Instaurer les conditions d'une guerre froide peut, certes, paraître paradoxal mais constitue une option réaliste. La guerre au Liban vient, encore une fois, relancer le débat sur la nécessaire reconfiguration de la carte géopolitique du Monde. Elle vient surtout nous rappeler que la chute du mur de Berlin, l'atomisation de l'ex-URSS, n'ont pas pour autant évité la confrontation entre les Etats-Unis et l'ex-bloc de l'Est. La récente diatribe du président Poutine à l'adresse de Washington, la crise nucléaire iranienne et la formation de nouveaux axes géostratégiques, annoncent une prise de conscience contre l'«unipolarisme» américain, qui a tissé sa toile au sein de toutes les institutions internationales. Le rôle négatif joué par les Etats-Unis au Conseil de sécurité de l'ONU ouvre la voie à toutes sortes de dérives, aussi bien de la part de l'armée américaine que de ses alliés au Proche-Orient et au Sud-Est asiatique. Le dernier appel du n°2 d'Al Qaîda, Ayman Al Zawahiri à tous les damnés de la terre à s'unir contre l'expansionnisme américain, marque une nette rupture avec l'ancien discours qui circonscrit le débat au simple cadre religieux. Il s'agit cette fois de fédérer toutes les forces, quelles que soient leurs références idéologiques, pour stopper l'hégémonisme américain. Pour ce faire une nouvelle distribution des rôles s'impose, de sorte à rétablir les équilibres militaires. Pour reprendre la logique de Raymond Aron: «Si la paix est aujourd'hui improbable, il faut alors faire émerger les conditions qui rendront la guerre impossible. Pour cela, la communauté internationale doit s'engager à corriger l'inégale répartition des capacités militaires dans la région.» Ce déséquilibre, qui constitue un obstacle structurel majeur à la paix au Proche-Orient, n'est pas récent. Depuis la guerre de 1973, l'Etat hébreu bénéficie d'une totale supériorité militaire sur ses rivaux et, avec la disparition de l'URSS en 1991, les Etats arabes ont perdu un allié essentiel. Or l'hégémonie militaire d'Israël n'est pas un gage de stabilité régionale, ni même de sécurité pour les Israéliens. Au contraire, elle a, au moins, eu deux conséquences fâcheuses. D'une part, l'absence de riposte crédible n'incite pas Israël à faire preuve de modération dans son usage de la force armée. D'autre part, devant la puissance de Tsahal, les adversaires d'Israël n'ont guère d'autre choix que de recourir à la résistance pour promouvoir et défendre leurs intérêts. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la course aux armements a été au centre de la confrontation Est-Ouest. En effet, depuis cette date, jusqu'à la chute du bloc de l'Est soviétique, l'équilibre militaire entre l'URSS et les Etats-Unis a, efficacement, dissuadé les deux superpuissances de s'affronter directement sur le sol européen. La militarisation extrême, de part et d'autre du 38e parallèle, a permis d'éviter une seconde guerre de Corée. Aujourd'hui encore, le dossier de l'armement est l'enjeu même des conflits régionaux. Que ce soit dans le Sud-Est asiatique, au Proche-Orient, qu'en Amérique latine, tous les conflits sont d'essence militaire. L'absence d'une puissance, à l'image de l'ex-URSS, donne les coudées franches aux Etats-Unis pour dicter ses règles du jeu. Il s'agit de tout faire pour éviter qu'un Etat voisin de l'Etat hébreu, n'acquière la technologie nucléaire, lui permettant de menacer cet allié stratégique de Washington. La guerre en Irak, notamment les fameuses armes de destruction massive, la crise nucléaire iranienne et auparavant la guerre Iran-Irak, visaient en premier lieu à affaiblir les concurrents potentiels d'Israël dans la région du Proche-Orient. Par ailleurs, ce qui fait craindre le pire aujourd'hui pour les Etats-Unis, c'est le rapprochement entre les pays des trois continents, farouches opposants à l'hégémonisme américain. C'est le cas de la Corée du Nord, du Vénézuela et de l'Iran. Un axe qui risquerait de donner du fil à retordre à l'administration Bush. D'autant plus que l'avènement dans plusieurs pays d'Amérique latine, notamment en Bolivie, au Brésil et bien entendu au Venezuela de régimes «révolutionnaires» n'est pas du goût de Washington. En somme, devant l'impasse et le drame que connaît actuellement le Proche-Orient, instaurer les conditions d'une guerre froide peut, certes, paraître paradoxal mais constitue une option réaliste.