L'allégorie a toujours été une subtilité artistique pour suggérer la Vérité dans l'Etrange. Un des plus beaux exemples de la littérature universelle, nous est offert par l'immense Horace dans une de ses «Odes» (i, xiv) quand il compare la république avec un vaisseau battu par les vents. Cette forme d'expression, si vivante dans la lointaine littérature arabe et si caractéristique de l'intelligence humaine, parler par images inouïes, permet à Abderrahmane Zakad d'expliquer clairement, dans son recueil de nouvelles Le Vent dans le musée (*), ce que tout le monde voit s'animer devant ses yeux et ne sait quoi en dire. Le paradoxe est que l'auteur «dédie ce livre à ceux qui ne lisent pas», tant il est vrai que, chez nous, il faut le reconnaître, beaucoup, en proie à un complexe fatalement stupide, cultivent le mépris de la lecture et peu lisent et, liraient-ils, c'est souvent du bout des yeux et avec, la réserve de ce mot silencieux, une moue d'enfant terrible. Zakad a déjà publié Trabendo, Un Chat est un chat et Les Jeux de l'amour et de l'honneur. Je ne sais en parler qu'avec passion, et c'est là peut-être mon point faible. Si l'on connaît l'homme, ses qualités et ses défauts, s'il y est sans ruse et sans profit, cela suffit pour comprendre que la nature humaine mérite toujours le respect. Urbaniste de formation, ayant pris sa retraite professionnelle pour entrer dans une autre consacrée à l'écriture, Abderrahmane Zakad structure chacune de ses oeuvres comme une suite d'édifices littéraires. L'ensemble de ces édifices s'intègre dans un plan de langage et de communication où l'architecte circule et nous y fait circuler avec la nonchalance du promeneur averti et curieux, tantôt homme de l'art, observateur attentif et sévère avec raison, tantôt citoyen au regard doux et généreux posé sur les êtres et les choses, tantôt écrivain à l'humour courtois envers tout ce qui lui est cher, son pays et les siens, coûte que coûte. Pour nous dire ce qu'il aime et ce qu'il répudie, Zakad a choisi un genre littéraire difficile: la nouvelle. Il nous propose vingt et une nouvelles. La première, Le vent dans le musée, donne le titre à son recueil. C'est le texte phare de son propos descriptif, au style alerte, au ton simple et nerveux; il éclaire et oriente toutes les autres. Voyons: «Le vent d'est et le vent d'ouest se rencontrèrent, se joignirent, enfin, pour former une grosse boule, plus dense, plus décidée [...] La grosse boule de vent prit la direction du Jardin d'Essais, s'infiltra en un sifflement métallique à travers les grilles du parc et se dispersa [...] Tôt le matin, le jardinier, en entrant dans la villa Abdeltif, fut ébahi de trouver, sortie de la salle des expositions, une statue en marbre et un tableau jamais vu. [...] C'est depuis que la villa «mauresque» cessa d'insuffler l'esprit des lieux, les artistes n'y venant plus.» Les autres nouvelles sont des portraits, des scènes de vie sociale, de vie tout court au quotidien, où l'on n'en peut plus de silence et de refoulement, où l'on a besoin de dire ce que l'on voit, même ce que l'on vit. Zakad peut s'autoriser de tout, comme tous les Algériens, il est Algérien, et grâce à cela ou à cause de cela, il n'est pas l'écrivain d'imagination, car tout lui est motif à toucher le pouls du citoyen et à en appeler à soulager sa peine. C'est ainsi que dans la deuxième nouvelle, Le Conseil des ministres, l'ordre du jour porte sur trois points: «La question de la pomme de terre vendue dans les marchés, pleine de terre, le problème de la longueur des queues d'artichaut et l'épineuse question du saumurage des anchois. Toutes ces questions perturbatrices concernaient la ménagère truandée par des commerçants malhonnêtes soit sur le poids, soit sur la qualité. Et la ménagère, c'est d'abord une femme dont il faut respecter la liberté entamée par "les Lois de l'Homme", ensuite une mère de famille avec des enfants qu'il faut nourrir correctement. Et les enfants poussent, grandissent, deviennent des hommes et votent. Il est donc important de bien les nourrir et les exulter pour qu'ils vivent afin que, plus tard, ils votent comme il convient.» Le Vent dans le musée, sous une construction habile et littéraire, essaie de décrire, sans autre exigence que de donner l'illusion du réel, tout ce qu'un citoyen peut vivre à une époque donnée. (*) LE VENT DANS LE MUSEE de Abderrahmane Zakad Editions Alpha, Alger, 2006, 210 pages.