Evoquer le rôle patriotique de Krim Belkacem, l'un des principaux architectes de la guerre de Libération nationale algérienne, c'est parler d'un mythe de la guerre d'Algérie. Son nom est intimement associé aux plus grands événements de l'histoire de cette guerre de libération. Krim Belkacem en a donné coup de starter qui amènera l'indépendance de l'Algérie. Pourtant, dans les annales de l'Histoire, sa vie semble s'être arrêtée à l'Indépendance, aux accords d'Evian. Que dire de lui en tant qu'Homme? Qu'il était, dès son jeune âge, un militant de terrain, honnête, fermement engagé, responsable et intransigeant. Il faisait partie de ceux qui sont passés de l'action armée à l'action politique dans la lutte pour l'Indépendance. «Le nom de Krim Belkacem se confond avec celui de l'Algérie de 1950 jusqu'à l'Indépendance en 1962. C'est le seul des chefs historiques qui avait échappé à toute arrestation et survécu à toutes les épreuves, depuis sa clandestinité durant les années 40, puis la guerre de libération jusqu'à l'indépendance en 1962», relatait avec un immense respect le défunt Mohamed Mechati, membre du Groupe des 22: comité révolutionnaire d'unité et d'action (Crua), à l'origine de la révolution. Né au pied du Djurdjura un certain 15 décembre 1922, en Kabylie, dans une famille de caïds, comme ce fut le cas de plusieurs chefs historiques de la révolution, Krim Belkacem muni d'un certificat d'études rejoignit l'armée française le 1er juillet 1943, soit 30 jours après que le général de Gaulle soit triomphalement rentré à Alger, délivré enfin de la tutelle des alliés. Dix années plus tard, Krim Belkacem et le général de Gaulle s'affronteront: l'un partisan de l'Algérie libre et indépendante, l'autre partisan de l'Algérie française. Incorporé à l'armée française, Krim devient un excellent tireur. Le 26 novembre 1944, il fut nommé caporal-chef au 1er régiment de tirailleurs algériens engagés pour libérer la France. Démobilisé le 4 octobre 1945, Krim Belkacem regagna sa terre natale où il occupa le poste de secrétaire auxiliaire de la commune, un poste qui, en général, n'était pas occupé par un indigène. Il ne tardera pas d'ailleurs à abandonner ce poste, ses avantages et ses privilèges. Car le sang des hommes libres qui coulait dans les veines de Krim l'appela à la guerre contre l'envahisseur. C'est de ce genre d'homme que l'illustre intellectuel franco-algérien Jean Mouhouv-Amrouche parlera dans son oeuvre magistrale Le réveil de Jugurtha. Son destin basculera le 23 mars 1947 Krim Belkacem embrassa le Mouvement national dès son jeune âge et adhéra au Parti du peuple algérien (PPA), en 1946. Toutefois, son destin basculera le 23 mars 1947 quand les autorités coloniales l'accuseront «d'atteinte à la souveraineté de l'Etat». En 1947 et 1950, il fut jugé pour différents meurtres et condamné à mort par contumace. À partir de cette date, Krim luttera contre le colonialisme français, en fondant et en organisant les premiers foyers de résistance armée dans la périphérie de sa région natale à Draâ El Mizan, en Kabylie. Tout au long de son combat, Krim Belkacem avait su passer à travers les mailles du filet colonial, soit de 1947 à 1962. Son destin est émaillé d'évènements marquant l'Algérie combattante. Les Français n'avaient pas tort de le surnommer «le lion des Djebels». Le commandant de la Wilaya IV historique, Lakhdar Bouregaaâ proche de lui, témoignait: «Krim était un lion, il a ce regard fixe, sans le moindre mouvement des cils. Il inspire le respect, la dévotion, mais aussi la peur et la captivité.» Et d'ajouter: «Croiser le regard de Krim est une interpellation à l'ordre, voilà un chef.» Ceux qui l'ont connu certifient: «Krim est un noble comme l'indique son nom en arabe, il était le véritable patron, un grand chef de la révolution. Son nom, connu et reconnu, est respecté à travers les quatre coins de l'Algérie, mais aussi au-delà des frontières.» Pour anecdote, l'un des anciens de la Fédération FLN de France, Tahar Tinouiline, se rappelle que le premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) lui confia au lendemain de l'Indépendance que: «C'était Krim Belkacem qui m'avait recruté dans le Front de Libération nationale (FLN). Il était mon véritable chef, et il le restera pour toujours quoi qu'il advienne». Et de conclure: «Il fallait connaître Krim: il inspirait confiance et assurance auprès des maquisards. C'était grâce à lui que le congrès de la Soummam s'est tenu, avec une totale réussite sur tous les plans et tout le reste.» Condamné et recherché par l'armée française, Krim Belkacem rejoignit le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (PPA-MTLD) en 1947. Il sera nommé en 1949, chef de l'Organisation spéciale (OS), bras armé du MTLD, pour toute la Kabylie, futur bastion du FLN. À la veille de la révolution, il disposait d'au moins 500 hommes armés et avait comme collaborateur Amar Ouamrane, un militaire aguerri et un grand baroudeur qui deviendra un colonel de l'Armée de Libération nationale (ALN). Krim Belkacem rompit au mois d'août 1954 avec le MTLD de Messali El-Hadj, à la suite de la décision de ce dernier d'interdire le passage à l'action armée pour le recouvrement de l'indépendance du peuple algérien. Il décida du déclenchement de la guerre de libération, le 1er novembre 1954. Il déclara la guerre à Messali El-Hadj quand les troupes armées aux ordres de celui-ci se mirent du côté de la France en travers du chemin du FLN et de l'ALN. Les chefs historiques, pauvres en armes et en soldats, ne pouvaient décider du déclenchement du 1er novembre 1954 sans les troupes de Krim Belkacem. Il occupait le maquis avec ses hommes, ayant pris les armes contre la France depuis 1947. Sur le plan militaire, aucun des chefs historiques n'était aussi bien préparé que Krim Belkacem à une action armée et globale contre la France. Il était à la tête de plus de 500 soldats à ses ordres, armés et prêts au combat. À l'approche de l'ouverture des hostilités, le groupe des Six, déterminés «pour la révolution illimitée jusqu'à l'indépendance totale» sollicita Krim Belkacem et le nomma ainsi qu'Amar Ouamrane, responsables de la zone de Kabylie sur les cinq zones composant le territoire algérien. Les autres zones avaient été réparties ainsi: Larbi Ben M'hidi pour la 5e zone, l'Oranie, Didouche Mourad pour la 2e zone, le Nord-Constantinois, Mostefa Ben Boulaïd pour la 1ère zone, les Aurès et Rabah Bitat pour la 4e zone, Alger et l'Algérois. Krim et Abane: un duo infernal L'objectif principal du mouvement du groupe des Six était de déclencher la lutte armée à la fin de l'année 1954. Le 10 octobre le CRUA prit le nom de FLN. L'action se concrétisA le 1er novembre 1954 par une série d'actions coordonnées. Et désormais, l'Appel du 1er novembre fut connu et compris de tous. La guerre de Libération commença alors, à travers le territoire national et le peuple adhéra aux mots d'ordre du Front de Libération nationale. Alger, la capitale, sera également celle de l'état-major de la Révolution algérienne. Krim et Abane constituaient un duo fatal qui a marqué le destin de l'Algérie combattante. Ils faisaient trembler la France coloniale. Les deux hommes se sont rencontrés, pense-t-on, uniquement pour libérer l'Algérie du colonialisme français. C'est aussi le même destin qu'ils partageaient avec la plupart des autres acteurs de la guerre de libération. Toutefois, la rencontre de Krim et d'Abane avait bouleversé le cours de l'Histoire. L'un est un chef militaire aguerri alors que l'autre est un politique avisé. Une complémentarité des plus rares. Les deux hommes avaient fait leurs classes au sein du Mouvement national et l'OS. Ils pouvaient se faire confiance l'un, l'autre, même s'ils se sont rencontrés pour la première fois, quelques mois après le déclenchement du 1er novembre 54. Cela expliquera leur alliance scellée dès leur première rencontre. Le commandant Lakhdar Bouregaâ assurait: «J'ai connu les deux. C'était à Alger que Krim et Abane se sont rencontrés, suite à la médiation d'Amar