Mettre des mots en image sur des non-dits, ce flou artistique qui, parfois règne dans nos vies sans pouvoir clairement l'exprimer est la gageure de ces films où un fil rouge les réunit. Cinq courts-métrages ont été projetés, jeudi dernier, à l'Institut français d'Algérie, à Alger, dans le cadre de la soirée annuelle ramadhanesque dédiée aux courts-métrages. Cinq films plus ou moins intrigants, voire parfois complexes par leur forme et proposition artistique ont suscité questions et admiration. La soirée a commencé par la projection du film Aïcha de Coralie Lavergne (18 mn, 2023). Elsa, douze ans, vit avec sa mère dans un petit village de Provence. Elle attend avec impatience la venue de son grand-père algérien qui leur rend visite pour la première fois. Contre toute attente, cette rencontre va bouleverser sa relation avec sa mère. En effet, Elsa découvre ainsi le véritable prénom algérien de sa mère, qui se fait passer aussi pour une vendeuse de bijoux et demande à son ex- mari de rester à la maison pendant quelques jours faisant croire à son père qu'elle est toujours mariée…Tous ces mensonges finissent par accabler la fille qui prend conscience de sa double identité dans de mauvaises conditions, basées sur la honte et la dissimulation. Cette tension familiale dégénère et finit en dispute entre la fille et la mère. Et de crever l'abcès en cherchant des explications…De la même façon, Rayane Mcirdi a choisi de parler de sa famille et partant, de rendre hommage à tous ces immigrés qui le jour du 14 juillet prennent la route pour se rendre en vacances «au bled». Un été à la fin des années 80 : une famille algérienne prend la route pour rallier Marseille, depuis la banlieue parisienne où elle réside. À l'horizon, un ferry mythique, le port d'Alger, des vacances «au pays», que les enfants ne connaissent pas. Dans le van surchargé flotte un mélange de joie et d'énervement, de liberté et de nostalgie. En effet, le film est d'autant plus touchant car il est raconté par la voix d'une des filles protagonistes du film qui se souvient de ses départs en famille et décrit les ambiances du voyage..Le réalisateur a estimé nécessaire d'aborder ce sujet car il dira pendant le débat qui a suivi la projection que sa mère lui racontait toujours le voyage, mais jamais elle n'évoquait l'Algérie. Le titre du film correspond d'ailleurs, à une réponse du père à la question de son fils qui lui demande «où se trouve l'Algérie ?» Entre images fantasmées et réalité, le réalisateur a voulu nous emporter avec lui dans l'intimité des souvenirs de sa famille et nous partager ses émotions aussi bien fragiles que vraies, à travers les péripéties d'une famille lambda, heureuse et fébrile d'aller revoir à chaque fois le pays de leurs origines… Dans Memories of an unborn sun de Marcel Merjen (22 mn,2024), le film entame son périple par des images éprouvantes pour le regard autant que par le son métallique qui traverse ce récit, filmé en grande partie en drone... trois parties semblent composer ce film, que le réalisateur a voulu relier ensemble ; le travail des ouvriers chinois en Algérie, les méfaits des essais nucléaires dans le désert algérien et l'extrapolation futuriste basée sur la création d'un faux soleil d'après des rumeurs que le réalisateur a pris le soin de matérialiser par des images post apocalyptiques à forte dose sonore et d'effets esthétiques…»Ecrit à partir de témoignages, de rumeurs et de fake news, ce film questionne l'exploitation (néo)coloniale sans fin du territoire algérien. Alors que ce monde sans nuit incarne l'utopie d'une croissance infinie, comment invoquer les fantômes de ceux qui l'ont bâti ?» est le propos du cinéaste qui a fait appel en outre à des archives consacrées aux essais nucléaires français dans le Sahara, qu'il associe volontairement à des images virales d'un soleil artificiel, ajouté à cela les vers d'un poète touareg afin de boucler la boule. Le résultat final est surprenant et l'effet est d'autant plus introspectif qu'on oublie vite la portée touffue du message du film que l'on arrive difficilement à saisir, tout compte fait, face à la beauté saisissante et sublimée des images qui nous font pénétrer dans une expérience immersive où la démarche cinématographique prend ici tout son sens. Le cinéma et ses hors champs imaginaires est justement le propos du film Véritas de Thomas Castaing ( 15 mn, 2024). Au-delà d'un exercice de style, le réalisateur entend explorer les limites du documentaire en flirtant sciemment avec la fiction, brouillant ainsi les pistes entre les deux genres. Le réalisateur met ainsi en scène un plateau de tournage où la réalité des coulisses vient à la rescousse- dans une sorte de mise en abime- du récit du court-métrage. En effet, sur le plateau de tournage de son film, un cinéaste névrosé se retrouve paralysé par la réalisation de sa scène principale qui reproduit un meurtre «streamé» sur les réseaux. Alors que ses tentatives pour obtenir une scène réaliste échouent et sous la pression de sa productrice et de son équipe, un fugitif débarque sur son plateau. C'est un miracle pour le réalisateur qui, séduit par le jeune homme, le propulse au premier rôle de son film, bousculant ainsi toutes les règles établies. Dès lors, la frontière entre la réalité et la fiction se disloque, entraînant son équipe mais aussi le spectateur dans sa psyché. Devant le flux d'images qui nous submergent de toutes parts, il est à juste titre nécessaire de questionner la force de frappe des images et leur impact sur notre environnement ou nos comportements dans la vie de tous les jours. «Le but n'était pas de décrire l'univers du cinéma, mais de traiter de la porosité entre la fiction et la réalité. Et de se demander face à toutes ces images qui nous assaillent et les fake news, si les images qu'on voit sont vraiment vraies. L'idée était d'aller faire télescoper différents formats et genres, tout en essayant d'amener le spectateur à trouver sa propre vérité, son propre chemin…», dira Thomas Castaing. Une idée qui pourrait rejoindre la trame du film Inconnu d' Ahmed Zitouni où l'on n'arrive pas au final à déceler le vrai du faux tout en s'interrogeant sur la violence et le danger que peuvent entrainer un excès d'images sur le confort psychique d'un individu, au-delà des dangers que peut susciter le téléphone mobile aujourdhui… Dans Inconnu, Salima est une artiste peintre qui, un soir retrouve, par terre, en rentrant chez elle, un téléphone portable. Il sonne, elle répond. Une succession de menaces s'ensuivent. Salima, angoissée, s'enfonce peu à peu dans un tourbillon de délire incontrôlé et s'enlise dans une situation qu'elle ne maîtrise pas…Entre panique et folie, Salima devient quasiment quelqu'un d'autre….Point d'interrogation. Et l'on sort de cette projection en pensant à ces énigmes non élucidées, à faire travailler notre esprit… Une belle soirée cinématographique en somme, qui nous a permis de voyager entre les interstices de différentes thématiques et formats, au profit du plaisir que procure le grand écran.