Neuf pays musulmans ont demandé au pape des «excuses claires et franches» pour apaiser les esprits. Les ministres d'Irak, d'Arabie Saoudite, de Jordanie, de Bahreïn, de Syrie, d'Egypte, du Koweït, d'Iran et de Turquie, réunis lundi à Djeddah pour sécuriser leurs frontières avec l'Irak, qui subit de plein fouet les relents des «chocs des civilisations», ont demandé au pape Benoît XVI des «excuses claires et franches». Au même moment, le Premier ministre de Malaisie, Abdullah Ahmad Badawi, a soulevé la question lors d'entretiens avec Bush en marge des travaux de l'Assemblée générale des Nations unies. Le directeur pour l'Asie orientale au Conseil de sécurité, Dennis Wilder, a rapporté que Bush a «noté» que le souverain pontife avait exprimé ses regrets et «que le pape était sincère dans ses propos», en précisant que «la discussion en est restée là». Bush doit rire sous barbe. La plus haute autorité religieuse catholique vient de lui offrir un soutien inespéré. La déclaration papale intervient juste après la défaite cuisante qu'a infligée le Hezbollah à l'armée israélienne, son principal allié au Moyen-Orient, au moment où le Vatican ouvre ses archives pour permettre aux chercheurs de se renseigner sur le pontificat de Pie XI qui couvre la période de l'entre-deux guerres. Mais le nouveau pape n'a pas péché par ignorance. Il a parlé en connaissance de cause lorsqu'il a tenu sa longue conférence en Allemagne, en citant un dialogue entre l'empereur byzantin, Manuel II, Paléologue (1350-1425) et un persan musulman érudit. Après coup, il s'est dit «vivement attristé par les réactions suscitées par un bref passage de mon discours (...) considéré comme offensant pour la sensibilité des croyants musulmans alors qu'il s'agissait d'une citation d'un texte médiéval qui n'exprime en aucune manière ma pensée personnelle». L'éditorialiste de La Stampa, Gian Enrico Russoni, exclut «une erreur de communication» ou «un simple malentendu». Il considère qu'«un bon professeur n'a pas recours à une citation meurtrière (...) sans remettre de manière critique la même citation dans son contexte». De son côté, Sandro Magister, vaticaniste de l'hebdomadaire L'Espresso, affirme que Benoît XVI, ancien gardien rigoureux de la doctrine catholique, est partisan de «moins de diplomatie et davantage d'Evangile», à la différence de Jean Paul II qui communiquait habilement avec tous les leaders religieux. «C'est ce critère, moins de diplomatie et davantage d'Evangile, qui a conduit le pape à prononcer, au cours de son voyage en Allemagne, des paroles politiquement aussi incorrectes et potentiellement aussi explosives», souligne-t-il. El Mundo (centre-droit) en Espagne, relève une nette rupture entre les deux pontificats sur la question de l'islam. «Jean-Paul II avait mis du temps à apaiser les contradictions entre les principales religions. En ce qui concerne l'Islam, Joseph Ratzinger a gâché d'un seul discours tout le travail de son prédécesseur», écrit El Mundo. La stratégie du Vatican envers l'islam est «à reconstruire entièrement (...) Déjà dans sa messe inaugurale, Benoît XVI a annulé toute référence aux rapports fraternels avec le monothéisme islamique», rappelle Politi. Cet été, l'absence du pape au XXe anniversaire de la rencontre interreligieuse d'Assise voulue par Jean Paul II a été notée par toute la presse italienne, Benoît XVI s'étant contenté de l'envoi d'un simple message. Pour le souverain pontife, le dialogue avec les autres religions, «c'est chacun bien retranché dans sa propre maison». La presse occidentale a unanimement condamné les propos du pape. Les musulmans ont noté, auparavant, son opposition à l'intégration de la Turquie dans l'UE, pour son appartenance religieuse. Les autorités religieuses du monde musulman ont appelé à des manifestations de protestation. En Algérie, le ministère des Affaires religieuses a dénoncé les propos du pape, alors qu'il n'a pas émis un avis sur l'affaire des caricatures. L'instance de coordination parlementaire des partis de l'Alliance présidentielle, qui regroupe les trois partis de la majorité, a considéré, lundi, que les déclarations du pape Benoît XVI «dénotent de son ignorance de l'islam et constituent un outrage à l'islam et au prophète (Qsssl)». Ces déclarations, ajoute le communiqué, s'inscrivent dans le cadre d'une «campagne dirigée contre l'islam et les musulmans et constituent une erreur grave susceptible d'alimenter la violence et l'extrémisme et de propager la culture de la haine». Des groupes radicaux ont déjà proféré des menaces contre la personne du pape pendant que des églises ont été la cible d'actes de violence. Le nouveau pape a dû comprendre que le dialogue que prônait son prédécesseur n'était pas un vain mot. La conjoncture marquée par une guerre d'usure contre l'islam a pesé de tout son poids sur les propos du pape qui ne peut pas être assimilé à un adepte de Bush.