Dix-huit-heures-trente minutes GMT, Bab El Oued, la capitale Alger. Le brouhaha indescriptible de la place des trois Horloges, disparaissait au fur et à mesure que nous avançons en direction de la place d'El Kettani. Un groupe de trois quadragénaires attire notre attention. La précarité visible que ces personnes ont en commun était jadis la chose la plus marquante. Ils traînaient le pas, dans les ruelles presque désertes de ce vieux quartier de l'Algérois au moment où tout le monde se pressait, à moins d'une demi-heure de l'appel à la prière. Devant les rares boutiques de zlabias et de kalbellouz qui s'apprêtaient à baisser rideau, nos amis comptaient au centime ce qu'ils peuvent acheter à manger. Quelques bouchées pour calmer la faim d'une journée de jeûne, semblait être l'ultime solution pour eux, tout comme pour les retardataires qui ne peuvent rejoindre leur domicile avant l'heure. Mais une autre «meilleure» option et de surcroît «gratuite» existe un iftar complet autour d'une table décorée de repas copieux à se partager au front de mer. L'esplanade d'El Kettani a ouvert, en effet, ses bras en ce troisième jour du Ramadhan afin d'accueillir plus de 1 200 personnes. Sans-abri, usagers de la route, ceux qui viennent d'autres wilayas pour travailler à la capitale et familles démunies y trouvent refuge en ce mois béni. Sur place, sous l'immense chapiteau dressé à cet effet, l'odeur de la mer se mêle aux bonnes odeurs de chorba piquante et de tadjine de boulettes de viande hachée «mtewwem» qui seront servis pour le déjeuner de ce soir. Une cinquantaine de bénévoles sont réquisitionnés sur place afin de mener à bien l'iftar collectif. À notre arrivée, l'heure était aux dernières retouches. Tout le monde s'activait, chacun à sa tâche bien précise, sous les consignes de Meriem Laribi la présidente l'association «Hope DZ», ayant organisé l'événement. «Vous voyez, il y a deux groupes de bénévoles, hommes et femmes, certains se chargent de dresser les tables, d'autres de la préparation des plats», nous a-t-elle expliqué. «Le travail commence très tôt, à 8 heures du matin où on se charge de faire les emplettes au marché, pour que les cuisiniers puissent mettre à leur tour, la main à la pâte», dira Rahim. Ce dernier s'occupait de préparer les tables destinées à accueillir les hommes. Un travail minutieux et gros à la fois est en effet assuré par ces braves bénévoles, derrière lesquels un réseau de donateurs est mis en place. «L'appel à l'aide fonctionne et de nombreuses personnes soutiennent nos actions, nous sommes sponsorisés par Mobilis, et rien ne manque pour contribuer à aider les gens dans le besoin», affirme un autre. «Je viens ici avec mes copains pour manger et Dieu merci, on y trouve de tout ce qu'il y a de bon. On dirait que nous sommes chez nous», dira Mohamed, un maçon de profession, originaire de Chlef. «Les sans-abri, les gens de passage et ceux qui sont loin de leurs proches et ne peuvent s'accorder un repas ramadhanesque. On se retrouve ici. Cela nous rappelle la joie de déjeuner en famille» renchérit Samir, un habitué des lieux. Le grand chapiteau, installé à l'occasion, accueille également une autre catégorie: des familles démunies qui viennent s'offrir un repas chaud et décent. Un groupe d'une vingtaine de filles est réquisitionné à leur service. «Même avec la dégradation du pouvoir d'achat, nous avons quoi nous mettre sous la dent et nous offrir ce qu'il y a de meilleur», a témoigné une femme approchée sur place. Une autre dira, pour sa part: «El hamdouleh, personne ne meurt de faim dans notre Algérie». La tente d'iftar a été également placée, pour offrir un repas complet aux routiers, afin de préserver leur sécurité. Une belle initiative qui montre la valeur de la solidarité de la société algérienne, mais aussi un moyen de lutter contre les accidents de la circulation qui s'enchaînent au moment de la rupture du jeûne. La nourriture est assurée à une autre catégorie de ce «guichet de la survie»; les veuves et les vieilles dames qui ne peuvent se déplacer. «Nous préparons des plats à emporter, 150 parts sont distribuées par nos effectifs», affirme Meriem, la présidente. L'association «Hope DZ» n'est pas la seule qui, à l'approche de chaque mois de Ramadhan, intensifie les actions en faveur des couches les plus vulnérables de la société. Des restaurants de la Rahma poussent comme des champignons à la veille de chaque mois sacré. Tout le monde y trouve refuge. Les donateurs sillonnent les coins et les recoins pour déposer et distribuer à tout moment des denrées aux hôtes passants et aux sans-abri.