L'intitulé du présent exposé se réfère bien évidemment à la problématique de l'augmentation des salaires, comme cela tombe naturellement sous le sens, laquelle problématique défraie la chronique depuis quelques années déjà et a vraisemblablement atteint son paroxysme, ces derniers temps. En effet, les quelques derniers mois de l'actualité nationale ont été caractérisés par une recrudescence des tensions sociales et par une ébullition du champ syndical, événements dont les journaux ont, du reste, fait largement écho. Il ne s'agit pas seulement d'une demande pressante et insistante du monde du travail ni d'une revendication catégorique et formelle de ses instances syndicales, mais bien d'un appel de détresse de toute une population dont le pouvoir d'achat s'érode, les frustrations s'exacerbent et le désarroi s'accentue. Au lieu de prendre les mesures concrètes et salutaires que dicte l'urgence de la situation, on assiste au spectacle irréel d'un discours officiel savant et brillant, pertinent et cohérent, mais pour le moins inopportun, car en déphasage total par rapport à la détresse existentielle et les exigences vitales d'une conjoncture nationale qui pourrait conduire à des développements imprévisibles et exposer à des conséquences fâcheuses. Il y a, pour ainsi dire, inadéquation entre deux logiques qui renvoient à deux niveaux différents de rapport à la réalité sociale, celle d'un vécu collectif, effectif et concret avec ses contraintes et ses frustrations de toutes sortes, ainsi qu'un éprouvé émotionnel d'accompagnement désagréable, d'essence affective et irrationnelle et celle d'un développement rationnel et spéculatif, d'essence technocratique. Cela est d'autant plus déconcertant que non seulement les solutions pragmatiques et réalistes semblent exister, mais également des ressources semblent disponibles en suffisance et cela sans préjudice, pour la santé financière du pays, au profit de plus d'aisance matérielle pour la nation. Par aileurs, à supposer que les enseignements des disciplines économiques s'y opposent et que l'orthodoxie financière y répugne, ce qui reste à prouver évidemment, il existe néanmoins toute une série d'arguments relevant de plusieurs autres domaines qui défendent la position contraire et sont favorables à une augmentation des salaires. Cet argumentaire constitue précisément la teneur du présent exposé des motifs que nous nous proposons, d'envisager. POSITION DU PROBLEME 1.1. Dans le cadre global de la Fonction publique Un salaire se compose d'un salaire principal, lui-même consistant en un salaire de base plus l'indemnité d'expérience professionnelle (lEP) et d'un régime indemnitaire complémentaire. Quant au salaire de base, il est obtenu en multipliant le nombre de points indiciaires prévu par le positionnement catégoriel par la valeur du point indiciaire. L'lEP comporte en tout 10 échelons qui valent chacun un certain nombre de points indiciaires et le passage d'un échelon à l'autre se fait au bout d'un certain temps, de trois à quatre ans, généralement trois ans et demi. A titre d'exemple, l'avancement est plus avantageux pour les fonctions supérieures de l'etat, puisqu'il s'effectue tous les deux ans seulement. Le salaire principal est, en principe, censé constituer l'essentiel de la rémunération. Quoi qu'il en soit, les usages ont établi que l'augmentation des salaires était envisageable dès lors que trois conditions étaient réunies, à savoir la croissance, la productivité et l'inflation. L'excédent dégagé du fruit de la croissance économique, en règle générale, est alors destiné pour un tiers à l'augmentation des salaires, pour un autre à l'investissement et pour le dernier à la création d'emplois nouveaux, dans le cadre de la solidarité entre les générations. L'argument objecté de la prise en considération de la seule croissance hors hydrocarbures est un argument d'école qui est loin de faire l'unanimité en économie politique, alors que la solution préconisée par les tenants de l'économie libérale tend de plus en plus à prévaloir. Celle-ci considère que l'augmentation du pouvoir d'achat favorise la consommation, laquelle tire vers le haut la productivité et la croissance. En outre, dans la fonction publique, l'augmentation des salaires peut se faire par la mobilisation de quatre paramètres avec plusieurs combinaisons possibles : 1. L'augmentation du point indiciaire ; 2. la diminution des charges sociales (l'IRG par exemple) ; 3. le glissement catégoriel ; 4. la valorisation du régime indemnitaire. Si les deux premiers mécanismes d'augmentation des salaires constituent des mesures générales, non spécifiques, concernant l'ensemble des personnels de la fonction publique et relevant des prérogatives de l'etat, au plus haut niveau, à qui il incombe d'en apprécier légitimité, conformité et opportunité, les deux suivants, spécifiques