Né le 4 août 1948 à Alger, Pierre Conesa est un essayiste; haut fonctionnaire et chef d'entreprise français. Pierre Conesa est titulaire d'un DEUG en mathématiques et en chinois, agrégé d'histoire en 1974 et ancien élève de l'Ecole nationale d'administration. Il est chargé de cours en histoire contemporaine à l'université Paris-VII entre 1974 et 1980, après son obtention de l'agrégation d'histoire. Sorti de l'ENA en 1982, il devient conseiller de tribunal administratif en 1984. Il est administrateur civil au ministère de la Défense, où il est notamment directeur adjoint de la délégation des Affaires stratégiques, avant de prendre sa retraite en 2015. Il a été directeur général de la Compagnie européenne d'intelligence stratégique en 2005, poste qu'il conservera jusqu'en 2016. En 2009, il est pressenti pour devenir haut responsable chargé de l'intelligence économique, un poste qui n'est toujours pas pourvu. Il est ensuite membre de la fondation Res Publica. Il a été maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris 8. Il est rédacteur du premier plan stratégique de soutien aux exportations d'armements, et a créé le campus de défense de l'Ecole militaire. Enfin, Pierre Conesa est fondateur et président de la société Homid, spécialisée en intelligence économique, conseil, communication et relations publiques. L'Expression: Avec son système d'espionnage notamment Pegasus, ses accords militaires avec Israël, puis sa pratique de corruption au niveau du Parlement européen par rapport à la question sur le Sahara occidental, le Maroc n'est-il pas en train de provoquer l'Algérie, voire de déstabiliser un peu la région? Pierre Conesa: Pour déstabiliser qui? L'Algérie? Je ne sais pas s'il y aura un effet de déstabilisation sur l'Algérie. Ce qui est certain, ça se révèle avec ce que j'ai écrit sur le lobby saoudien en France, c'est que les démocraties sont toutes aujourd'hui, victimes de ce genre de politique des pays du Moyen-Orient, pour se construire une image. Saddam Hussein le faisait à son époque, de la même manière, il distribuait beaucoup d'argent. Ce genre de procédés pourrit la démocratie. Quand vous allez au Parlement européen qui va défendre partout les droits de l'homme et que l'on découvre une valise chez un collaborateur d'un commissaire, là il y a quelque chose de beaucoup plus préoccupant. Mais l'Algérie n'a pas manqué de dénoncer les accords avec Israël... Oui bien sûr, cela dit vu la distance qu'il y a entre l'Algérie et Israël, il ne devrait pas y avoir de guerre avant longtemps. Mais évidemment, ce n'est pas à vous que je vais expliquer que le Monde arabe fonctionne par binôme, la Syrie contre l'Irak, l'Arabie saoudite contre les Emirats. Vous dites déjà que nous, nous avons du mal à prendre en compte la globalité de la planète, mais dans le Monde arabe ce qui préoccupe c'est qu'est-ce que fait le voisin. La rivalité entre l'Algérie et le Maroc, est totalement incompréhensible. Mais peut-on estimer que les relations algero-françaises sont pas profondément affectées par ces fluctuations politiques? Ces derniers temps on a pu voir des militaires français se déplacer plusieurs fois, mais Paris cherche à conserver l'équilibre. De temps à autre on peut voir des tensions, mais en réalité en profondeur, c'est comme s'il n'y avait rien. Si vous voulez, nous nous sommes trouvés dans la vague des attentats et de la radicalisation du monde musulman français. Quand un individu était condamné, pour acte de terrorisme, il était normalement expulsé par voie de justice. Mais, pour pouvoir le renvoyer dans son pays, il faut un laissez-passer consulaire, il faut alors que le pays accepte de le reprendre. À partir de 2015, la Cour de justice européenne a imposé une autre condition. C'est que le pays qui expulse garantisse que le prisonnier soit bien traité dans le pays d'accueil, sinon il ne faut pas l'expulser. C'est donc une situation absolument incroyable, parce que vous avez des individus qui ont été condamnés pour faits de terrorisme qu'on ne peut pas expulser dans leur pays d'origine, parce que ceux-ci ne veulent pas les recevoir. C'est ce qui se passe notamment avec l'Algérie, alors que deviennent ces personnes? On les appelle les Oqtf (obligation de quitter le territoire