Nous étudions savamment cette encyclopédie historique, la phénoménologie sociale, à l'écriture populaire, au melhoun (poésie), de commandeur, le saint et mystique, laudateur du Prophète (QSSSL). C'est sous ces appellations plurielles qu'il fut désigné par la haute sphère d'antan et celle d'aujourd'hui, même son ennemi de l'époque, l'Espagne, abdiqua devant sa grandeur d'esprit, sa sagesse et d'intrépide guerrier. Cet écrit, succinct, ne saurait suffire à étayer le parcours significatif de ce haut personnage, aux facettes multiples, face aux impondérables mouvements du XVIe siècle. Certains déterminent sa naissance selon des dires, ici et là, d'autres colportent ces rumeurs, construisent des halqate (réunions), sans tenir compte de la véracité de l'auteur lui-même, ou d'auteurs confirmés. Inscrivent sa naissance à 1480, mort vers 1603; d'autres en 1495, décédé en 1605, chacun son challenge, dans l'approximatif, sans conviction sur l'homme dépassant la centaine d'années, il y a VI siècles. Option devenant pertinente, aux questions dérangeant certains esprits, fort attachés à ce barde de la culture nationale, maghrébine, et arabe. Ce en quoi, j'essaie modestement de réguler cette «lacune», son parcours à travers les âges, ses combats, historien, poète, mystique et autres. Autrement dit, la seule probabilité, sa naissance, sa mort remonte de 1490 à 1615-20, qui explique sa longévité de 125 ans et 6 mois d'âge, l'ère du XVIIe siècle. Telle consignée dans son qacid Fi khaiemett Echaar, et de ses descendants. Concédant son itinéraire historique. Et dans son poème testament, sous l'indicatif «Décès», «el ouafeth», dont voici le message: «Du huitième siècle, j'ai vécu des années d'insouciances, les jours passaient et mes actes transcrits» «Le IXe siècle, je l'ai consacré aux louanges de Gorayechite; mon envoûtement pour lui allait toujours croissants.» «Je remercie Dieu pour la religion de l'intercesseur, maître des moudjahidine, guérisseur des peines.» Mais que savons-nous sur sa traversée des temps, ses voyages contemplatifs, ses expéditions, ses méditations, si ce n'est encore par ses travaux dimensionnels, inégalés, incommensurables. Ses écrits sèmeront une vision futuriste sur l'élément socio-psychologique de l'Homme, révélé dans ses qacidate, descriptives. Aussi un mysticisme élevé au panégyrique, et louanges à Dieu et son Prophète (QSSSL). Et donc, traitant avec consistance toute la problématique: modes et tendances, coutumes, traditions, langue populaire, personnifiant l'individu dans sa constance sociale. Le diwan (poésie) de Sidi Lakhdar Benkhlouf nous invite à mieux cerner cette dynamique sociétale, aux comportements inextricables de l'individu, qu'il incarna lui-même. Aussi des écrits relevés chez des historiens orientalistes, concevant le poète arabe de conteurs de leurs histoires, rapporté par M. C. Sonneck, dans son ouvrage Chants arabes du Maghreb (études du dialecte et poésie d'Afrique du Nord, 1904). Auteurs, historiens, et narrateurs. El ghazal (sentimental religieux) dini en sont le prototype révélateur de Sidi Lakhdar. Inscrit par sa mère à la médersa (école coranique), auprès du cheikh Boulahya (le pieu à la barbe), au douar Quled Ghazi, près du dôme de Sidi Lakhdar où est morte sa mère Koula, et sa femme Ghenou (ou Guenou). Puis ses études chez le wali Salah Med Lakehal, lui attribuant ce deuxième prénom, Lakehal. «Ecoute, et tâche de tirer profit: j'étais élève chez Derrar qui lisait le livre Saint. J'en prends à témoins les érudits et leur juge. Je te prouverai à quoi est arrivé Lakehal, fils de Benkhlouf.» À 8 ans il apprit le Coran, le milieu