Le Sénégal va sous l'œil attentif de la communauté internationale au-devant d'une présidentielle crispée, indécise et inédite avec vingt candidats, dont un antisystème aujourd'hui en prison. Aucun des 18 hommes et deux femmes en lice ne se détache. Malgré un processus de validation des candidatures contesté et l'élimination des opposants Ousmane Sonko et Karim Wade, la crainte de violences préélectorales ne s'est pas concrétisée, mais la tension persiste. Et à moins d'un mois de l'échéance du 25 février et à quelques jours du lancement de la campagne le 4, les Sénégalais se retrouvent à débattre avec nervosité d'un report du vote. «Je pense que le 25 février je serai élu au premier tour», a dit aux médias français France 24 et RFI le Premier ministre Amadou Ba. Il est le dauphin désigné du sortant Macky Sall, qui ne se représente pas, une première. En réalité, pas plus lui, qui incarne la continuité, qu'un autre qui personnifierait le changement n'est assuré d'être au second tour, s'accordent les analystes. «C'est l'élection la plus ouverte» des douze présidentielles au suffrage universel organisées au Sénégal depuis l'indépendance vis-à-vis de la France en 1960, dit Sidy Diop, directeur adjoint des rédactions du quotidien le Soleil. Le choix des électeurs n'est qu'une des inconnues d'un scrutin suivi à l'étranger de bien plus près qu'il ne le serait dans un autre pays de 18 millions d'habitants, parmi les 30 derniers au monde à l'indice onusien de développement humain, mais qui devrait commencer à produire des hydrocarbures en 2024. Alors que les coups d'Etat se sont succédé en Afrique de l'Ouest, le Sénégal n'en a jamais connu aucun, une rareté sur le continent. Américains et Européens vantent la stabilité et la pratique sénégalaise de la démocratie et de l'alternance. Le Sénégal a été le théâtre depuis 2021 d'épisodes de troubles meurtriers causés par le bras de fer entre l'Etat et l'opposant Sonko, avec des dizaines de morts et des centaines d'arrestations. Human Rights Watch et d'autres dénoncent la répression exercée par le gouvernement, qui répond que «toutes les libertés sont exercées sans entraves». Tandis que le continent est livré à une compétition stratégique intense et que la Russie renforce ses positions chez les voisins sahéliens en butte au terrorisme, le président Sall maintient des relations fortes avec l'Occident. Mais il revendique la diversification des partenariats, et proclame que l'Afrique comme «chasse gardée» de l'Europe, «c'est terminé». Le discours de M. Sonko contre les élites, les multinationales et l'emprise exercée selon lui par la France résonne dans une partie de la population, très jeune. Il est écroué depuis 2023 après diverses mises en cause par la justice qu'il présente comme autant de coups montés, et le Conseil constitutionnel vient de rejeter sa candidature. Mais lui et son parti dissous, le Pastef, ont anticipé le coup en la personne du numéro deux du Pastef, Bassirou Diomaye Faye. M. Faye est pourtant détenu lui aussi. Sa candidature a néanmoins été validée, créant une situation sans précédent. L'analyste Sidy Diop cite M. Faye parmi les favoris, avec Amadou Ba, Khalifa Sall et d'autres. Cependant, tempère-t-il, «l'un des problèmes du Pastef, c'est qu'il fait peur». Il invoque les remous auxquels les pro-Sonko ont été associés. Les élections «se gagnent au niveau des classes populaires» et beaucoup de gens se lèvent le matin pour trouver le travail et les revenus du jour même; «ces classes ont besoin de stabilité», dit-il.