La France découvre sa véritable position, celle de son refus d'admettre la Turquie dans l'UE. Après avoir adopté, en 2001, une loi reconnaissant le génocide arménien (1915-1917), l'Assemblée nationale française a voté, jeudi dernier, une loi complémentaire condamnant toute personne niant, publiquement ce génocide à un an de prison ferme et 45.000 euros d'amende. La France officielle fait, en plus, de la reconnaissance du génocide par la Turquie, une condition à son entrée dans l'Union européenne. Cinq années durant lesquelles la France soutenait qu'il y eut, de la part de l'armée turque, massacre délibéré de 1,5 million d'Arméniens entre 1915 et 1917, c'est-à-dire en pleine Première Guerre mondiale où la Turquie, alliée à l'Allemagne d'alors, perdait son empire et finissait par «sauver», plus tard, en 1922 (la bataille des Dardanelles) grâce au génie de Mustapha Kemal Attatürk, ce qui resta de l'empire, c'est-à-dire la Turquie d'aujourd'hui. Cette Turquie qui insiste, depuis plus de 20 ans, pour être admise au sein de l'Union européenne. Refus après refus, la famille européenne a fini par donner son feu vert à l'ouverture de négociations avec la Turquie lors du sommet de l'UE de décembre 2005. Négociations soumises à des conditions, essentiellement politique (critères de Copenhague), dont la reconnaissance de l'île de Chypre (partie grecque) comme membre de l'UE; le droit des minorités, notamment kurde; une réforme profonde de sa justice allant dans le sens du respect des droits de l'homme et des libertés individuelles...un délai allant de 10 à 15 ans est accordé à la Turquie pour satisfaire à ces conditions. Ainsi, l'UE avait toutes les raisons de regretter le vote de l'Assemblée nationale française de jeudi, voyant en cela une subordination aux prérogatives de sa plus haute instance, son Conseil, qui réunit les chefs d'Etat et de gouvernement. Kristina Naguy, porte-parole du commissaire à l'élargissement de la Commission européenne, a déclaré, jeudi soir, immédiatement après le vote français, lors d'une conférence de presse, que «la commission regrette ce vote français, d'autant que les conditions de l'ouverture des négociations de l'entrée de la Turquie dans l'UE, adoptées par le Conseil européen, ne font pas référence au génocide arménien». A ce stade, la France découvre sa véritable position, celle de son refus d'admettre la Turquie dans l'UE. Est-ce une partie, peut-être même la principale, du «non» français au projet constitutionnel de l'Union de 2004? Projet qui faisait des fondements chrétiens de l'Europe, la profession de foi, le visa d'entrée dans la famille européenne. Bizarrement, la France avait adopté la première loi reconnaissant le génocide arménien en 2001, c'est-à-dire la même année où la Turquie avait sollicité, officiellement, son souhait de rejoindre l'Union. Les déclarations du président français Jacques Chirac, encourageant la Turquie dans son chemin vers l'UE, n'obéissaient qu'aux simples usages diplomatiques. Un chef d'Etat se réserve à la prudence. Il sait que l'entrée de la Turquie dans l'Union doit recueillir l'unanimité des membres de la famille. Si la Pologne chrétienne clame haut et fort son refus à la Turquie, la France passe par la subtilité du jeu démocratique. Dans ce feuilleton diplomatique et politique, la question, encore une fois, est de savoir qu'est-ce qui pousse la Turquie à vouloir épouser un fiancé qui ne la veut pas? Aller jusqu'au reniement de sa dignité d'ancien empire. Aller jusqu'à utiliser les crimes et la barbarie coloniaux français en Algérie comme réponse à la France, comme chantage pour se faire accepter par les Européens, relève d'une faiblesse politique étonnante. Les relations de l'Algérie avec la France sont déjà assez difficiles et complexes, pour que la Turquie en rajoute une couche. L'Algérie n'est pas amnésique, d'autant que les stigmates des crimes contre l'humanité commis par la France coloniale en Algérie sont encore visibles, les témoins vivants. Ils ont à peine 40 ans d'âge.