Au cours des années 1966-1967, la définition des secteurs stratégiques fixe les prérogatives de l'Etat et de son secteur public... Etait-ce un voeu pieux ou bien une volonté de haute politique pour initier une solution libérale effective, paraissant même miraculeuse, favorable à la constitution de différents pôles de développement où l'Etat et le capital privé, d'une part, trouvent leur compte et, d'autre part, oeuvrent conjointement et tout particulièrement pour le bonheur d'une Algérie démocratique et populaire? La réponse est entière dans la brève mais dense réflexion sociologique de Djillali Liabès et que reprennent, souvent dans le détail, souvent dans l'anecdote, les contributions réunies, sous la direction de Daho Djerbal et Mohamed Benguerna, dans l'ouvrage Djillali Liabès, la quête de la rigueur, publié par Casbah Editions. Enfant de Sidi Bel Abbès, né en 1948 dans une famille traditionnelle modeste qui a connu tant d'événements douloureux pour avoir lutté dans les rangs du front de Libération nationale, Djillali Liabès se forge un caractère, une détermination: faire des études brillantes. Après le baccalauréat, il quitte sa ville natale pour l'école normale supérieure d'Alger Kouba où il va sans cesse affermir, ainsi que le soulignent ses camarades et ses proches, «son autonomie de penser et sa liberté d'analyse». Pourvu de ses diplômes universitaires en sciences sociales (philosophie, sociologie, économie) et titulaire d'un Doctorat d'Etat, il enseigne et participe à de nombreux séminaires nationaux et internationaux. Ses recherches et travaux dans un domaine tellement essentiel à l'Algérie éveillent l'intérêt de ses amis, de ses pairs et des hauts gouvernants du pays. En juin 1991, au moment où le pays est sous le coup de graves événements, il est nommé ministre des Universités, puis deux ans plus tard, il est appelé à diriger l'Institut national des études de stratégie globale (Inesg) et à conduire une étude prospective intitulée «Algérie 2005». Malheureusement, cette étude ne verra pas le jour, car Djillali Liabès, son talentueux initiateur, meurt assassiné le 16 mars 1993, à peine âgé de 45 ans. Les participants, ayant rendu hommage à Djillali Liabès lors de la rencontre qui s'est déroulée à la Bibliothèque nationale d'Algérie (El-Hamma) les 16 et 17 mars 2003, étaient unanimes pour dire, avec la plus grande et émouvante conviction, leur intérêt porté à la réflexion de leur collègue défunt et à ses qualités humaines. Daho Djerbal et Mohamed Benguerna, corédacteurs de la présentation de l'ouvrage consacré à Djillali Liabès, soulignent: «Il a évolué dans un esprit caractérisé par la confiance et le respect de l'autre, par la confrontation et la capacité d'écoute, autant d'exigences humaines qui demeurent fondamentales pour la construction d'un champ scientifique rigoureux, et contribuent à l'émergence d'une communauté scientifique pérenne.» Et, pour essayer de clarifier «les raisons de cet acharnement contre des hommes de science et de culture» et trouver des réponses à des interrogations, les chercheurs s'attachent avec le plus grand sérieux de leur compétence à les puiser dans l'oeuvre de Djillali Liabès. On lira donc trois copieux et instructifs chapitres: Etat, intellectuel et société; transformations économiques et dynamiques sociales; Regards croisés autour d'une trajectoire. La personnalité de Djillali Liabès y émerge pleine de contours tout nets et fier modèle possible pour nos jeunes d'aujourd'hui dont la personnalité doit sérieusement devenir le fier modèle possible de la génération qui les suivra. Cela, évidemment, en plein «respect de la différence» que, par exemple, Ali El Kenz évoque, avec une douce nostalgie, dans sa contribution Les années normaliennes.