La menace du Parlement turc d'adopter un projet similaire, pénalisant toute négation des crimes coloniaux pendant la guerre d'Algérie, s'est finalement dissipée. «Tout pays se grandit en reconnaissant ses drames et ses erreurs». Cette affirmation est du chef de l'Etat français, Jacques Chirac, lors de sa visite de deux jours en Arménie, le 30 septembre et le 1er octobre 2006. Et pourtant, la France qui a été plus prompte à faire adopter la loi du 23 février 2005, louant les «bienfaits» de la colonisation, continue de se voiler la face et refuse d'admettre ses propres crimes. Un passé historique tumultueux à l'origine du blocage du traité d'amitié entre Alger et Paris. Un projet lancé par les deux chefs d'Etat il y a quatre années et qui se heurte à l'entêtement de la France de ne pas répondre à la principale condition de l'Algérie, à savoir demander pardon pour les crimes commis pendant la guerre de Libération. Cela au moment où le Parlement français vient de se faire le porte-parole de la cause arménienne, à travers l'adoption, jeudi dernier, d'une loi pénalisant toute négation du génocide arménien, passible d'un an de prison assorti d'une amende de 45.000 euros. Une loi qui intervient curieusement quelques jours seulement après la visite de Jacques Chirac-la première d'un chef d'Etat français depuis le génocide arménien- dans ce pays. Chirac avait d'ailleurs lancé la couleur à partir de la capitale arménienne Erevan, en affirmant, sur un ton frisant le chantage, que la Turquie devait reconnaître le génocide arménien avant de pouvoir adhérer à l'Union européenne. Une condition qui n'a pas manqué de susciter des réactions hostiles, aussi bien en Turquie, en France qu'au sein de l'Union européenne. On considère qu'une telle déclaration pourrait porter un coup dur aux relations franco-turques. Pour la commission européenne, la démarche française «empêcherait le dialogue pour la réconciliation» entre la Turquie et l'Arménie. Les manoeuvres sournoises de Paris ne se limitent pas aux seuls chapitres politique et économique pour faire pression sur la Turquie. La culture est aussi une «arme» redoutable. C'est d'ailleurs, le même Chirac qui saisissant jeudi l'occasion au vol, a adressé un message de félicitations à l'écrivain turc Orhan Pamuk, fait prix Nobel de littérature, pour son livre dans lequel il défend la cause arménienne. «Je me réjouis particulièrement de l'attribution du prix Nobel à Orhan Pamuk dont la réflexion sur la société est particulièrement intelligente, forte et libérale», a déclaré M.Chirac lors d'une conférence de presse à l'issue du 7e conseil des ministres franco-allemand à Paris. La coïncidence entre l'adoption de la loi pénalisant la négation du génocide arménien et la consécration de l'écrivain turc est tellement troublante que d'aucuns n'écartent pas l'existence d'un lobbying français en faveur du lauréat. Une façon de conforter ses thèses contre les autorités turques pour les amener à reconnaître le génocide de 1915. En Turquie, et contre toute attente, presse et gouvernement se sont félicités. «C'est un grand bonheur pour nous tous qu'un écrivain turc ait remporté un prix aussi prestigieux», a déclaré, aux journalistes, le ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gùl. Après une série de menaces politiques et commerciales, Ankara s'est finalement dégonflée, face à l'adoption par l'Assemblée française d'une loi pénalisant la négation du génocide arménien; la menace par le Parlement turc d'adopter un projet similaire pénalisant toute négation des crimes coloniaux pendant la guerre d'Algérie s'est finalement dissipée. Le gouvernement d'Ankara ne prendra même pas l'initiative d'un boycottage des produits français en Turquie à cause de la question arménienne, mais cela pourrait résulter d'une action de la société civile, a estimé jeudi à Bruxelles le ministre turc de l'Economie Ali Babacan. Une telle mesure aurait pu amener Paris à faire machine arrière sachant que le volume des contrats passés avec la Turquie est de 10 milliards d'euros pour les entreprises françaises.