La guerre est devenue l'art de gérer la pitié et l'indignation par images interposées. Ensanglantée et sa sucette encore suspendue à son cou, une petite fille gît sans vie entre les bras d'un homme qui marchait dans les décombres, le visage affligé par la douleur. L'image est terrible, elle a fait le tour du monde. Les images du massacre de Cana, au Liban -où des douzaines de femmes et d'enfants ont été massacrés par le raid israélien au début de la semaine dernière- brisent le coeur. Beaucoup de personnes trouvent des difficultés à retrouver la normalité du quotidien. Ils regardent leur vie et la vie de leurs enfants avec la nouvelle crainte d'être tués à tout moment. En plus de la vie des enfants, des femmes et des hommes tués dans ces violences, il faut mesurer les dégâts dans les âmes des survivants. C'est toute une nouvelle forme de dommages de guerre qu'il faut calculer aujourd'hui. Dans un contexte mondial de lutte antiterroriste, d'agression israélienne incessante contre le monde arabe, la profusion de pareilles images ne fera que perpétuer la guerre entre l'Occident et l'Orient. Les Israéliens et les Américains maîtrisent la guerre de l'information, efficace pour créer le chaos chez l'adversaire. En revanche, la guerre médiatique leur échappe par le foisonnement des chaînes de télévision arabes. Il y a aussi l'apport de la presse écrite dont les journalistes n'ont pas été embarqués dans des chars comme dans la guerre en Irak. Les images choquantes diffusées sans retenue, s'ajoutent à un back round d'images tout aussi horribles intériorisées par les foules arabes. L'épisode du Coran jeté dans les toilettes à Guantanamo, le feuilleton des caricatures du Prophète, les images de sévices et de tortures à Abou Ghraïb, les cohortes de suspects aux yeux bandés interrogés par des GI'S, les corps nus et humiliés de la prison de Baghdad sont des éléments qui s'ajoutent à la frustration collective de la rue arabe : de pareilles images résument sont humiliation. Et deviennent du coup une source intarissable pour les extrémismes de tout bord. Car le critère de la victoire, dans «la guerre des images», n'est ni la destruction des forces ennemies ni l'occupation de son territoire, mais la conquête des coeurs et des esprits. La guerre est devenue l'art de gérer la pitié et l'indignation par images interposées. A présent, seules les organisations extrémistes capitalisent cette douleur pour la retransformer en violence. Ainsi, les images sortant de Cana sont un cadeau aux organisations terroristes. L'idée que l'Occident en général et les Juifs en particulier aspirent à détruire le monde islamique, à humilier les musulmans trouve toute sa justification dans ces actes. Avec cette frustration collective, le jihad est devenu une manie mondiale et qui s'alimente des bombardements des Israéliens sur le Liban. «La plupart des jeunes attirés qu'ils sont par l´idée du jihad ne deviendront jamais des terroristes (... )» a soutenu, il y trois jours, Jessica Stern, chercheuse américaine lors d'une conférence sur le terrorisme à l´université de Harvard. Cette spécialiste du terrorisme explique que parmi beaucoup de jeunes gens musulmans, particulièrement en Europe, «le jihad est une façon crue et directe d´exprimer le rejet d´une élite au pouvoir». Un pouvoir qui est entre les mains des monarchies totalitaires ou de parlementaires libéraux. La conférencière a réfuté l'idée que «le jihad est un problème du Moyen-Orient ou européen. L´idée s´étend, ici, en Amérique aussi». Le jihad est devenu un mouvement à la mode. Une réponse à un ordre mondial. «C'est un peu comme les mouvements des anarchistes du XIXe siècle ou même le Mouvement pour la paix des années 60 et 70» dit-elle. Il y a un attrait à l´indignation juste, à la vengeance contre les maux causés au faible par le fort. Mais il est souvent très difficile de définir qui est bon et qui est mauvais car en définitive le monde n'est pas manichéen: il n' y a pas d'un côté les bons et de l'autre les mauvais. L´Irak, hélas, produit beaucoup d´images pour le besoin des extrémismes. Cana en fournit un avantage supplémentaire.