français). Obligation c'est une façon de parler, car ils sortent de prison et l'on leur dit: «À présent vous avez un mois pour rentrer chez vous». Sur cette affaire des Oqtf, l'on aboutit à un résultat très étonnant. Vous avez un cas qui vit en France depuis 12 ans. Payé par la République, nourri, logé, blanchi et on ne peut pas l'expulser. Bloqué par la jurisprudence européenne, vous avez aujourd'hui des terroristes condamnés expulsables qui vivent mieux que des SDF français. Parce que le SDF à droit au RSA, mais on ne le loge pas, on ne le nourrit pas. Vous comprenez alors, l'aberration du droit de l'expulsion. Et qu'en est-il des relations entre la France et l'Algérie? Je voudrais que vous fassiez passer le message suivant: il ne faut pas crisper les relations des deux côtés de la Méditerranée. De toute façon on a toujours des choses à se reprocher, mais on peut facilement reconstruire un lien pacifique. Prenez un épisode historique: la France et l'Allemagne ont eu trois guerres, la dernière particulièrement dramatique telle que vous la connaissez. Il y a deux hommes d'Etat De Gaulle et Adenauer qui décident d'arrêter la bataille et ils vont préparer le traité de l'Elysée, c'est-à-dire la réconciliation franco-allemande. Quand De Gaulle a eu l'idée d'accueillir Adenauer, il savait combien les cicatrices étaient profondes. Alors si la France et l'Allemagne ont pu se réconcilier. C'est aussi possible entre l'Algérie et le Maroc... C'est une question de dimension d'hommes d'Etat, quand les dirigeants expliquent à leurs populations que ça suffit car il y a d'autres priorités. Cela permettra le décollage économique des zones les plus déshéritées du Maroc par exemple, car au Maroc il y a des endroits où la population est misérable. En Algérie, il y a la ressource pétrolière mais au Maroc il n'y a rien de tel. Des hommes d'Etat doivent décider la fin des hostilités, car il y a beaucoup de défis à mener et qui pourraient trouver des solutions. Dans une initiative comme celle-ci, quand vous pensez que les Chinois vont réconcilier les Iraniens et les Saoudiens, je me demande à qui il faut faire appel, au Brésil ou au Nicaragua pour faire une médiation entre l'Algérie et le Maroc. C'est la responsabilité des classes politiques des deux pays de faire quelque chose. Concernant le Sahel, n'est-il pas temps pour les Occidentaux, d'adopter une autre méthode plutôt que les opérations militaires? La plupart des grandes entreprises françaises Ariva, Lafarge, Total etc. sont installées dans certains pays africains, pourquoi n'y a-t-il jamais eu de traitement économique appliqué pour ces Etats? Regardez la géopolitique mondiale. Ce qu'on appelait il y a une vingtaine d'années le tiers-monde, a complètement explosé. La Chine a fait son envol économique, ainsi que des pays d'Asie du Sud-Est: la Corée du Sud est la 8e puissance mondiale, la Malaisie aussi a prospéré. La question qui se pose est: pourquoi ce décollage dans ces pays et pourquoi pas ailleurs? On se trouve devant un paysage très différencié. Le pays pétrolier vit de la rente, récupère les fonds et les distribue, ainsi la population se tient tranquille, mais on ne pratique pas de décollage économique, on ne le démarre pas. Finalement, pourquoi devenir un homme d'affaires si l'on peut vivre, sans effort, de la rente pétrolière? Beaucoup d'intellectuels musulmans et en particulier arabes, s'interrogent sur cet échec du monde arabo-musulman. On sait trouver Israël, la France, l'Amérique pour expliquer les malheurs, mais cela ne dit pas pourquoi ils ont raté le décollage économique? C'est pourtant la question fondamentale. Pour les Sud-Coréens, la capitale est à 50 km de la frontière, c'est-à-dire que le premier tir de missile des Nord-Coréens tombera sur Séoul. Ces gens ont vécu sous la menace de la guerre et pourtant leur envol économique est absolument fascinant, il en est de même pour la Malaisie etc. C'est pourquoi l'interrogation majeure des intellectuels du monde arabo-musulman est de savoir pourquoi, eux, ont raté ce décollage économique, et pourquoi en accusant les autres, ils se trouvent toujours une bonne excuse. Pour répondre à cela, il faudrait envisager un travail de fond avec des universitaires et des hommes politiques...