Le président ZINE AL ABIDINE BEN ALI a insisté sur sa détermination à approfondir le processus de démocratisation de la société. Mardi, 7 novembre 2006. Il est huit heures. La célèbre avenue Bourguiba qui, en temps normal, s'anime dès les premières lueurs de l'aube, semble prise par la léthargie des week-ends. 19 ans plus tôt, les Tunisois avaient appris que leur leader vieillissant, Lahbib Bourguiba, n'était plus président de la République. Les citoyens de Tunis recevaient l'information au même titre que le monde entier. Le nouvel homme fort du pays, Zine Al Abidine Ben Ali, s'adresse aux Tunisiens et leur propose «le changement». Un concept qui, à première vue, semble banal, voire creux, a, au fil des ans, pris une signification concrète. La Tunisie a effectivement «changé». Et hier, lors de la célébration du 19e anniversaire du Changement, le président Ben Ali était à l'aise, puisqu'il présentait devant plus d'un millier de personnes un bilan très positif, appuyé par des appréciations d'organismes internationaux attestant des performances économiques du «petit dragon d'Afrique». Le chef de l'Etat tunisien, sur un ton, faut-il le souligner, serein et sans aucune arrogance, affiche clairement la couleur: «Je tiens à réaffirmer que l'option pluraliste est irréversible et que les partis politiques -qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition- sont partie prenante de l'équation démocratique et de l'émulation sincère, et se doivent nécessairement d'être d'un niveau d'efficience qui leur permette d'accomplir leur rôle de la meilleure manière». Cette déclaration confirme une orientation stratégique de la Tunisie qui entend construire une société réellement pluraliste, dans un contexte politique, disons-le, miné par la donne islamiste que la Tunisie veut éloigner de ce que sera le noyau dur de la démocratie tunisienne. Les chiffres de la démocratie Sadok Chaâbane, directeur de l'Institut tunisien des études stratégiques, reconnaît d'entrée que «la démocratie est le meilleur système pour toute société». Il affirme que le «président Ben Ali aspire à construire une démocratie à même de permettre à un maximum de partis et associations d'y participer». Cependant, cette aspiration est accompagnée par la nécessité «de préserver la stabilité politique et économique» du pays. Une stabilité d'ailleurs reconnue par le forum de Davos, dont le rapport pour l'année 2006 «classe la Tunisie à la 30e place mondiale en matière de compétitivité», soutient M.Sadok qui souligne que son pays vient avant l'Espagne et le Portugal. Pour cet ancien ministre de la Justice, dans sa notation, le forum de Davos travaille sur des critères tant politiques qu'économiques. L'occasion pour soutenir que le système politique tunisien ne constitue en aucun cas un facteur de blocage aux plans social et économique. C'est en fait sur ces deux niveaux que travaille l'Etat tunisien pour assurer une transition démocratique en douceur. Il n'est, en effet, pas question, selon le directeur de l'Institut des études stratégique, de sacrifier les acquis socio-économiques de son pays sur l'autel de la démocratie. La Tunisie a «réellement décollé en 19 ans de changement», attestent de nombreux observateurs qui constatent une croissance durable, voire structurelle, autour de 5%, une classe moyenne qui représente près de 80% de la population et un taux de scolarisation qui caracole à 99%. Ce sont là quelques chiffres révélateurs sur le «bond tunisien». Un pays décidé à rattraper les standards européens en termes de niveau de vie à l'horizon 2030. M.Sadok souligne que selon les prévisions du gouvernement, 60% de l'objectif sera atteint en 2016. Soucieux de ne rien rater de l'évolution du pays dans tous les domaines, le président Ben Ali dispose d'un tableau de bord comportant une centaine d'indicateurs. Cet outil lui permet d'avoir une vue globale sur la santé économique, sociale, voire politique du pays. Et à ce propos, en Tunisie même, l'avancée démocratique est «chiffrée». Ainsi, l'on retiendra que depuis la promulgation, en 1988, de la loi sur les partis politiques, la Tunisie a connu trois élections pluralistes. Recueillant quelque 60.000 voix aux législatives de 1994, l'opposition a réussi à convaincre pas moins de 240.000 électeurs en 