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«Mon prochain roman parle du Prophète Mohammed»
SALIM BACHI, ECRIVAIN
Publié dans L'Expression le 24 - 08 - 2008

Je me suis, bien entendu, basé sur la Sîra et sur les nombreux travaux qui ont été consacrés à ce grand homme et à cette période unique de l'histoire musulmane.
Salim Bachi est né en 1971 à Annaba. En 2001, il publie son premier roman: Le chien d'Ulysse chez la très prestigieuse maison d'édition parisienne Gallimard. Un roman qui obtient, dès sa sortie, plusieurs prix littéraires. Le livre est salué à l'unanimité par la critique. A trente ans, Salim Bachi est un écrivain consacré. Deux ans plus tard, il publie chez le même éditeur, son deuxième roman La Kahena, puis un récit Autoportrait de Grenade et enfin Tuez-les tous. Il vient de finir un roman qui paraîtra en septembre. Un livre qui ne passera sans doute pas inaperçu. Car, en plus du talent de cet auteur, le roman parle du Prophète Mohammed. Aux lecteurs de L'Expression, il parle pour la première fois de ce livre.
L'Expression: Votre prochain roman, dont la parution est programmée par les éditions Gallimard, pour le 4 septembre 2008, porte un titre sensationnel Le silence de Mahomet. S'agit-il d'une biographie romancée du Prophète Mohammed?
Salim Bachi: Il s'agit bien d'un roman sur le Prophète, mais fortement documenté. C'est un roman vrai sur la vie de Mohammad et plus encore sur son entourage proche, ses femmes, Khadija et Aïcha, son ami et premier calife, Abou Bakr, et son général, Khaled ibn al-Walid, qui conquit l'Iraq. Je me suis, bien entendu, basé sur la Sîra et sur les nombreux travaux qui ont été consacrés à ce grand homme et à cette période unique de l'histoire musulmane. Mais je tiens à ajouter qu'il s'agit bien d'un roman, aussi étrange et paradoxal que cela puisse paraître.
En revenant sur la vie de Mohammed, n'avez-vous pas pour objectif, entre autres, de tenter de comprendre ce qui se passe dans les pays musulmans aujourd'hui?
Oui, vous avez raison: écrire sur le Prophète c'est, bien entendu, parler de son temps et de l'Islam actuel. J'ai tenté aussi de partir à la recherche de l'homme de son temps, aux alentours des VIe et VIIe siècles après J.C., de comprendre son époque et son action d'alors, pour saisir l'image que nous nous en faisons aujourd'hui.
C'est un double défi que de vouloir dire le passé et expliquer le présent dans un seul roman. Comme nous le savons tous, Mohammed est lié à la fois au passé et au présent de notre monde. Sa figure déterminera probablement l'avenir de toute la sphère musulmane.
Vous êtes connu pour votre maîtrise phénoménale de la langue française. En Algérie, vous êtes qualifié d'écrivain le plus talentueux de votre génération. Comment êtes-vous parvenu à atteindre un tel niveau et une telle maturité littéraire à un si jeune âge?
J'ai du mal à parler de moi. Et je ne suis pas bon juge concernant mon talent. Disons que j'essaye d'écrire des livres avec la plus grande sincérité et de la meilleure manière qui soit. Est-ce que je le fais mieux ou moins bien que d'autres, et pourquoi? Je ne saurais vous répondre.
Ulysse de James Joyce, représente plus qu'un livre de chevet pour vous. Ce livre semble être une partie de vous-même comme l'illustre si bien le titre de votre premier roman: le Chien d'Ulysse. Que représente Ulysse pour vous et seriez-vous devenu un écrivain avec un tel talent sans avoir lu?
Ulysse m'a montré que l'on pouvait parler de soi et du monde. Que l'on pouvait partir de son petit lopin de terre et s'adresser à tous, enfin à tous ceux qui veulent bien vous lire, bien entendu. J'ai appris à travers ce roman immense, dont la force est incomparable, et que mes livres sont bien loin d'égaler, que chaque homme portait en lui l'histoire de l'humanité.
Que chaque homme était à la fois lui-même, singulier, et tous les hommes qui l'avaient précédé dans la marche des siècles. Un homme qui parcourt Dublin en 1904, c'est un homme dans Alger ou Annaba en 2008. La forme d'une ville change plus vite que le coeur d'un homme!
Dans votre avant-dernier roman, Tuez-les tous, vous avez abordé un thème inhérent à l'actualité immédiate. Vous faites un saut de plusieurs siècles en arrière. Ceci après avoir inauguré votre parcours d'écrivain avec l'Algérie des années rouges. Pourquoi ce besoin pressant de voyager dans le temps et dans l'espace, auquel ne nous ont pas accoutumés les écrivains algériens?
Il y a une logique à cela. Ce ne sont pas les événements en tant que tels qui m'intéressent, ni le temps dans lequel ils se produisent.
