Depuis leur apparition en 1792 à l'issue d'une période féconde de 172 ans (1619-1791) où 53 accords de coopération furent signés (cf. H. Djiar, T1- 2012), les remous de la relation algéro-française n'ont pas cessé. Ils ont atteint une limite critique à six reprises: 1-en 1827 avec le coup d'éventail du dey d'Alger au consul de France qui fut le prétexte de l'agression, puis de l'occupation de l'Algérie (1830-1962); 2- en 1971 avec la nationalisation du pétrole; 3-en 1976 avec le parti-pris de Giscard d'Estaing sur le Sahara occidental; 4- en 1992 avec les velléités d'ingérence de F. Mitterrand dans la politique intérieure algérienne; 5- en 2005 avec la loi du 23 février sur le pseudo «rôle positif» de la colonisation; 6- en 2024 avec l'inflexion du président Macron sur le même dossier sahraoui. Chacun de ces épisodes correspond à un contexte particulier. Celui de la décennie 1820 est marqué par le litige du blé fourni par la Régence d'Alger (1794) à la France de la Révolution, et que Paris refusera de payer (près de 8 millions de francs). La décennie 1970 se spécifie par le bras de fer économique entre le Sud global et le monde dit développé dans un climat de guerre froide, tandis que les années 1990 sont celles de la tragédie nationale que l'Europe interprétait selon ses normes. Quant au climat actuel, il se caractérise par les prémices d'une évolution majeure portées par la doctrine Trump, ainsi qu'un nexus de crises multiples qui compliquent les relations entre Etats. Celle franco-algérienne s'est exacerbée suite au propos sur l'honneur algérien formulé par le président français devant la 30e Conférence des ambassadeurs (6-7/01/2024). Au final, il est manifeste qu'une tension chronique mine les rapports bilatéraux. Qui est responsable de cette «pathologie» qui perdure depuis 233 années (1792-2025)? L'histoire témoigne que tout est parti de la rupture fondatrice de 1830 imputable à la partie française. Depuis lors et pendant 132 ans, une mentalité de colonisateur s'est cristallisée qui a conduit au dédain des «indigènes» qui ont fini par se révolter. Après l'indépendance, cette mentalité ne s'est pas dissipée. Elle a continué d'influencer en France les postures et les motivations relatives auxdits rapports. La ténacité de cet état d'esprit tient à son ancienneté qui remonte à la lointaine période des concessions d'Afrique (1478-1619) et de l'appétit d'expansion qui l'a suivie. Il s'est ensuite consolidé au cours d'un assaut effroyable (1830-1871) mené sous la houlette d'une quinzaine d' «officiers conquérants» (cf. P. Azan, 1930), avant de s'incarner à partir de 1875 sous la IIIe République dans la doctrine suprématiste de la pseudo «mission civilisatrice». Après 1962, la situation a changé. Les intérêts en présence sont désormais ceux d'un ex-colonisateur face à un ex-colonisé, tandis que le passé colonial se révèle comme une leçon à apprendre, non un héritage à réhabiliter. Aussi, ces intérêts devaient-ils forcément s'équilibrer et s'élever aux plus hautes expressions du respect mutuel et d'un partenariat gagnant-gagnant. Or, une France minoritaire qualifiée autrefois de «parti colonial» (C.R. Ageron, 1978), persiste à affirmer qu'elle «n'a pas dit son dernier mot» (dixit E. Zemmour), c'est-à-dire qu'elle s'obstine à rejeter la décolonisation de l'Algérie et à mépriser les idéaux éthiques et moraux qui l'ont inspirée. Du coup, elle passe outre les qualités normatives et politiques nécessaires à une coopération équitable qui sont pourtant vivantes parmi la majorité du peuple de France, lequel n'a pas été étanche aux valeurs humanistes issues de la Renaissance, ni au Discours de la méthode (Descartes, 1637) articulé sur une confiance absolue dans le bon sens et la «Raison», auxquels se greffent les Lumières et les principes de 1789 qui l'ont fortement impacté, sans oublier l'appui que bon nombre de ses intellectuels ont apporté à la cause algérienne. C'est pourquoi les Algériens se gardent bien de confondre ledit peuple avec ses colons d'hier et ses extrémistes d'aujourd'hui qui pénètrent subtilement les sphères dirigeantes où ils font de l'Algérie un bouc émissaire du malaise économique et social interne. Ce que, outre Mélenchon, De Villepin et autres, F. Bayrou a mis à nu dans un bilan où il impute sans détour ce malaise à la classe politique de son pays (discours devant le Parlement, 14/01/2025). En vérité, l'attitude de la droite radicale dissimule une soif de notoriété et des arrière-pensées électorales, ni plus ni moins. Certes, quelques influenceurs algériens inavisés fournissent aux acteurs de cette droite inavertis de l'art de gérer des crises diplomatiques, un prétexte à user sans concertation de bagatelles pour motiver leur acharnement. Il reste que la vitalité agissante de l'Histoire atteste par ses leçons qu'au final, c'est la raison et le but partagé qui priment l'émotion, la rancoeur et le solipsisme. C'est pourquoi une harmonie durable passe par le respect des obligations morales envers l'Algérie qui, sans lâcher prise sur la mémoire, n'est ni haineuse ni portée à humilier quiconque, ayant elle-même enduré longtemps la haine et l'humiliation. Et qu'elle est tout à fait apte à cimenter une interconnexion en fonction de l'avenir et du droit. Un effort de réflexion franco-français est donc à fournir pour tourner la page sans la déchirer. *Membre du Conseil de la nation