En décidant d'enlever le drapeau irakien de la région autonome kurde, Massoud Barzani engage un bras de fer avec Baghdad. En décidant de remplacer le drapeau de l'Irak par celui du Kurdistan, le président de la région autonome kurde, Massoud Barzani, semble avoir écorché le consensus existant jusqu'alors entre les principaux acteurs politiques dans un Irak plus que jamais marqué par la gangrène de la violence, et pris, ainsi, le risque de réveiller les démons qui guettent un pays qui a mal à son identité. Or, en décidant de hisser le drapeau du Kurdistan, en lieu et place de l'emblème national irakien, le président du Kurdistan a touché à un problème très sensible qui heurte les sentiments des Irakiens sunnites et chiites notamment. Tout a commencé dimanche lorsque le gouvernement du Kurdistan avait donné ordre que seul le drapeau kurde flotte désormais sur les bâtiments publics de la région autonome. Une décision lourde de menace et qui ouvre des plaies mal cicatrisées dans un Irak toujours à la recherche de sa stabilité. «Dans les régions où le drapeau baâssiste était arboré, nous ordonnons qu'il soit ôté et remplacé par le drapeau kurde» avait demandé, dimanche, le gouvernement régional kurde dont le président est Massoud Barzani. Le drapeau irakien (trois bandes rouge, blanche et noire agrémentées de l'inscription en arabe ‘'Allah Akbar'' ajoutée en 1991 après la première guerre du Golfe par Saddam Hussein) est ainsi assimilé par les Kurdes au régime honni du Baas irakien. Après la levée de boucliers et la colère exprimée par le Premier ministre Nouri Al-Maliki, Massoud Barzani a affirmé n'avoir pas «(...) pris seul cette décision» ajoutant, se référant en fait aux sunnites les plus attachés au symbolisme du drapeau irakien, que «ceux qui s'opposent à cette décision sont des gens chauvins, incapables de gérer leurs régions et qui veulent importer leurs problèmes au Kurdistan. Mais le temps des menaces est révolu et nul ne peut contraindre le peuple kurde à agir contre son gré». Le problème n'est pas simple d'autant plus qu'il met en péril l'unité nationale très fragilisée, alors que la décision d'amener le drapeau irakien creuse un nouveau fossé entre les communautés irakiennes quand le choix du drapeau futur de l'Irak, inscrit dans la loi fondamentale du pays, doit faire l'objet d'un consensus entre les diverses communautés et confessions de l'Irak. De fait, la réaction de Nouri Al-Maliki reflète quelque peu la colère ressentie en Irak. Le Premier ministre avait, ainsi, ordonné à son tour, dimanche, à ce que soit hissé sur «chaque centimètre» du territoire le drapeau national, comme l'indique un communiqué du Premier ministère qui précise que «le drapeau irakien actuel doit être hissé sur chaque centimètre de terre irakienne, tant que le Parlement n'aura pas pris de décision à ce sujet, conformément à la Constitution». Le président irakien, le Kurde Jalal Talabani, est entré hier dans la controverse, déclarant dans un communiqué qu'«il y a un vide constitutionnel autour du drapeau officiel irakien, qui n'a pas été officiellement défini. C'est ce qui a conduit le Parlement kurde à adopter son propre drapeau en attendant l'adoption d'un nouveau drapeau irakien». Certes, mais pris entre deux chaises, son propre sentiment, que reflète le rejet d'un «drapeau de Saddam» qu'il estime «souillé par le sang» et le sentiment général irakien qui manifeste son attachement au drapeau national, Jalal Talabani se trouve quelque peu coincé, même s'il a tenté hier d'apaiser les esprits et le débat. Un débat de fait ouvert au lendemain même de la chute du régime de Saddam Hussein lorsque le gouvernement transitoire irakien, sous l'administration de l'Américain Paul Bremer a tenté d'imposer un drapeau quasiment frère jumeau de celui d'Israël, représenté par deux bandes bleus désignant les deux fleuves qui coupent l'Irak, l'Euphrate et le Tigre, avec au centre une bande jaune (pour les Kurdes) et un carré blanc avec à l'intérieur un croissant censé représenter la communauté musulmane, drapeau rejeté alors par la majorité des Irakiens qui se sont élevés contre la tentative en 2003 de la coalition en Irak, menée par les Etats-Unis, d'imposer ce nouvel emblème dans lequel les Irakiens ne se retrouvaient pas. En avril 2005, Jalal Talabani avait bien prêté serment en tant que président sur le drapeau irakien, mais il avait exprimé des réserves et le souhait d'un changement de l'étendard national. M.Talabani, exprimant en fait le souhait des Kurdes avait indiqué peu après son élection à la tête de l'Etat irakien, qu'«il y aura certainement un nouveau drapeau, car la bannière actuelle est celle de Saddam Hussein». La décision de Massoud Barzani de hisser le drapeau kurde à la place du drapeau irakien, intervient en tout état de cause à contre-courant et relance un débat qui s'annonce difficile alors que l'Irak avait le plus besoin de se concentrer sur une situation sécuritaire déplorable, le débat sur cette question, combien sensible, pouvant être reporté au retour de la paix, de la stabilité et de la sérénité au pays.