aux corps de fonctions, peuvent être initiés par les administrations sectorielles respectives, sur la base d'un exposé des motifs relatifs au mérite et à la valeur, ainsi que le travail fourni, dans ses deux dimensions, qualitative et quantitative, celles de la nature et de la qualification de la prestation de service et celles de paramètres métrologiques pouvant donner prise à la pondération. A charge bien sûr pour l'administration sectorielle de soumettre l'exposé des motifs en question à la commission ad hoc interministérielle (comprenant, entre autres, des représentants des ministères du travail, des finances et de la fonction publique) et d'en convaincre les différents membres. Alors que dans le secteur économique, qu'il soit privé ou public, il en va tout autrement et les salaires sont négociés par les corps respectifs avec les administrations patronales, dans le cadre de conventions collectives de branches, autrement dit par secteurs concernés, puis dans un deuxième temps dans celui de conventions d'entreprises, mesures instituées par la chefferie du gouvernement dès 1997. Par ailleurs, si dans le secteur privé, une entreprise peut soit produire des biens de consommation, soit assurer des prestations de service, dans les deux cas, cette activité est assujettie à une finalité commerciale, donc est à but lucratif, dans le secteur public commercial, il va pratiquement de même. Alors que dans la fonction publique, si la finalité institutionnelle est la prestation de service, il s'agit de service public, missions entrant dans le cadre des prérogatives et obligations de puissance publique, dans le cadre de la souveraineté étatique (missions stratégiques dites de service public, à but non lucratif. Si de façon générale, le niveau des salaires est habituellement plus élevé dans le secteur commercial, particulièrement privé, car soumis à la loi du marché, c'est-à-dire celle de l'offre et de la demande, mais également de la compétitivité (rapport qualité-prix) et de l'obligation de résultats (réalisation de marges bénéficiaires substantielles par augmentation du chiffre d'affaires et diminution des coûts de revient), il existe d'autres avantages compensateurs dans la fonction publique, comme celui de la sécurité de l'emploi et de la garantie d'une progression dans la carrière, alors qu'ailleurs, dans le secteur privé et les entreprises industrielles et commerciales du secteur para-public, il faut « gérer le risque » avec tous les aléas que cela peut laisser supposer et l'on n'est jamais à l'abri d'une compression d'effectifs ou d'un dépôt de bilan, si ce n'est d'une délocalisation sauvage comme cela se passe ailleurs. Quoi qu'il en soit, au cours de ces 12 dernières années, on a eu droit à l'instauration de l'IRG (instituée par la loi de finances de 1994) en remplacement de l'ancienne ITS, avec prélèvement à la source pour les fonctionnaires, contrairement à tout le reste à qui toute latitude était laissée dans l'établissement des déclarations de revenus. Cela a abouti à la situation paradoxale qui fait que des fonctionnaires d'un certain niveau pouvaient payer plus d'impôts que des titulaires de professions libérales, ou même certains commerçants. Alors que dans le même temps, il a été enregistré une hausse des salaires de la fonction publique par augmentation du point indiciaire par trois fois, une 1e fois de 10% en 1997, puis deux fois de 5% en 1998 et enfin une troisième fois par augmentation de 15% en 2001. Ce qui fait en tout 35%, à peu près le tiers du salaire principal. En 2002, il y eut également revalorisation des régimes indemnitaires dans l'enseignement supérieur et dans la santé publique, puis dans l'éducation nationale en 2004, cela alors que l'inflation et la dévaluation n'ont cessé de progresser ces douze dernières années, dans un rapport de n fois 100%, avec n supérieur ou égal à 10. 1. 2. Le cadre spécifique du professeur en médecine La nature de nos revendications (reconnaissance à part entière de notre qualité de cadre supérieur de l'etat ou de la nation, nomination par décret, positionnement catégoriel et régime indemnitaire s'y rapportant, retraite à 100%, évolutive, actualisée par rapport à l'inflation et au coût de la vie, etc.) ne peut s'accommoder d'un statut particulier qui ne peut, en aucune manière, déroger aux dispositions de la loi cadre portant statut général de la fonction publique et cela, en contradiction flagrante avec ce que veut faire accroire l'administration. Car un statut particulier, comme son nom l'indique, ne fait que « particulariser » au sein d'un ensemble général dont il reste solidaire et auquel il demeure organiquement intégré, le statut général de la fonction publique en l'occurrence. Alors qu'un statut spécifique, selon son étymologie même, est d'une autre espèce et est doté d'une réelle autonomie et, qu'à