L'Expression: Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs? Farida Sahoui:Je suis née en 1972 à Azazga, je suis diplômée en tourisme-hôtellerie de l'Institut des techniques hôtelières et touristiques (Intht) de Tizi Ouzou. Passionnée d'histoire, préoccupée et soucieuse de ma culture et de mon identité, j'ai publiée quatre livres: «Familles kabyles d'Algérie en Tunisie: hommage et témoignage» (2017); «Jugurtha, Histoire d'un peuple» (2018-2019), en trois langues; «Sur les traces des Kabyles exilés en Tunisie» (2021); «Tamazgha: terre des nobles et des résistants» (Talsa Editions, 2023). Comment est née votre passion pour l'histoire? À l'âge de l'adolescence, j'étais entourée de livres, magazines et revues. Suite à mes différentes lectures je me suis retrouvée attachée au début à tout ce qui est art et culture. Par la suite, je découvre pendant mes études à l'Institut (Intht) la mythologie et l'histoire de la civilisation, ce qui provoque en moi un intérêt particulier à la civilisation méditerranéenne à savoir la civilisation égyptienne, grecque et romaine. Quand on a appris sur la fin tragique du peuple des Etrusques cela m'a révolté de l'intérieur en me posant cette question: comment peut-on exterminer tout un peuple et une partie de la civilisation humaine juste parce qu'on est un peuple de paix et non de conquête? Pour cela, dans mes écrits, la quête d'une approche nouvelle pour l'écriture de l'histoire et sa réappropriation m'habite. Parlez-nous de votre récent livre consacré à Tamazgha... L'ignorance de l'apport du peuple berbère à la construction de la Méditerranée et le problème identitaire en Afrique du Nord créé par des forces étrangères m'ont poussée à aller dans différentes lectures à la quête d'arguments de réponse contre toute tentative d'effacement de notre identité et la place que nous occupons dans le monde antique et celui d'aujourd'hui. Comme les gens de ma génération, j'ai vécu la question identitaire comme un problème majeur. Je me posais des questions sur le sort de toutes les identités menacées dans le monde et pourquoi on a peur des peuples autochtones? Je me pose tellement de questions aussi de voir sur les langues maternelles: faut-il attendre de voir ces langues mourir pour en parler? Ce sont toutes ces questions, et d'autres, qui ont donné naissance à mon livre. «Tamazgha: terre des nobles et des résistants» est une nouvelle relecture (ou une réécriture!) de notre histoire millénaire, mais malheureusement souvent négligée pour des raisons multiples. Je parle de la Méditerranée, de l'Afrique, et de l'apport de notre peuple à la civilisation humaine. J'y évoque avec fierté mon appartenance au peuple amazigh en citant des noms d' hommes et de femmes qui ont tellement donné pour la patrie et nous ont légué un patrimoine riche et qui ont également donné tellement aux autres pays, que ce soit dans l'Antiquité ou actuellement, comme les Grecs, les Romains et les Français... Le côté culturel et artistique est présent d'une manière aussi intéressante. En résumé, à travers mon nouveau livre «Tamazgha: terre des nobles et des résistants», je suis à la recherche d'une lecture nouvelle plus accessible au large public, car on a une belle histoire qu'il faut écrire et bien raconter... Votre livre est le premier ouvrage à avoir été édité par la nouvelle maison d'édition Talsa, parlez-nous de cette dernière... Effectivement, «Tamazgha: Terre des nobles et des résistants» est le premier livre édité par Talsa Editions. C'est une nouvelle maison d'édition sise à Tizi Ouzou, créée récemment (en avril 2023) par un groupe de jeunes passionnés du livre et du savoir, dont fait partie mon frère Hamza, en tant que responsable d'édition, et moi-même. Talsa Editions est venue enrichir le paysage littéraire et livresque. Elle a jusqu'à présent édité trois titres: le mien, «Tamazgha: terre des nobles et des résistants», «Tid yuran», un recueil de nouvelles de l'auteur Djamel Mahroug et «Tiziri», réédition du roman de Zohra Aoudia. Me concernant, travailler avec Talsa Editions, cela me permettra de régler pas mal de soucis liés à l'édition du livre et à sa distribution. Et comme première expérience, je peux dire que je suis satisfaite de la qualité du travail réalisé par l'équipe Talsa à qui je souhaite une bonne continuation. Vous êtes aussi l'auteure d'un livre sur les familles kabyles d'Algérie en Tunisie, paru en 2017, pouvez-vous revenir sur cet ouvrage? Pour mon livre sur les familles kabyles en Tunisie «hommage et témoignage», c'est une petite contribution de ma part pour rendre hommage à quelques familles chassées de chez elles pendant la colonisation française. Je l'ai fait suite à la demande de la famille Zouaoui de Tigzirt et Amraoui de Tizi Ouzou, des familles que j'ai rencontrées par hasard à Tunis et qui ne cessaient de me raconter l'histoire de leurs familles que j'ai portée modestement sur papier en 2017. Pourquoi avoir consacré un second livre au même sujet en 2021: «Sur les traces des Kabyles exilés en Tunisie»? À la sortie du livre en 2017, j'ai pensé avoir accompli