Ce qui m'importe, c'est l'effet qu'ils ont sur les hommes. Au début, dans Le chien d'Ulysse et La Kahéna, j'ai évoqué l'Algérie présente et aussi l'Algérie passée, mais j'ai surtout retracé les destins d'hommes et de femmes en prise avec la guerre, le colonialisme, l'histoire réelle ou mythique, ou encore le terrorisme pour Tuez-les tous, et maintenant le fait religieux pour Le silence de Mahomet. Que fait un homme face à une violence insoutenable? Comment survit-il? Comment meurt-il? Comment analyse-t-il ce qui lui arrive? Et qui plus est, s'il en est, l'agent principal comme dans Tuez-les tous? Peut-on être à la fois victime et bourreau comme le personnage de Seyf el Islam dans Tuez-les tous? Peut-on être un colonialiste comme Bergagna dans La Kahéna et se sentir profondément algérien et en plus, avoir mauvaise conscience?
Ou être comme Hocine pendant la guerre, au début des années 90, dans Le chien d'Ulysse, qui n'aspire qu'à vivre sa vie de jeune homme alors que tout concourt à lui nuire? Comment être prophète en son pays, comme Mohammed face aux Qourachites, dans Le silence de Mahomet?
Grâce aux éditions Barzakh, vos livres sont enfin disponibles en Algérie. Comment se sont effectués les contacts avec cette maison d'édition?
Je connaissais Sofiane Hadjadj depuis la parution du Chien d'Ulysse. Nous avions sympathisé et je dirais que par la suite, les choses se sont faites simplement.
Une relation d'auteur à éditeur est avant tout une question de confiance. Sofiane et Selma Hadjadj désiraient que mes livres soient disponibles en Algérie, je le désirais aussi, je leur faisais confiance, voilà. J'ai demandé à mon éditeur de céder les droits à Barzakh, il l'a fait sans aucun problème. J'espère que l'aventure continuera.
Yasmina Khadra, en sa qualité de directeur du Centre culturel algérien à Paris, vous a invité pour présenter vos romans. Il a fallu la nomination d'un écrivain à la tête d'une institution culturelle pour que vous soyez enfin reconnu officiellement en Algérie en tant qu'écrivain alors que vos romans ont raflé une véritable collection de prestigieux prix littéraires en France? Comment interprétez-vous le geste de Yasmina Khadra?
Je l'ai déjà dit et je le redis ici, sans Yasmina Khadra, je n'aurais pas été invité au Centre culturel algérien de Paris avant longtemps. Je l'en remercie donc. Yasmina Khadra est un homme généreux et ouvert qui fera tout ce qu'il peut pour la culture algérienne. Je suis heureux qu'un écrivain, un artiste, soit à la tête d'une institution aussi prestigieuse. Il était temps que l'Algérie honore ses écrivains qui, depuis Kateb Yacine, Mohammed Dib et Assia Djebar, ont fait sa renommée dans le monde.
Le fait que votre premier roman ait été très bien accueilli par la critique littéraire ne vous a pas empêché de persévérer puisque les romans qui ont suivi ont également reçu le même écho. Le succès ne vous a vraisemblablement pas étouffé?
Vous savez, ce n'est sûrement pas le succès qui étouffe un écrivain ou un artiste véritable. Ce sont le mépris et l'anonymat. Et la bêtise! Je me suis toujours senti poussé par la reconnaissance critique qui a accueilli mes premiers romans en France. Sans cette impulsion, j'aurais probablement abandonné, faute de moyens et de désir. C'est pourquoi, quitte à me répéter, l'Algérie a tout à gagner à aider ses artistes et à les mettre en valeur. Ainsi, par un juste et naturel retour des choses, c'est elle-même qu'elle met en lumière.
Est-ce que vous allez revenir à votre ville mythique Cirta pour raconter encore l'Algérie d'aujourd'hui et celle d'hier et pourquoi pas celle de demain?
Oui, je le ferai sans doute un jour. Mais je sais que beaucoup de jeunes auteurs algériens parlent de l'Algérie et la racontent, ou brûlent de le faire. Il suffit juste de les lire et de les aider à continuer.
Pouvez-vous dire comment vous menez votre vie d'écrivain en France depuis dix ans?
Vous savez, un écrivain c'est quelqu'un qui, chaque matin se met à son bureau et tente de donner vie à sa feuille de papier. C'est à peu près mon quotidien depuis dix ans.
Je ne vis pas dans le luxe, loin de là. Mais je ne me plains pas trop non plus parce que je fais ce que j'aime le plus au monde: écrire. Alors en France ou ailleurs, que m'importe! Mais je vous avouerais que j'ai essayé de le faire en Italie, par exemple, et je n'ai pas pu.
Etes-vous nostalgique? Annaba et l'Algérie ne vous manquent-elles pas?
Je crève de nostalgie comme Ulysse sur son rocher. C'est la vie, non?
La gloire littéraire est-elle en mesure de nous faire oublier l'absurdité de la vie et l'impuissance de l'être humain à faire face à la fatalité?
Il n'y a pas de gloire qui tienne. Tout passe.


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