Ouamrane. Ils avaient longuement échangé leurs points de vue sur l'état des lieux de la Révolution et ses perspectives. La complémentarité entre les deux était évidente», témoignait le défunt Bouregaâ, soulignant que c'était lors de cette première rencontre qu'un contrat a été scellé jusqu'à la mort pour libérer l'Algérie. «L'un comptait sur l'autre en dépit de leurs différences», a ajouté le commandant Bouregaâ. Il se rappelait également: «Krim et Abane, dès leur rencontre à Alger ont leurs destins liés jusqu'à la mort», affirmait pour sa part le défunt Ali Yahia Abdenour. À Alger, Krim et Abane sont devenus très proches. Krim, prenant Abane comme conseiller politique, lui ouvrira grandes les portes de la révolution et l'adoubera auprès des différents acteurs de celle-ci. Compétent, instruit, politisé et appuyé par Krim, Abane ne tardera pas à être considéré comme un chef incontestable, gagnant le surnom d'architecte de la révolution une année plus tard. Abane, avec l'appui de Krim Belkacem, prend en charge la direction politique de la capitale. Son appel du 1er avril 1955 à l'union et à l'engagement du peuple algérien signe l'acte de naissance d'un véritable Front de Libération et son émergence en tant que Mouvement national. Il y affirme son credo unitaire, «la libération de l'Algérie sera l'oeuvre de tous». 3500 moudjahidine sur le terrain Les deux hommes ont su regrouper et unir au sein du FLN l'ensemble des courants politiques pour lutter contre la domination française. Appuyé par Krim, témoignait l'ancien commandant de la Wilaya IV historique: «Abane obtient une grande influence dans la direction intérieure installée à Alger.» Chargé des questions d'animation de la révolution au niveau national en assurant la coordination inter wilayas, il anime également la liaison avec la Délégation extérieure du FLN établie au Caire, les Fédérations de France, de la Tunisie et du Maroc. Il a ainsi la haute main sur toutes les grandes questions d'ordre interne et international. Ensemble, ils réalisent le grand chantier de la révolution lors du congrès de la Soummam, le 20 août 1956 en Kabylie». Et d'assurer: «On ne peut pas d'ailleurs imaginer un instant la tenue d'un congrès aussi important dans l'histoire de la guerre de libération, d'autant plus en Kabylie, sans la vaillance et l'assurance de son premier chef, Krim Belkacem». Il était en effet à la tête de 3 500 moudjahid sur le terrain, le coeur battant de la révolution et tous les chefs historiques lui vouaient un grand respect et une profonde amitié. L'organisation du congrès de la Soummam dépasse les différents acteurs dépêchés grâce au tandem Krim et Abane: l'un sur le plan sécuritaire et organisationnel, l'autre sur le plan politique et stratégique. Les deux faisaient partie de l'instance suprême de la révolution mise en place au lendemain de ce congrès, le Comité de coordination et d'exécution (CCE). Chargé de coordonner la révolution et d'exécuter les directives du CNRA, il était composé de Krim Belkacem, Abane Ramdane, Larbi Ben M'hidi, Benyoucef Ben Khedda et Saâd Dahlab. Krim Belkacem étant le seul militaire des chefs du CCE, il se retrouva chef d'état-major de l'armée de l'ALN et le stratège de la lutte armée. Il s'établira à Alger et sera chargé de former et d'organiser la Zone autonome d'Alger car c'est lui qui assurera les liaisons entre toutes les wilayas. En effet, le principe fondamental de «la primauté du civil sur le militaire», arrêté lors du congrès de la Soummam est appliqué ainsi que celui de «la primauté de l'intérieur sur l'extérieur». C'était la guerre en Algérie, certains des chefs influents de la révolution se retrouvaient à l'étranger, en prison ou étaient tombés au champ d'honneur. Quant au rôle de Krim pour imposer aux différentes délégations présentes les principes définis plus haut, Tahar Tinouiline interroge: «Pensez-vous que quelqu'un aurait pu contraindre Abdelhafid Boussouf, Lakhdar Bentobal et consorts d'accepter de signer tels principes à part Krim Belkacem?»