Quelle inflation! Celle des étiquettes, et celle des bobards! Un ministre de la République prend-il son couffin pour faire les emplettes, comme le commun des Algériens? A-t-il un haut-le coeur lorsqu'on lui présente la douloureuse, ou bien est-il immunisé contre une telle éventualité, son portefeuille étant suffisamment épais pour faire face à la valse des prix, sachant que généralement, c'est son chauffeur qui fait le marché à sa place? On est tenté de lui dire: monsieur le ministre, descendez de votre piédestal et faites un tour avec nous, au marché du coin, en tant que citoyen. C'est ce que se sont dits des millions de téléspectateurs scotchés sur leur siège, devant le petit écran, après le ftour (la rupture du jeûne) et le sketch chorba, en écoutant un ministre de la République, déclarer sans sourciller: «Les produits sont disponibles et les prix ont baissé». La poudre aux yeux des étiquettes complaisamment filmées par la caméra et désignées du doigt par le membre du gouvernement, dans un geste emphatique, ne change rien au délit de mensonge. La scène était filmée au marché de gros des fruits et légumes de Attatba, près de Koléa, où le ministre était allé faire son show. Le même jour, ce lecteur, en compagnie de son épouse, n'en revenait pas de voir que le prix d'un seul poulet, au niveau du marché couvert de Ben Aknoun, à Alger, ne descendait pas au-dessous de 700 dinars. C'est ce qu'on peut qualifier de mensonge en direct. «Nous savons tous que les hommes politiques sont de fieffés menteurs, mais là ils exagèrent!» En fait, devant tant d'incongruité, ce que demandent les gens, c'est qu'on ne les prenne pas pour des demeurés ou des mineurs à vie. «Nous savons que les pouvoirs publics sont dans l'incapacité congénitale de maîtriser les circuits de distribution, qu'au moins ils ne viennent pas déclarer le contraire. Qu'ils aient au moins la pudeur de nous considérer comme des adultes! On ne leur demande pas plus.» Maintenant que les réseaux mafieux des spéculateurs se sucrent sur notre dos, nous le savons, estime cet autre lecteur. Autre entourloupette: chaque année, à la veille du Ramadhan, une campagne est menée tambour battant contre les marchands ambulants, en promettant de multiplier la construction des marchés de gros, des marchés de proximité et des marchés couverts «pour permettre aux producteurs des fruits et légumes d'écouler leurs produits», mais un mois après, ces belles promesses fondent comme neige au soleil. Passe encore que certains commerçants, grossistes ou détaillants, dénommés suceurs de sang, oublient le sens de la solidarité, de la rahma, de la mesure en ce mois de piété du Ramadhan, mais au moins que les hommes chargés des affaires de l'Etat gardent cette aura qui doit être la leur. Quant au ministère de l'Agriculture, il affirme sans ambages qu'il y aurait sur le marché quelque 2,6 millions de quintaux de pomme de terre. D'accord, mais pourquoi son prix fait-il dans l'alpinisme sur les versants de l'Himalaya des mercuriales, à 50 dinars? On veut bien croire que plus de 932.000 quintaux de tomate sont disponibles, pour des besoins estimés à seulement 640.000 quintaux, mais pourquoi est-elle si rare et si onéreuse chez le détaillant? Et puis qu'il y ait quelque 437.000 quintaux de courgette, n'empêche pas son prix de grimper en flèche à 80 dinars le kilo. Ne voilà-t-il pas qui va rafraîchir les ardeurs au mensonge des ministres de la République. Messieurs, dites la vérité, au moins une fois dans votre vie. Vous irez peut-être au paradis! Mais non, la propension au mensonge est inversement proportionnelle à la baisse des prix en ce mois de jeûne chez nos dirigeants. Il n'est même pas utile de munir les micros des reporters de détecteurs de mensonge, tant la chose est évidente. Le nez de Pinocchio s'allongeait lorsqu'il ne disait pas la vérité, mais pas celui de nos ministres. Quelle inflation! Celle des étiquettes et celle des bobards! Heureusement que le Ramadhan ne dure qu'un mois, sinon les responsables algériens battraient des records et entreraient de plain-pied, et par la grande porte, dans le Guinness.