Salim Bachi est né en 1971 à Alger. Il a grandi à Annaba où il a écrit son premier roman «Le chien d'Ulysse», publié aux Editions Gallimard, quand il avait 30 ans. Ce premier roman a obtenu plusieurs prix prestigieux dont le prix Goncourt du premier roman, le Prix littéraire de la vocation et la Bourse de la découverte Prince Pierre de Monaco. Salim Bachi a publié près d'une vingtaine de livres principalement des romans, ainsi qu'un recueil de nouvelles, deux récits et un essai. Son récit autobiographique, «Dieu, Allah, moi et les autres» a obtenu le prix Renaudot du livre de poche en 2018 et son roman «La Kahéna» a reçu le prix Tropiques en 2004. L'Expression: Vous étiez très jeune quand vous avez écrit votre premier roman «Le chien d'Ulysse», à partir de quel moment vous vous êtes mis à écrire ce livre? Salim Bachi: J'ai commencé à écrire «Le chien d'Ulysse» après l'assassinat de Mohamed Boudiaf, soit en 1992, ce qui remonte à loin. J'ai mis sept ans à écrire ce premier roman, ce qui est presque une vie lorsqu'on a soi-même une vingtaine d'années. Il m'a fallu le temps d'apprendre à écrire un roman et surtout à y infuser mon expérience de jeune homme. Mais bien sûr tout le livre tourne autour de cet «événement» capital qui a inauguré le nouveau siècle en Algérie. Je voulais donc que «Le chien d'Ulysse» fût à la hauteur de ce moment particulier de notre histoire. J'ai donc traîné mon roman pendant de nombreuses années, à travers mes pérégrinations, d'Annaba à Paris, de chambres d'étudiant en modestes studios, vivant de peu alors comme je vis de peu aujourd'hui encore, mais taraudé par le démon de l'écriture, qui, enfin commence à me laisser en paix. L'idée de confier la publication de votre premier roman à une maison d'édition aussi prestigieuse que Gallimard vous est venue comment? Je n'ai rien prémédité. J'ai simplement envoyé le roman à plusieurs maisons d'édition et Gallimard l'a accepté assez vite. Sinon, de prestige, je n'avais cure. J'étais jeune, seul mon roman comptait, et il eût pu être publié n'importe où. Le succès énorme obtenu par ce roman vous a-t-il surpris? Pas vraiment. J'étais certain d'avoir écrit un très beau livre, novateur aussi. Bêtement et parce que j'avais 20 ans, je n'y ai vu qu'une confirmation. Ceci étant dit, j'ai surtout bénéficié d'un beau succès critique. Quand on réussit de si belle manière son premier roman, est-ce une source de motivation pour aller de l'avant ou bien pourrait-il constituer une source de blocage, un frein? Une motivation extraordinaire pour continuer. J'écrivais depuis l'âge de quinze ans! Je ne voulais faire que cela et je trouvais un éditeur pour porter ce désir d'écriture. Je n'allais pas bouder ma chance. Je ne comprends pas ces histoires de blocage en vérité. On écrit pour soi, pas pour le succès, l'argent ou la célébrité. J'ai toujours écrit pour moi sans penser à rien d'autre ni à personne d'autre. Il se trouve que pendant vingt ans cela s'est fait ainsi, naturellement si je puis dire, et j'en suis infiniment heureux aujourd'hui que je passe un cap, celui de l'âge mûr. Par la suite, il y a eu «La Kahéna», «Les douze contes de minuit», «Le consul», et plein d'autres succès, pouvez-vous survoler votre parcours d'écrivain depuis les débuts à ce jour? Je ne sais pas faire ça: me résumer comme si j'étais un personnage de roman! Disons que j'ai écrit des romans, des récits autobiographiques aussi, un recueil de nouvelles, et plein d'autres textes qui n'ont pas été publiés. Ils tournent tous autour de problématiques liées à ma vie, à mes origines aussi, à l'univers dans lequel j'ai grandi, à l'intérêt que je porte à l'Histoire, aux cultures diverses de l'Algérie en particulier, et plus généralement à celles de l'Occident. Je ne me suis interdit aucun sujet, aucune tentative littéraire, aucun genre. Mon seul regret, ne pas avoir écrit de poésie alors que c'était le genre littéraire préféré de ma jeunesse. Vous faites référence à Ulysse dès votre premier roman, et de quelle manière, dans le titre carrément. À ce point vous en êtes marqué? Oui je sais: je l'ai lu à vingt ans et j'ai été tout de suite fasciné par l'ambition extraordinaire du roman de James Joyce. J'ai dû le lire et le relire pendant des années, avant même que d'écrire «Le chien d'Ulysse». Je voulais absolument écrire un roman réaliste et aussi un roman symboliste, à la fois rendant compte du présent et s'enfonçant dans le passé le plus lointain. Sans Ulysse, je n'y serais pas parvenu. J'ai aussi beaucoup lu Kateb Yacine et Faulkner. Je me suis inspiré des deux pour construire mes monologues dans mes romans; ceux-là même qui me valent tant d'incompréhensions de la part de la critique. Mais voilà, on ne se refait pas, surtout pas à mon âge. En plus de James Joyce, quels sont les écrivains qui vous ont le plus subjugué? Kateb Yacine, Faulkner; la plupart des modernistes depuis Flaubert. Pour moi un roman doit être une prouesse littéraire. Je n'ai pas besoin que l'on me raconte des histoires. Comme le disait si bien Céline, des histoires il y en a partout. Je cherche avant tout une voix, un style, une structure romanesque inédite. Je hais les romans! Enfin ceux que l'on veut nous vendre comme une forme de distraction. Donc oui, j'aime lire Juan Rulfo, Roberto Bolaño, Kateb Yacine, Faulkner, Joyce, etc. Certains de vos livres, dont «Le chien d'Ulysse» et «La Kahéna» sont difficiles d'accès aux lecteurs moyens, pouvez-vous nous parler de cet aspect? Un: j'écris pour moi. Deux: je cherche perpétuellement de nouvelles formes de narration, et celles-ci, souvent, ne correspondent pas aux attentes des lecteurs. «Le chien d'Ulysse» et «La Kahéna» trouvent leurs sources à la fois dans l'histoire algérienne, contemporaine et passée, mais aussi dans des livres antérieurs: «Ulysse» et «L'Odyssée» pour «Le chien d'Ulysse», et «Absalon! Absalon!» pour «La Kahéna»... Ce sont des livres exigeants, mais croyez-moi, l'exigence est celle que je me suis imposée avant tout. On peut très bien se laisser porter par les mots, par le rythme de ces livres, sans chercher à en saisir toutes les nuances, comme lorsqu'on écoute une symphonie. On ne vous demande pas alors, de comprendre chaque ligne mélodique, on se laisse juste porter... Pouvez-vous nous parler du livre qui a été publié sur vos oeuvres aux Editions L'Harmattan? C'est le formidable travail d'Agnès Schaffauser, une universitaire de grand talent qui s'est prise de passion pour «Tuez-les tous», mon roman sur le 11 septembre, et que j'ai rencontrée à Paris pour en parler. C'est elle ensuite qui a voulu écrire une monographie sur moi. Je ne peux que la remercier et remercier aussi les universitaires qui se sont penchés sur mes écrits. Pouvez-vous nous parler des recherches universitaires autour de vos oeuvres? Leurs auteurs prennent-ils attache avec vous? Ils m'écrivent parfois pour me rencontrer ou pour me poser des questions. Je le fais quand je le peux. Certains sont devenus de véritables amis que je vois à chaque fois qu'ils passent à Paris. Souvent nous partageons la même passion pour la littérature. «L'été d'un jeune homme» est un livre que vous avez consacré à Albert Camus, parlez-nous de cet ouvrage et de Camus? J'ai écrit un roman sur le jeune Camus des années 30, celui qui vivait à Alger et se considérait comme Algérien. C'est le Camus dont je me sens le plus proche, pas le Camus du prix Nobel et de la guerre d'Algérie. Que dire de plus? Je ne suis pas pour autant camusien. Je ne crois pas en l'absurde même si nos vies sont dénuées de sens. Je ne crois pas que Sisyphe soit heureux, pas plus que l'ouvrier attaché à sa chaîne ou le mineur de cobalt prêt d'y laisser sa peau au Congo ou ailleurs. Je suis fasciné surtout par le Camus malade, incertain et fraternel des années 30 à Alger. C'est tout: aujourd'hui, je le laisserais tranquille à Tipaza. Pensez-vous avoir réussi votre carrière d'écrivain après tous les Prix que vous avez obtenus et compte tenu des qualités littéraires indéniables de vos oeuvres? Non je ne le crois pas. Cela n'a aucune importance. J'ai écrit mes livres parce que j'avais besoin de le faire. Cela m'a beaucoup amusé; mais dans une autre vie, je serai marin! Quels sont les trois plus grands écrivains et romans de tous les temps selon l'écrivain que vous êtes? Homère, Shahrazade, Shakespeare, Joyce et Faulkner. Pourquoi? C'est évident, mais il faut encore les lire. écrire pour vous, est-ce une passion, une thérapie ou bien tout simplement un métier? Ce fut la grande passion de ma jeunesse.