faire rêver, mais aussi de se donner en exemple à toute une génération, de redonner confiance aux plus fragiles d'entre nous en leur montrant que la réussite est possible. Il devait, encore, être le symbole d'une France métissée, faire renaître le lien social distendu...»(2).. «Cet homme, incarne magistralement la tragédie humaine. Son geste est magnifique, et il faut peut-être y voir l'acte manqué d'un individu refusant sa sanctification. Il n'a pas renié son humanité pour une gloire éphémère et illusoire. Il s'est agrippé à la terre quand on l'avait déjà condamné au firmament. Il a dit ´´je suis des vôtres´´ quand on voulait qu'il soit différent de nous, qu'il soit l'idéal de nos rêves. Il nous a fait revenir à nous-mêmes, et c'est le plus grand service qu'il pouvait nous rendre. Son explication télévisuelle confirme ce geste sacrificiel: il ne regrette rien même s'il s'excuse de tout, ne condescend pas même à rapporter l'insulte qu'il n'a pu supporter. Comme Achille, il s'est lancé dans le combat en sachant qu'il le perdrait, et tout en sachant comment il le perdrait. Ce sacrifice immunise son image contre l'affadissement, l'uniformité, la fermeture du sens. La faiblesse héroïque de Zidane fait toute la force d'un récit mythique qui peut maintenant se raconter.»(2) L'héritage politique de Zidane Ali Lmrabet dans un article «Le fils de berger devenu roi», souligne le rôle décisif que ce joueur exceptionnel, qui a porté 108 fois le maillot de l'équipe de France, a au sein de la société française. «Non pas parce que Zinedine Zidane, le Français d'origine algérienne, l'Amazigh (Berbère) de la Castellane, un quartier défavorisé de la banlieue de Marseille, a fait quelque chose de transcendantal pour soutenir l'intégration nécessaire de ses coreligionnaires au sein de la société française». A l'heure de la retraite de celui qui a été élu meilleur joueur de la Coupe du monde 2006, Ali Lmrabet analyse l'héritage politique de Zidane: «Chacun de ses buts et chaque match qu'il a fait gagner à la sélection française ont été des gifles assénées aux politiques français qui ont fait de la lutte contre l'immigration leur thème de prédilection. ´´L'Arabe´´ Zidane, dont les frères sont quotidiennement dénigrés par Jean-Marie Le Pen, Philippe de Villiers et les autres extrémistes de ce genre, est celui qui a conduit la mythique équipe cosmopolite Black-Blanc-Beur à la victoire finale lors du Mondial de 1998. [...] Bien que cela n'apparaisse pas vraiment, et que lui-même ne s'en rende peut-être pas compte, Zidane est la personnification, au sein de la population française, d'une communauté arabo-musulmane qui aspire à une vie meilleure. C'est en tout cas comme cela que le voient nombre de ses compatriotes musulmans.» (3) La punition de Zidane, toute symbolique, montre en fait, le désarroi d'une institution qui, pour la première fois a à juger une affaire relative à la dignité humaine, aux valeurs, bref à une symbolique aux antipodes du sacerdoce de la Fifa. Il faut seulement espérer que le peuple de France dont de Gaulle dit qu'il est ingrat, saura garder toute sa considération à un homme, rien qu'un homme avec ses forces et ses faiblesses en tirant la sonnette d'alarme sur le refus des dérives qui portent atteinte à la dignité humaine. Il est à souhaiter que la France qui cherche tant à intégrer comprenne qu'elle peut le faire, à condition qu'elle ne désintègre pas les identités originelles, qui, d'une certaine façon, sont ses dernières défenses immunitaires, identités qui ont gardé leur innocence et leur croyance à un monde non pas basé sur la valeur marchande mais sur la vertu, le respect de la famille, un patriarcat bienveillant qui ne jette pas les pépés et les mémés dans des mouroirs loin de leurs racines filiales. S'il y a une acculturation, qui peut enrichir la culture du peuple de France, c'est cet apport de la tradition qui fait que la dignité humaine ne s'achète pas. A bien des égards, tous les nombreux Zidane appartenant à deux cultures sont peut-être les futurs architectes qui pourront traduire au quotidien ce traité que l'Algérie et la France se doivent de concrétiser pour aller enfin de l'avant. Chaque partenaire ayant besoin de l'autre dans une région qui a grand besoin de stabilité. 1.Pierre Bienvault, Marianne Gomez, Anne-Bénédicte Hoffner, Jean-Claude Raspiengeas et Martine de Sauto: Cinq raisons qui feront regretter Zidane: La Croix du 26 04 2006. 2.Raphaël Liogier, Rachid Benzine: Zidane: récit mythique ou Le héros n'était pas un dieu! Site Oumma.com. jeudi 13 juillet 2006 3.Ali Lmrabet: L'héritage politique de Zidane: article du quotidien El Mundo paru dans Courrier international le 11 juillet 2006.