L'Expression: Pouvez-vous nous donner vos impressions concernant le colloque de Béjaïa sur Djamel Allam, auquel vous avez pris part? Abdelkrim Tazaroute: C'est avant tout une très bonne initiative du Centre de recherches en langue et culture amazighes. Les initiateurs sont à féliciter et à encourager, il y a des manques et des améliorations à apporter, mais il faut reconnaître qu'ils ne sont qu'à leur deuxième colloque après celui consacré à Idir. Je pense qu'il faudrait changer le lieu et l'organiser en ville, à laMaison de la culture ou au théâtre pour que le public puisse assister à l'aise sans avoir à se déplacer. Pour le colloque de Djamel Allam, il y a eu de bonnes interventions, des communications de qualité et en outre ses amis musiciens et le chanteur Yacine Zouaoui ont eu l'opportunité de rendre hommage à leur ami. En quoi a consisté votre intervention? C'était le choix des organisateurs qui m'ont demandé de parler de mon expérience dans l'écriture de la biographie que j'ai consacrée à mon ami Djamel Allam. Moi, je voulais intervenir sur ses compositions, une étude sur sa musique et sur les thématiques de son riche répertoire qui se distingue par les références répétées à la guerre de libération, aux droits de la femme, à la lutte contre l'ignorance et l'intégrisme religieux, mais aussi à l'amour qu'il porte à sa ville natale Béjaïa et à son pays l'Algérie et dire enfin que la majorité de ses chansons sont autobiographiques. Djamel Allam est un artiste pluridisciplinaire, pouvez-vous nous parler de cet aspect? Djamel Allam est un artiste complet, un touche à tout qui avait plusieurs flèches à son arc. Il a eu la passion pour la chanson et il a fait le conservatoire de Bejaïa, dirigé par un monument de la chanson andalouse Cheikh Sadek Lebdjaoui. Il a aimé le théâtre et avec une bande d'amis, ils ont monté et joué des pièces en amateur avant qu'il ne se décide de créer avec d'autres amis musiciens un groupe de musique moderne où il était bassiste. Ce groupe animait des bals à La Grande Terrasse du côté de Tichy. La suite tout le monde sait qu'il a essentiellement fait une carrière d'auteur, compositeur et interprète avant que le grand public ne le découvre compositeur de musique de film puis acteur dans au moins dix longs-métragse dont «Les Sacrifiés» de Okacha Touita où Djamel Allam a partagé la vedette avec deux monstres sacrés du théâtre et du cinéma, Sid Ali Kouiret et Miloud Khatin. Sa dernière apparition sur grand écran, c'était dans le film «Ben Boulaïd» d'Ahmed Rachedi où il a campé le rôle d'un imam. Puis il est passé à la réalisation avec succès et son court-métrage «Banc public» a obtenu en 2013 l'Olivier d'or du festival du film amazigh de Tizi Ouzou. Djamel était en préparation d'un long-métrage qu'il devait écrire et réaliser avec le cinéaste Rachid Benallal. Il aurait pu aussi être artiste peintre tant il aimait la peinture, la poésie et les livres. Etait-il réellement le tout premier chanteur kabyle, bien avant Idir et les autres à avoir modernisé la chanson kabyle? C'est de notoriété publique. Il n'y a que les sceptiques qui ne veulent pas reconnaître la réalité. De son vivant, Idir a déclaré sur Berbère TV, qu'il ne remerciera jamais assez Djamel Allam parce que: «c'est grâce à lui que je suis devenu chanteur». Il est clair comme l'eau de roche que Djamel Allam était le précurseur de la chanson moderne kabyle et il a ouvert une voie royale aux autres postulants à la chanson, à savoir Idir, Nourredine Chenoud, Imazighen Imoula, Inaslyen, Tagrawla, Menad et tant d'autre. C'est lui qui a pris exemple de Bob Dylan et de Brassens et Moustaki et qui a démontré aux Algériens que l'on peut faire de la musique avec une guitare et une voix. En quoi a consisté concrètement l'innovation apportée par Djamel Allam à la chanson kabyle? Son apport est immense. Aujourd'hui cela peut paraître simple mais il fallait que quelqu'un y pense et le matérialise. Djamel Allam est venu avec sa guitare, sa poésie et sa musique et humblement, il est venu dépoussiérer la chanson kabyle avec une écoute plus moderne et des chansons qui étaient dans l'air du temps. Il ne faut pas oublier que notre artiste a été violemment secoué par un redoutable agitateur culturel, M'hamed Issiakhen qui, un soir d'été du début des années 70, lui a lancé son tonitruant reproche: «Chante dans ta langue petit con»! La nuit, seul dans sa chambre, Allam a perdu son sommeil et il a pris un stylo, une feuille blanche et sa guitare et au petit matin «Irtsru» est né. Djamal Allam et Idir sont nés en tant que chanteurs à Morreti pourrait-on dire. Etait-il le compositeur des musiques de toutes des chansons qu'il a interprétées ou bien a-t-il fait appel à d'autres compositeurs concernant certains titres? Djamel Allam est auteur, compositeur et interprète de la très grande majorité de son répertoire. Il fait appel à des arrangeurs avant d'enregistrer ses albums. Il est perfectionniste et il jugeait utile de faire appel à Boudjemia Merzak, Safy Boutella et à Bazou, des chefs d'orchestre et des compositeurs. Donc, ce sont des arrangements. Pour «Djawhara», il a pris sa musique du film «Salut cousin» signée Safy Boutella et réalisé par Merzak Allouache avant de demander à Kamel Hamadi de lui écrire le texte. Pour rendre hommage à son ami El Hachemi Guerouabi, il a sollicité Hafid Djouama pour écrire et composer «Khouya El Hachemi». Ce sont deux uniques fois! Djamel Allam a rendu hommage à de nombreux maîtres de la chanson algérienne, dans ses chansons, peut-on en savoir plus? Djamel Allam est un artiste qui a toujours rendu hommage aux chanteurs de talent. Il a honoré la mémoire de Cheikh Saddek Lebdjaoui, son professeur au conservatoire en reprenant parfois une de ses chansons en kabyle. Il a fait la même chose pour El Hadj M'hamed El Anka dans «Gatlato», Guerouabi dans «Khouya El Hachemi». Il a repris «Atir el kafss» de Hsissen, «À yemma azizen» de Farid Ali. C'est une reconnaissance à ses pairs, ceux qui l'ont devancé. Pour les lecteurs qui n'ont pas encore pris connaissance de votre livre consacré à Djamel Allam, pouvez-vous nous dire de quoi il s'agit au juste? La biographie de Djamel Allam est éditée par l'Anep dans la collection, Le beau livre, donc avec du papier de qualité et avec des illustrations, des photos. L'ouvrage que j'avais écrit évoque l'enfant terrible de Yemma Gouraya dans le premier chapitre, les années seventies, années fastes, dans le second, une vie inachevée dans la troisième partie et enfin son décès et les hommages de ses proches et de ses amis chanteurs ainsi que de la presse. À cela, il faut ajouter la traduction de quatre chansons en français. Donc sa vie privée, son enfance, ses premiers pas dans la musique, ses premiers succès et autres analyses et anecdotes.