David n'est plus le «petit David» qui a battu Goliath avec une simple fronde. C'est devenu un monstre et un danger pour la région du Moyen-Orient. Le colonel Larbi Bendahmane est un ancien de la direction du Malg chargé des transmissions et spécialiste de la formation, ancien directeur de l'Ecole supérieure des transmissions, ancien directeur central des transmissions au niveau de l'ANP et ancien attaché de défense à l'ambassade d'Algérie en Pologne. Il a participé aux guerres de 1967 et 1973 face à l'armée israélienne. Nous l'avons contacté pour avoir son avis sur cette sixième guerre que mène Israël aux Arabes en détruisant un pays, le Liban, qui ne peut tenir tête, à lui seul, face à l'une des armées les plus puissantes au monde. Avec son expérience acquise tout au long de sa longue carrière militaire au service de son pays, il voit d'un mauvais oeil l'intronisation du duo Olmert-Peretz à la tête d'une telle puissance militaire tout comme il craint, pour les peuples de la région, la politique des «gros sabots» des Américains. De son nom de guerre Larbi Touil, l'ancien colonel de l'ANP vit dans la quiétude de la retraite même si quelques-uns de ses compagnons de route servent encore le pays. Pour lui, cette agression du Liban est une tragédie pour le peuple libanais soumis à un impitoyable feu de l'aviation israélienne sous le regard passif du monde entier et de la complaisance de certains régimes arabes à qui il donne le conseil d'économiser les milliards de dollars dépensés dans l'armement, du moment qu'il ne sert à rien. Toujours fier de son pays, il croit que la volonté des peuples ne peut être vaincu. L'Expression: Comment voyez-vous la guerre qui se déroule au Proche-Orient? Bendahmane Larbi: Cette guerre est un immense gâchis et une grande catastrophe pour le Liban et les Libanais. Les Israéliens pouvaient répondre la capture de leurs deux soldats autrement si c'est vraiment la cause du conflit. Cette réaction est disproportionnée. C'est aussi une première dans les conflits arabo-israéliens, l'Etat hébreu a fait étalage de la puissance de son aviation de façon ostentatoire. Ce qui n'a jamais été fait auparavant. David n'est plus le «petit David» qui a battu Goliath avec une simple fronde. C'est devenu un monstre et un danger pour la région du Moyen-Orient. Le Hezbollah a pris cette fois la place de «David» Oui, c'est vrai. Cette fois ils sont tombés sur un os, à savoir, une véritable résistance. Par le passé Israël a eu affaire à des armées arabes classiques qu'elle a toujours battues. Mais face à une guérilla, le contexte stratégique n'est plus le même. On ne gagne pas devant un mouvement de ce genre d'autant plus que les combattants du Hezbollah défendent leur terre avec une foi inébranlable. Mais Israël s'est préparé depuis longtemps à cette confrontation... Je pense qu'Israël ne connaissait pas tout de son adversaire. La réaction du Hezbollah sur le front terrestre a surpris son état-major et ses troupes. Mais ce qui me tracasse le plus c'est la réaction imprévisible des meneurs de cette guerre Ehud Olmert et son ministre de la Défense Amir Peretz. Ce sont deux responsables qui occupent des postes de responsabilité qui les dépassent. Deux aventuriers qui n'ont ni l'étoffe ni le charisme qu'il faut pour mener une telle guerre. Ils sont soutenus par le peuple d'Israël. Ce qui n'est pas rien. Oui, et c'est là le grand danger. Ils ont fait croire à leurs citoyens qu'ils maîtrisaient la situation en leur promettant une guerre éclair sans risques et sans grands coûts. Maintenant cette guerre les a aspirés et l'enlisement est là. Le piège risque de se refermer sur leurs fameuses unités blindées. La direction militaire d'Israël va tout faire pour se justifier auprès de son opinion publique qui n'acceptera jamais une défaite. Il y va du devenir d'Israël. Les Israéliens le disent : cette guerre est une question de survie. De par le fait qu'ils sont racistes ayant un esprit de dominateurs, ils représentent un danger dans toute la région. Se sentant pris au piége, il y a risque qu'ils s'affolent et ne plus maîtriser la situation car ils ne peuvent pas