1999 et plus de 500.000 lors des élections pluralistes de 2004. Un score qui lui permet de siéger avec 34 élus dans la Chambre des députés. Au plan local, l'avancée est encore plus significative, puisque certaines mairies ont purement et simplement échappé au RCD, parti au pouvoir. Cela dit, le combat politique demeure en Tunisie largement axé sur la lutte contre l'obscurantisme islamiste. «L'affaire du foulard», qui fait débat en Tunisie, est prise au sérieux par les autorités politiques qui demeurent intraitables sur la question. Au même titre que de nombreux autres responsables tunisiens, M.Sadok refuse catégoriquement de tomber dans le jeu des «libertés individuelles» et invite «toute jeune fille désireuse de porter le hidjab à adopter la tenue traditionnelle du pays». C'est là, la position officielle de l'Etat tunisien qui rejette la tenue vestimentaire islamiste l'accusant «de véhiculer une pensée obscurantiste très dangereuse pour la société tunisienne». Le sujet est-il clos pour autant? Manifestement pas, puisque les Tunisois sont divisés pour apprécier l'attitude de l'Etat sur la question. Alors que certains estiment nécessaire l'intervention directe des pouvoirs publics pour «tuer dans l'oeuf» le monstre intégriste, d'autres, en revanche, affirment que la question ne nécessite pas une quelconque démonstration de force, mais le «problème» peut être géré par le dialogue. Deux visions qui circulent dans les milieux jeunes de Tunis lesquels ne donnent pas l'impression d'être «agacés» par la polémique entretenue outre Méditerranée. Et pour faire face au «harcèlement» de l'opposition «non structurée» qui, souligne M.Sadok, prend ses ordres de l'étranger, le chef de l'Etat décide de gracier des prisonniers membres du parti islamiste Enn-Nahdha. Un acte, faut-il le souligner, très peu commenté par la rue tunisoise qui semble de moins en moins attentive aux luttes strictement politiques et s'intéresse beaucoup plus à sa situation socio-économique. L'emploi, une priorité En effet, l'incapacité de l'économie tunisienne à assurer le plein emploi, avec un taux de chômage de 14%, est l'une des préoccupations majeures de la société. C'est aussi celle du président de la République qui, dans son discours d'hier, a reconnu cet état de fait et pour y remédier, a annoncé des mesures fiscales très courageuses en direction des entreprises qui emploient des diplômés du supérieur. Car, le gros du problème tient dans le fait que les universitaires tunisiens ont de très faibles chances de trouver du travail à la fin de leur cursus universitaire. Au plan économique, le président Ben Ali a ouvert un chantier majeur pour ce petit pays d'Afrique: la convertibilité totale du dinar tunisien à terme. Une oeuvre colossale dont les prémices ont été annoncées hier avec le doublement de l'allocation touristique qui passe de 2000 à 4000 dinars tunisiens (2366 euros). Au-delà des chiffres et autres intentions du gouvernement tunisien, il est clair qu'en ce 7 novembre 2006, l ‘on mesure les étapes déjà très intéressantes franchies par la Tunisie tant sur le plan de l'émancipation de l'individu que du développement économique. Une avancée qui saute aux yeux des visiteurs de la capitale. Celle-ci renvoie l'image d'une nation sereine qui sait où elle va. La Tunisie, reconnaissent de nombreux citoyens, «n'est pas le paradis, mais en comparaison d'autres sociétés, on peut se considérer comme à l'abri de nombreux maux», répondent en substance, les jeunes qui n'hésitent pas à mettre le doigt «là où ça fait mal». Ce qui est «nouveau dans notre pays», relève un proviseur de lycée qui dit percevoir dans la jeunesse de 2006 une curiosité qui prend de plus en plus une connotation politique. En d'autres termes, les lycéens d'aujourd'hui sont demandeurs d'un nouveau discours politique. Le pouvoir politique qui semble avoir compris le message, a entrepris une réforme de l'éducation nationale qui prévoit l'élection, à bulletin secret, des délégués des établissements qui participeront, de fait, à la gestion de leurs écoles. Un apprentissage «grandeur nature» pour ces futurs candidats et électeurs. L'idée n'est manifestement pas mauvaise, puisque la volonté d'ouverture au pluralisme politique est, à chaque occasion, confirmée par le chef de l'Etat.