Ce qu'on dit de l'eau pour en souligner l'aspect, le caractère vital, on devrait le dire aussi du sang qui est un liquide tout aussi précieux. Nous avons tous, à un moment donné de notre vie, été confrontés à une situation où nous sommes brutalement rappelés à cette réalité: un besoin urgent, un besoin vital de sang. Si ce n'est pas pour nous, c'est pour un proche. Et les raisons pour lesquelles nous en avons besoin sont nombreuses. L'ami ou le proche parent peut-être un cancéreux, un anémique ou un accidenté. Pour la femme, elle a accouché, fait une fausse-couche qui a entraîné une hémorragie... ou elle a eu un accident. C'est pendant les guerres que se crée le plus la nécessité absolue d'une transfusion sanguine, à cause des victimes nombreuses qu'elles font. Une métaphore filée pour donner une idée plus exacte. En effet, le corps humain est comme une plaine traversée de cours d'eau. Que ces ruisseaux, ces rivières s'assèchent et tous ces bois et tous ces champs, naguère si verts et si fleuris, si peuplés d'hôtes charmeurs et rieurs, s'étiolent et dépérissent. L'eau sauve la planète entière en la rendant verte. Le sang sauve la vie à des millions d'êtres, en leur rendant santé et vigueur. Comment en sommes-nous venus à en parler? Notre objectif premier, ce matin, était de nous rendre au siège de la wilaya. Une remise des clés pour les quelque 3 000 bénéficiaires des logements sociaux était prévue à la Maison de la culture. Nous avons rendu assez populaires ces deux bâtisses posées l'une contre l'autre comme pour une photo-souvenir. Une nouvelle description n'est donc pas nécessaire. Vers dix heures, une cérémonie devait avoir lieu à la Maison de la culture. Le wali qui allait la présidait, n'allait sortir de son bureau que pour y entrer, pour ainsi dire. Il devait, plus tard, se rendre dans deux communes qui ont des limites avec Bouira. Nous aimons l'une et l'autre pour leurs champs plats qui évoquent les travaux champêtres auxquels s'attache toute une poésie. Et nous nous sommes promis, ce matin, de faire partie de cette visite dédiée au travail. Quelle fut notre déconvenue en y arrivant! Le programme avait été changé dans la nuit. Ce n'est pas une cérémonie qui commençait vers dix heures. Mais un conseil d'exécutif! À la recherche de nouvelles fraîches, en quittant le siège de la wilaya, notre rencontre fortuite avec la directrice du tourisme, nous a aiguillés dans une autre direction. Cette dernière nous conseillait de nous rendre à la forêt Errich. Une randonnée pédestre s'y déroulait. Elle venait d'en donner le coup d'envoi. Elle y repasserait vers midi pour assister au sacre des vainqueurs. Le fait que des étrangers y participent, ce qui assure ainsi à cette compétition sportive une dimension internationale, nous donnait assez d'ailes pour voler dans cette direction. Notre désir de nous y rendre était tel, en effet, que, dans notre impatience, nous avions omis de prendre le bus. Et ce fut une décision sage, malgré la longueur du trajet, car tout au long de notre chemin, non seulement nous n'avons pas vu un seul bus portant le numéro 12 qui passe par ces lieux, mais aucun autre qui desserve les quartiers que nous avons traversés et qui nous aurait rapproché de notre objectif. Et soudain, au détour de la route, la forêt est là, à gauche. Quelques pins aux troncs droits et lisses en signalent la présence. Nul cri d'oiseau dans cette lumière limpide n'en trouble le silence. Un peu plus loin, un grand panneau au-dessus de la piste carrossable, en interdit l'accès aux véhicules. Une initiative louable, car la poussière qu'ils soulevaient était si dense que ceux qui venaient ici pour se décrasser les poumons de la fumée des villes, rentraient chez eux les bronches aussi obstruées. À droite, deux véhicules tout blancs que nous identifions tout de suite: c'est pour les dons de sang. Nous leur prêtons à peine attention. Nous ne venons pas pour cela. Nous cherchons quelqu'un qui peut nous donner quelques informations sur les randonneurs. Un médecin et deux infirmières devant l'une des camionnettes, assis sur des sièges, face à la piste, nous apprennent qu'ils sont loin. Ils ne sont pas venus pour eux, comme nous l'avions cru un instant, mais pour faire leur travail qui est de procéder à la collecte du sang. L'équipe en question se compose de deux médecins et de deux infirmières. Le médecin et l'une des infirmières sont de l'hôpital de Sour El Ghozlane. Le médecin femme et l'autre infirmière travaillent à l'hôpital de M'Chedallah. C'est la direction de la santé qui a fait le choix pour cette collecte mobile. Hier, c'était l'équipe de Bouira qui était là. Choix un peu discutable, car si l'équipe d'aujourd'hui a pu bénéficier du monde qui a entouré le départ des randonneurs, chose qui lui a permis de recevoir une dizaine de donneurs, qu'en a-t-il été de l'autre équipe, envoyé sur ces lieux déserts un 1er Novembre? Quoi qu'il en soit, l'endroit n'est pas ce que nous avions pensé au début, puisque pendant le temps que nous avons passé avec notre équipe de collecte, trois ou quatre personnes se sont présentées pour donner leur sang. Rencontre avec une équipe de collecte de sang Selon le docteur Salem, de Sour El Ghozlane, il y a les donneurs réguliers, ceux qui se présentent