La Tunisie a rejeté hier des propos «disproportionnés» du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, qui avait déploré la veille une situation détériorée dans le pays au point de craindre un éventuel «effondrement». La déclaration de Borrell intervient au moment où une délégation de l'Union européenne était attendue à Tunis pour une évaluation du contexte socio-politique et économique alors que le pays fait face à une grave crise multidimensionnelle. Voilà des mois que le bras de fer entre le président Kaïs Saïed et l'opposition partisane est engagé mais la tournure des évènements est désormais en faveur du chef de l'Etat malgré les mobilisations sporadiques et les dénonciations du Front de salut national conduit par le mouvement islamiste Ennahdha. Au lendemain des mesures inédites du 25 juillet 2021 par lesquelles il a dissous le gouvernement Mechichi et gelé les activités de l'Assemblée des représentants, Kaïs Saïed a mené tambour battant une transformation majeure du paysage politique, faisant adopter une nouvelle Constitution et élisant un nouveau Parlement sans aucune attache partisane, du moins en théorie. «Les propos prononcés sont disproportionnés tant au vu de la résilience bien établie du peuple tunisien tout au long de son histoire, que par rapport à une menace migratoire vers l'Europe en provenance du sud», a protesté hier, dans un communiqué, le ministère tunisien des Affaires étrangères. «Ces propos sélectifs continuent d'ignorer toute responsabilité (de l'UE) dans la situation qui a prévalu en Tunisie et ailleurs, notamment depuis 2011 et jusqu'au 25 juillet 2021», une allusion évidente à la révolution initiatrice du printemps arabe et porteuse du renversement du régime de Zine El Abidine Ben Ali. C'est au cours d'une réunion organique des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l'UE que Josep Borrell a affirmé combien la situation en Tunisie serait, selon lui, «très dangereuse» avant d'agiter le spectre d'un «effondrement» des structures de l'Etat, avec comme conséquence la provocation de nouveaux «flux migratoires vers l'UE», ainsi que l'apparition d'une «instabilité dans la région Mena». Avec ce propos incendiaire, le chef de la diplomatie européenne fait allusion aux tentatives actuelles de centaines de migrants qui tentent de rejoindre l'île de Lampedusa, en Italie, distante d'à peine 150 km, et dont il a été question récemment avec la mise en cause par le président Saïed des migrants illégaux en majorité subsahariens. Les dernières statistiques italiennes ont d'ailleurs fait état de l'arrivée de plus de 32 000 migrants en provenance de la Tunisie voisine, phénomène qui explique en partie, sans pour autant la justifier, la dénonciation par le président tunisien des «hordes d'immigrés clandestins» résultant d'une «entreprise criminelle» dont le but serait de modifier la démographie du pays. Celui-ci est toujours confronté à une très grave crise financière et espère un geste du FMI pour un prêt de deux milliards de dollars très incertain et c'est l'ultime coup de Borrell qui a affirmé que «l'Union européenne ne peut pas aider un pays incapable de signer un accord avec le Fonds monétaire international».