ce titre, il peut disposer différemment et déroger, sans s'embarrasser du souci de non-contradiction avec le statut général de la fonction publique, dans la mesure où il s'en démarque et permet d'en sortir. La légitimité d'une telle revendication se fonde sur le niveau de formation et de qualification (cursus studiorum de bac+20, émaillé de pas moins de 5 concours), l'importance sociale de la fonction et même son prestige, ainsi que le niveau d'information et de maîtrise technologique requises sont ainsi mis à la disposition du service public. A cet égard, aucun autre corps de fonction, hormis peut-être celui de nos collègues professeurs d'université et encore ne peut supporter la comparaison. Par ailleurs, l'essentiel de notre rémunération est assuré par le régime indemnitaire, ce qui est contraire aux normes communément admises en la matière. Cette dérive a commencé en 1992 quand, après d'âpres négociations avec le gouvernement de l'époque, au lieu d'exiger un glissement catégoriel conséquent, nos représentants d'alors s'étaient satisfaits d'une augmentation forfaitaire du régime indemnitaire qui paraissait, il est vrai, assez consistante, à l'époque, par l'attribution d'une nouvelle indemnité dite de sujétion spéciale. Depuis, il n'y eut qu'accumulation de primes forfaitaires alors qu'il aurait été plus équitable et plus judicieux qu'elles fussent indexées au salaire principal, de façon à progresser non seulement avec le glissement catégoriel, mais également avec l'ancienneté. C'est ainsi que depuis l'institution de l'ISS en 1992, celle-ci a été augmentée légèrement en 1997, en même temps que les augmentations du point indiciaire pour tous les fonctionnaires (10% puis 5% puis 5% en l'espace d'une année) et l'institution des primes de garde. Entre temps, en janvier 1996, il y eut majoration de l'indemnité hospitalière de 15% pour compenser l'IRG. Par décret n°02 119 du 06 avril 2002, il y eut institution de la prime d'intéressement (avec effet rétroactif à compter du 1er janvier 2002) alors que par décret exécutif n°04.07 du 08 janvier 2004, il y eut augmentation de l'indemnité hospitalière (ou indemnité spécifique globale), de l'indemnité de responsabilité, ainsi qu'une augmentation de la prime de garde (instituée antérieurement en 1997). L'indemnité de risque de contagion, instituée par le décret exécutif n°03 52 du 04 février 2003, n'est pas cumulable avec la prime d'intéressement dans la mesure où, semble-t-il, elle ferait double emploi avec sa 3e colonne (services à hauts risques). En octobre 2002, du côté du MERS, les décrets présidentiels n°02 335, n°02 336 et n°02 341 du 16 octobre 2002 modifiant et complétant le décret exécutif n°91471 du 07 décembre 1991, portant statut particulier des spécialistes hospitalo-universitaires, ont permis : Un glissement indiciaire à 1280 ; une attribution de l'indemnité d'expérience pédagogique (20% du salaire de base inclus dans le salaire principal, l'IEP à raison de 2% par échelon) ; une augmentation de l'ISS ; une augmentation de la prime d'encadrement pédagogique ; une augmentation de la prime de documentation, désormais incluse dans le salaire ; une augmentation de la prime de rendement servie semestriellement. C'est ainsi qu'on se retrouve actuellement avec une rémunération secondaire (les primes servies par le MSPRH) plus importante que la rémunération principale (le salaire servi par le MERS) bien que celle-ci soit déjà en elle-même gonflée par des primes. A titre de rappel, la rémunération secondaire est constituée de : L'indemnité hospitalière ou indemnité spécifique globale et de sa majoration de 15% (montant fixe) équivalent à peu près à 30% du total ; l'indemnité de responsabilité (montant fixe) équivalent également, à peu près, à 30% du total ; la prime d'intéressement compartimentée en trois colonnes, montant fixe représentant, à peu près, l'équivalent des 40% restants du total, les primes de garde étant payées à part. Pour ce qui est de la rémunération principale, elle est constituée de l'indemnité de sujétion spéciale (lSS), montant fixe représentant à peu près la moitié du régime indemnitaire, ainsi que des indemnités d'encadrement et de documentation représentant la moitié restante, en sus du salaire principal (salaire de base + IEP), sans compter la prime de rendement qui est semestrielle et représentant un montant de 10% du salaire principal. En fait, que l'on ne s'y trompe pas ! En un mot comme en mille, malgré tous ces réaménagements parcellaires à portée limitée du régime indemnitaire, si le montant global du salaire a été multiplié par quatre, celui de la dévaluation -inflation, comme en témoignent les prix à la vente des biens de consommation, a été multiplié par dix, de 1992 à ce jour. (A suivre) Par M. Tedjiza. Professeur - chef de service à l'hôpital psychiatrique Drid Hocine de Kouba.