une mission, celle d'évoquer l'histoire méconnue de notre peuple. Mais je constate que des faits politiques et sociaux doivent être écrits aussi. En effet, j'ai été très sollicitée sur ce sujet par plusieurs personnes qui veulent témoigner sur leurs proches exilées; d'autres pour m'apporter d'autres informations et documents traitent de ce sujet. «Sur les traces des Kabyles exilés en Tunisie», édité en 2021, se veut donc une suite du premier qui est venu le compléter. Mon second livre consacré au sujet des Kabyles exilés c'est pour emprunter leur chemin pour parler par exemple du traité du Bardo, du retour de certaines familles et de la vie sociale et politique de notre communauté en Tunisie. J'ai mis en évidence l'héritage culturel et intellectuel de notre communauté installée en Tunisie. J'ai parlé longuement du travail de la famille Amrouche dans le domaine culturel et artistique, que ce soit dans la radio, la presse écrite, la littérature. J'ai souligné aussi les positions politiques prises par cette famille, notamment la position de El Mouhoub Amrouche par rapport à l'indépendance de l'Algérie et son attachement à la ville de Tunis, ainsi que la difficulté de s'adapter à la société tunisienne, décrite par sa mère Fadma At Mansour. Sans oublier le roman de Taos Amrouche «Rue des Tambourins» qui parle d'une tranche de leur vie à la rue de la rivière et Rades, la dernière ville qu'ils ont fréquentée. J'ai évoqué aussi des hommes de notre communauté qui étaient à la tête des clubs sportifs tunisiens, en l'occurrence: L'Espérance de Tunis et le Club Atlantique de Bizert... Le devoir de mémoire d'aller chez des gens simples pour recueillir leurs témoignages et raconter des détails parfois insignifiants, ayant marqué leur exil, m'a beaucoup motivée. C'est important de rapporter tous ces détails qui ont fait le vécu de ces gens, d'évoquer des anecdotes, des chants et des proverbes qui les ont aidés à supporter leur éloignement des leurs; c'est ce qu'on retrouve dans mon troisième livre «Sur les traces des Kabyles exilés en Tunisie». Comment est née l'idée de consacrer un livre au roi numide Jugurtha et pourquoi l'avoir publié en trois langues? Même si je m'intéresse de près à tout ce qui a un lien avec notre histoire, celle de Jugurtha est une histoire fascinante. La vie de Jugurtha rassemble tous les ingrédients du patriotisme et de la loyauté, mais aussi la tragédie de notre peuple suite à la trahison subite par le roi. Pour expliquer pourquoi lui avoir consacré un livre, je dois revenir des années en arrière, plus précisément, au début des années 90. J'ai trouvé dans un journal que l'ABC amazigh consacrera un numéro spécial à Jugurtha, sans tarder, je prends contact avec l'édition Juba II leur commandant un exemplaire. De ma lecture, je découvre l'histoire de cet homme, le petit-fils de Massinissa, son adoption par Micipsa et ses batailles avec ses deux cousins Hasdrubal et Himpsal. Je découvre aussi avec honte et tristesse la trahison faite par son beau-père Bocchus. Ce qui m'a affecté le plus c'était l'atrocité de la prison où il avait passé ses six jours de détention. À Mamartino, le roi perd ses forces et son espoir de retrouver sa liberté. J'ai été touchée de lire sur cette prison romaine où le roi était atrocement torturé dans un coin infecte à 20 mètres au-dessous. Mais, j'ai lu aussi sur la relève de sa descendance en appellent leurs enfants par admiration «Jugurtha». Pour moi, Jugurtha représente l'esprit de dignité et une âme pure vidée de toute impureté, il demeure une personnalité patriotique nationale qu'il faut bien connaître... Je lui ai consacré un livre écrit en trois langues pour permettre la lecture de son histoire à un large public! Comment sont accueillis vos livres par les lecteurs? Mes livres sont bien accueillis du fait que j'évoque des sujets à la fois nouveaux et préoccupants. Par exemple, le thème sur les Kabyles exilés en Tunisie est inédit et les deux livres que je lui ais consacrés ont fortement intéressé le public. Je pense que les lecteurs ont besoin de lire des choses plus proches d'eux, qui leur parlent d'une manière simple sans démagogie ni détour. Je reste convaincue que notre mémoire doit être écrite par nous-mêmes si on veut sortir de l'emprise culturelle coloniale. D'où la nécessité d'écrire notre histoire, la faire connaître et la rendre accessible à tous. Quel sera le thème de votre prochain livre? Mon prochain livre se penchera sur une période pas loin de la nôtre. Ça sera un roman qui traite de la condition de la femme et le doute qui fera sa loi pour renier une vérité, ou plusieurs, et faire d'une mère un sujet. Dans ce roman, je parle de l'honneur et du déshonneur, de la guerre, de la misère et le manque en tout dans nos villages kabyles. Je décris également des moments de joie malgré toutes les tempêtes qui peuvent surgir sur le quotidien des habitants. Un roman écrit dans ma langue maternelle pour raconter le vécu de notre société dont on ne parle pas assez. Une histoire construite à partir de faits et personnages réels à découvrir bientôt!