reconnaître leur défaite sur le plan militaire. N'oublions pas qu'il s'agit de l'une des armées les plus modernes au monde, disposant de moyens ultramodernes et d'une force de nuisance considérable. Ceci dit, il ne faut pas croire la légende qui fait de cette armée un mythe d'invincibilité. C'est une armée comme toutes les autres avec la particularité de posséder une aviation performante. Sinon ses soldats ne sont pas plus combatifs que d'autres. Face au Liban ils ont mené une guerre féroce à un adversaire ne possédant pas de défense anti-aérienne. Le Hezbollah a dévoilé la vraie face de cette armée qui ne compte que sur son aviation. Mais par contre, ce qui me fait peur c'est la politique américaine de «gros sabots» qui risque de déchirer toute la région du Moyen-Orient Comment expliquer cette déroute sur le front terrestre face à une résistance aux moyens disproportionnés? Une armée classique qui tombe sur une guérilla c'est souvent le piège. On ne peut rien contre une telle organisation de défense. Face à l'échec, Ehud Olmert a trouvé la parade en demandant la tête de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. Est-ce la solution pour gagner la guerre? Il y aura toujours d'autres Nasrallah en face d'Israël. Les exemple sont là pour le prouver. L'Irak, le Vietnam et la guerre d'Algérie en font partie. Comment voyez-vous le rôle des Américains et de l'Europe dans ce conflit? C'est ma grande déception. Avec leurs gros sabots, ils mettent la pagaille partout. Je crains que les USA tentent de régler leurs problèmes avec l'Iran et la Syrie, l'axe du mal comme ils disent, à travers le conflit du Liban. Eux aussi ont montré encore une fois leur arrogance et leur mépris pour la vie humaine. Il ne faut pas perdre de vue que c'est un pays bâti sur la violence. Quant à l'Europe, je pense qu'elle a encore une fois montré son impuissance à trouver ses marques sur le plan de la diplomatie internationale face aux USA qui se sont alliés avec Tony Blair qu'ils utilisent tel le cheval de Troie pour neutraliser cette Europe réticente à la politique d'hégémonie adoptée par la première puissance mondiale. Je pense qu'il ne faut rien attendre de l'Europe. Les pays arabes se sont effacés lors de cette guerre. Pourquoi une telle attitude d'après vous? Qu'est-il demandé à la Ligue arabe ou plutôt à la ligue égyptienne? Sûrement pas de faire la guerre mais au moins de faire de la politique. Les Arabes auraient pu exercer des pressions sur les USA pour freiner l'aventurisme israélien dans la région à travers ses atouts que sont la finance et le pétrole. D'ailleurs ils n'arrivent même pas à tenir un sommet des chefs d'Etat. La Ligue arabe a un besoin urgent de réformes. Si les Arabes avaient suivi l'Algérie dans sa revendication de moderniser cette institution sclérosée, dépassée par le temps et mise sous la coupe égyptienne, on aurait assisté à une autre réaction plus courageuse. Notre président Abdelaziz Bouteflika avait compris les enjeux depuis longtemps en voulant faire de cette ligue un instrument de défense des intérêts arabes mais personne ne l'a écouté. Aujourd'hui, la Ligue arabe paye le prix de ses errements. Elle n'est plus crédible. Aussi les pays arabes doivent cesser de se sur-armer en dépensant des milliards aux dépens de l'éducation de leurs enfants du moment que cela ne sert à rien au moment voulu. La solution diplomatique parrainée par les USA commence à faire son chemin... C'est une nécessité que d'arrêter ce massacre inutile au Liban. Le Hezbollah ne sera pas vaincu et Israël doit se retirer de tous les territoires arabes annexés. S'il y a des leçons à tirer de ce conflit, c'est que la volonté des peuples ne peut être vaincue. Aussi la solution diplomatique doit être équitable. Israël veut une zone de sécurité du seul côté du territoire libanais. Une zone tampon doit être équitablement répartie entre les deux territoires. Les forces internationales qui seront déployées n'auront pas seulement comme mission de neutraliser le Hezbollah. Sinon ça serait un flagrant parti pris, difficile à faire accepter aux Libanais. BENDAHMANE LARBI Colonel de l'ANP à la retraite