scolaire fut subjugué par son génie, il absorbait le tout sans difficultés. Sa louha (ardoise) était fin prête avant même que ses camarades lisent leurs textes. Son maître resta perplexe et comprit alors l'état mémoriel impressionnant de l'enfant. «Va, mon enfant, un maître ne peut instruire un autre maître», allusion à son érudition divine. Il faisait abstraction des arts rituels, de formes folkloriques, ainsi que sa nourriture, limitée à sa stricte proportion. Le temps de concilier sa nature propre, sa pensée vers Dieu, au spirituel. Sidi Lakhdar est fils de Benkhlouf Abdellah et de Yakoubiya Koula, fille de Sidi Yakoub de Achäacha, descendant des Chérifiens, lignée du Prophète Mohamed (QSSSL). Mais sa configuration généalogique nous vient, paraît-il, de Mazouna, ville d'histoire et d'arts. Sa maman, ne pouvant avoir d'enfants, pria Dieu dans le darih (lieu) du Saint Med Lakehal, elle vit dans ses rêves une ceinture verte, d'où ces prénoms de Lakhdar (vert), et le noir du nom Lakehal. Sidi Lakhdar se retira dans le mausolée de Sidi Belkacem Bouasria, saint homme du XIVe siècle, à Mazagran, 6 km de Mostaganem; là, il apprit les sciences théologiques, humaines et historiques. Périodes où il apparaît dans l'armée othomane, sous le règne de Kheireddine Barberousse, pour contrer les Espagnols, qui conquiert Oran en1509 et Mers El Kebir, en 1505 de notre ère, sous le règne du cardinal Ximenés (d'Espagne). Celui-ci reçut la bénédiction de sa reine Isabelle la Catholique (morte en 1404). Après la mort de Kheireddine, en 1547, frère d'Aroudj (tué en 1518), son fils Pacha Hassan lui succéda et installa l'Etat du Beylik dans tout l'Ouest, XVIIe siècle, notamment à Mostaganem, considérée ville névralgique, servant de transit obligatoire, sous l'émir Hamid El Abd. Celui-ci, devant l'irrévérence des Espagnols, devint l'ami des Turcs, réoccupant toutes ses terres, pour l'honneur des siens. Il mourut en 1545. Sidi Benkhlouf devint mokhzan (cavalier d'honneur) du Bey Bouchlarem de Mostaganem et serviteur du Dey Pacha Hussein. Epoque où il est désigné commandant (des croyants), reconnu comme tel: tacticien, juste, vénéré par tous, il aura pour mission de réunir toutes les tribus du pays, d'El Mhal, des Ouled Suid, M'djahel, des Mazranas (Kabylie), Alger, Chief, jusqu'à Mostaganem. Il désigna cet ensemble de tribus El Maghraoula, pseudonyme dignitaire des Maghraoul. En 1550, il est sollicité par le Dey Kheireddine, combattant les Espagnols, ce fut la première rezoua (bataille) à Cherchell, repoussant, tuant les 150soldats, décrite dans cette strophe-qacid: «Ya Allah sellakna fi fillett el hdjoum» (O Dieu, épargne-nous dans cette nuit et guide mon épée), décrivant la bataille: «Sur le Mont de Cherchell, nous avons établi notre dispositif de combat, ce fut un jour solennel, vaincre ou mourir en martyr.» Un poème émouvant, transcrivant des airs épiques de vaillants guerriers. Il entreprit des escales, d'Alger, Blida, El Asnam (Chlef), à El Mardja Sidi Abed, Sidi Bouabdellah, Oued Rhiou, amassant des moudjahidine au combat final. Il eut deux tentatives d'invasion par le comte Alcaudet, gouverneur d'Oran, et son fils Don Martin, les 22 et 23 du mois de mars, l'an 1543-45. Deuxième incursion des Espagnols, 1547, 21 août, aux abords de Mostaganem, sans effets. Le Comte rebroussa chemin, sans morale, et d'en finir, méditant des stratèges, sa troisème et dernière tentatives, avec une armée munie de canons, ravitaillements, et autres, estimée à 12 000 hommes. Lakhdar Benkhlouf, au côté de Hassan Bacha arrivèrent le soir du jeudi 23 août 1558 à Mezaghren, vendredi à l'aube, enclencha la