à leur service tous les trois mois, par habitude, par solidarité ou tout simplement par envie d'offrir, et puis, il y a ceux qui le font une ou deux fois dans leur vie, par nécessité. Ceux-là, ils le font pour un parent ou pour un ami. Pour le docteur de M'Chedallah qui revendique l'anonymat, il existe deux collectes: la collecte mobile qui exige de se déplacer vers un lieu très fréquenté afin de trouver plus de volontaires, et la collecte fixe qui se fait au niveau du centre de transfusion sanguine (CTS.). La collecte de sang, selon elle, ne se fait pas tous les jours. C'est quand la banque de sang fait des dons que le CTS, informé de ces «sorties», programme des collectes, soit mobiles, soit fixes. Le docteur de M'Chedallah qui est accompagnée de sa fille, en deuxième année de médecine, et qui est la plus éloquente des deux, fait remarquer qu'il existe un centre de collecte dans chaque hôpital. Comme il y a cinq hôpitaux dans la wilaya, un dans chaque grande daïra, on a facilement le total de centres de transfusion sanguine par simple déduction. En fait, ce sont de petits centres qui relèvent du CTS de Bouira. L'Agence de collecte de sang établie à Alger en compte un, dans chaque wilaya. La nôtre, porte le numéro 10, comme pour le numéro d'immatriculation des voitures. Le docteur Salem affecté en 2019 au centre de collecte de Sour El Ghozlane compare ce centre à un poumon. «Il est le poumon de l'hôpital», déclare-t-il. «Le sang, c'est son oxygène.». Quant au rôle qui est le sien et celui de ses collègues, voilà comment il le définit: «Nous sauvons des vies.» De temps en temps le docteur de M'Chedallah se lève et passe dans son véhicule pour accueillir un donneur, nous laissant seuls avec sa fille et le docteur Salem. Mais son absence n'est jamais bien longue. Et c'est pour renouer avec ce qui a été dit en son absence. Oui, la collecte de sang est indispensable. Notre interlocutrice prend l'exemple d'un bloc opératoire qui en manque soudain. «Que se passerait-il alors? On arrête tout et on reporte les opérations programmées.» D'où la nécessité de faire des collectes mobiles et fixes tout au long de l'année, selon un programme établi par la direction de la santé et de la population, soit par le CTS. Le docteur qui voit dans ce geste généreux, «une culture» à promouvoir, fait de la sensibilisation le cheval de bataille de la collecte du sang. Il faut parler aux gens, il faut leur expliquer les vraies raisons d'une collecte. Nombre de volontaires qui se présentent à une collecte mobile ou fixe, le font parce qu'ils aiment faire des dons. Ils y sont habitués et se présentent d'eux-mêmes au centre. Mais il y a les autres et qui ne se décident que lorsque la situation leur en fait une obligation, un devoir. C'est souvent un parent qui a perdu beaucoup de sang dans un accident d'auto ou un cancéreux. Un cancéreux qui se traite par la chimiothérapie, comme la femme qui accouche, a besoin régulièrement d'une quantité importante de sang. La chimio, selon le docteur de M'Chedallah, a ses règles. En dessous de 10, la séance est annulée. Il faut perfuser avant. Comment sauver trois vies grâce à un seul don Le docteur du CTS de M'Chedallah attire l'attention sur cette technique qui a le souci de l'économie de sang et celui de répondre a un besoin précis: le fractionnement. Nous savons que le sang se compose d'un concentré de globules, de plaquettes et de plasma. Ce sont ces éléments qu'il faut séparer entre eux. De sorte que lorsqu'un malade exprime un besoin de l'un de ses éléments, il ne reçoit que cet élément. Les deux autres sont gardés en réserve pour d'autres malades qui pourraient en avoir un jour besoin. «Voilà comment avec un seul don de sang, on sauve trois vies», conclut notre docteur. Et ce travail qui se fait en laboratoire est aussi précieux que la sérologie. Mais qu'est-ce que la sérologie? Selon la définition proposée par Doctissimo.fr, c'est «un procédé biologique qui permet de rechercher la présence d'anticorps dans l'organisme». Parmi les tests qu'il renferme, selon notre interlocutrice, il y a celui du sida (VIH), les hépatites A, B, C et même le Covid. Un sang contaminé ne saurait être administré à un malade. Il est donc indispensable de soumette un don de sang à des tests pour en éprouver l'efficacité grâce aux anticorps qu'il contient et pour s'assurer qu'il n'est contaminé par aucun germe quelle qu' en soit l'origine-microbienne ou vénérienne. Notre entretien prend fin. Les deux docteurs nous ont suffisamment appris sur la collecte de sang, plus en tout cas que nous n'aurions imaginé. Partis assez tôt dans la matinée pour faire une couverture sur les activités de la wilaya dans le cadre des festivités du 1er Novembre, nous nous sommes trouvés lancés sur la piste des randonneurs, avant de maquiller notre échec en quelque chose qui peut revêtir une importance capitale pour notre connaissance de la collecte de sang, et surtout sur son fractionnement et sur la sérologie, procédé qui en valide l'usage. Les randonneurs n'étant pas de retour et la journée étant fort avancée, nous prenons congé de nos deux médecins-trois si on compte le jeune carabin en deuxième année de médecine- en leur souhaitant bonne chance dans leur mission qui est de sauver des vies.