Les résultats décevants des renseignements occidentaux font gonfler une menace réelle, certes, mais sans commune mesure avec ce qui se dit. La vaste bande saharo-sahélienne, abandonnée par les gouvernements locaux, sert de no man's land aux trafiquants de tout bord et sous-tend une guerre pour le contrôle du trafic de drogue et d'armes. Et pourra servir aussi les objectifs américains dans leur tentative de contrôle militaire du Maghreb et de la vaste bande du Sahel. Mais cette région sablonneuse, aride et abandonnée constitue-t-elle un risque réellement élevé pour les Etats-Unis et l'Occident? La question, simple et complexe à la fois, a été posée par L'Express du 16 novembre, et renvoyait aux craintes, bien réelles celles-là, des Français de voir s'installer pour longtemps les experts militaires américains dans cette région de tous les enjeux, et qui a été jusqu'à une date récente la chasse gardée des services spéciaux français. L'Express a aussi posé cette question à un officier malien, et lui précisant si le Mali est partie prenante de cette guerre. Que penser alors de l'argument de Washington voulant qu'Al Qaïda et les groupes qui s'en réclament puissent trouver des sanctuaires dans des pays du pourtour sahélien comme le Mali? Oussama Ben Laden a bien trouvé refuge au Soudan dans les années 1990. «Non, non, je n'y crois pas», objecte encore l'officier malien. Pourtant, d'autres officiers maliens disent partager la préoccupation américaine que leur pays et d'autres Etats riverains du Sahara puissent être déstabilisés par des groupes islamistes armés. Dans les cinq à sept ans à venir, le Pentagone va investir 600 millions de dollars dans son «partenariat contre le terrorisme transaharien». Pour le journal, ce programme concerne neuf pays à la périphérie du plus grand désert du monde: Mali, Tchad, Mauritanie, Maroc, Algérie, Niger, Sénégal, Nigeria et Tunisie. Les grands espaces mal gouvernés «sont devenus attrayants pour les groupes terroristes qui se voient privés de plus en plus de leurs sanctuaires en Afghanistan et au Moyen-Orient», estime le général américain James Jones. Jones, chef du commandement européen de l'US Army (Eucom), qui est aussi chargé des opérations en Afrique, considère les pays du pourtour saharien comme «un terrain de recrutement favorable et prédisposé à l'influence radicale terroriste et à d'autres activités de déstabilisation». A l'appui de l'analyse américaine est souvent cité l'activisme régional du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc). Dans le nord du Mali, le groupe s'est heurté aux combattants touareg, qui ont tué en octobre un de ses chefs. Il y a moins d'un mois, le Gspc s'est vengé en tuant neuf Touareg maliens. Les officiers supérieurs maliens se disent inquiets de l'évolution de la situation dans le nord désertique du pays, où s'entremêlent islamisme armé, agitation touarègue et trafics de toutes sortes. Pour le lieutenant-colonel malien Bréhima Haïdara, commandant adjoint de la région, le spectre du terrorisme est réel. «La menace c'est le Gspc, Al Qaîda.» Mais il souligne qu'islamistes algériens et Touareg se disputent le contrôle des routes transahariennes de la lucrative contrebande de cigarettes, de drogues et d'armes. Pour un autre officier malien, il ne faut pas surestimer le danger de voir les islamistes, parfois difficiles à distinguer des trafiquants, prendre pied au Mali. «C'est vrai que certains de ces gens passent par le Mali sans encombre, mais dire qu'ils y restent en toute sûreté, non, ce n'est pas le cas.» Selon certains analystes occidentaux, l'armée américaine amplifie délibérément la menace terroriste pour obtenir les moyens de son activisme dans la région. L'universitaire britannique Jeremy Keenan accuse même Washington d'inventer la menace pour «s'assurer l'Afrique» et l'accès à ses ressources naturelles. Les Etats-Unis cherchent à réduire leur dépendance vis-à-vis du Moyen-Orient pour le pétrole et les pays d'Afrique, qui remplissent 16% de leurs besoins actuellement, devraient en représenter 25% d'ici à 2015. «En créant cette affaire terroriste, les Américains créent les conditions de la militarisation de l'Afrique», juge Keenan. «Nous n'exagérons, ni ne minimisons ce qui se passe», se défend, sans surprise, le général William Ward, commandant adjoint de l'Eucom. La menace Gspc existe, et son exagération aussi. Il n'y a qu'a voir que lorsqu'ils veulent donner des assurances aux capitaux étrangers que tout risque est écarté, ils le font avec conviction.