bataille; cerné et empêtré dans le sable, l'ennemi subira la sentence finale, tuant le comte Alcaudet, son fils fait prisonnier, amené vers Alger. Le conflit prit fin le 26 août 1558, au soir. L'armée des autochtones, évaluée à 15 000 hommes, certains l'estiment à 300 et 3 000, au rapprochement aux moudjahidine du prophète (QSSSL), chose improbable, au vu des réalités historiques. D'où son qacid Gicett Mezaghren: «Nous les avons acculés à la muraille, en ce jour, et un peu plus loin, et en ce jour, nous fîmes ce qui devait être fait.» «Ya fares men tem djitt el your - Aid ghir sah me tema - Ya aadjlan rid el Meldjoum - Raitt Edjnab - echlou Mouchouma - Ya Sayelni aane trad el Youm -Kacet Mazeghren maalouma.» Sidi Lakhdar comparera ces deux grandes batailles de Cherchell et de Mazagran à Ohad et de Badr, que Mohamed (QSSSL) a menées. Sans omettre des tentatives antérieures, par une armada de flottes anglaises, portugaises, françaises et espagnoles, désignant les Croisés, foudroyées par l'intrépide flotte algérienne. À noter le passage historico-culturel du célèbre écrivain Miguel Servantes, né à Alcala de Hinarès en 1547, mort en 1616 à Madrid, auteur du fameux Don Quichotte de la Manche; celui-ci, en espion-commerçant, s'introduisit à Mostaganem, mais surpris, il fut ébahi par la beauté, l'esthétisme époustouflant de la ville... Qui a dit que ces «civilisateurs» tenaient les bonnes mesures avec...? Sidi Lakhdar se replia dans la qobba de Sidi Belkacem Bouasria, rééditant le savoir d'érudits, la philosophie, au précepte dini, accaparant ses idylles mystérieux et infinis, vers la méditation supérieure. Les 40 ans révolus, il transcende la vision de ce bas-monde, il s'établira avec sa famille à Sidi All, les hauteurs de l'ex-Cassaigne, à 50 km à l'est de Mosta, et son épouse Guenou. N'ayant de biens que ses livres saints (le Coran); livré à la dévotion, aux prières, au Prophète (QSSSL), il exclama à sa femme du bien-fondé divin, dont elle prie conscience, après s'être écartée par défiance, mais elle revint, invoquant Dieu et le pardon à son mari. Il déclama par: «Que la bénédiction de Dieu soit sur toi, élu du Seigneur, Toi des derniers Messagers, Père de Fatma Zohra, Tu es un don du ciel, que Dieu m'a accordé...» Vénéré, nombreux poètes adoptèrent son précepte, suscitant un lien inéluctable. Ainsi, l'impact moral qu'il occupa en Espagne, dans leur bibliothèque, portant tout l'intérêt. «Je suis resté éveillé toute la nuit, soudain j'ai vu comme une lumière semblable à la Nuit Sacrée (Laylet El Qadr) «C'était Mohamed auréolé de sa gloire, que Dieu bénisse l'Elu Véridique, que la paix soit avec lui.» On distinguait des flambées de lumière inhabituelles, le voisinage accourant, en criant: «Courez, courez, la kheïma de Lakhdar est en feu!» Sur place, ils restèrent impressionnés par l'enchantement divin; ils se résignèrent, reconnaissant en Benkhlouf l'être du salut devant cet accomplissement miraculeux. Le nombre exhaustif de ses poèmes est estimé à 2 000, sa famille le situe entre 400 à 600, beaucoup dans l'oubli, chez des particuliers, attendant des jours meilleurs, pour le bien collectif, au patrimoine commun. D'autres, nourris d'un conformisme douteux, mercantile, dépouillent ces richesses à leurs convenances, s'établiront à la place et lieux des chouyoukh (leurs maîtres), par leur verbiage et l'insolence, s'exhibent comme donneurs de leçons, ironie du sort. C'est cet amalgame de choses brouillées qui fait et défait, malheureusement.
* Ecrivain, plasticien, comédien, sculpteur... ex-chargé éducation-culture, ex-chargé de festivités nationales. Abbou Abdelkader Dad