Après 30 ans d'attente, les fans de la vedette auront l'occasion de vivre des moments pleins d'émotion avec une musique bien raffinée. Profitant de sa visite en compagnie de Zinedine Zidane, la star mondiale du football, Idir, l'auteur de la chanson légendaire Vava Inouva, a bien voulu se confier à L'Expression. Avec un large sourire, il a accepté de répondre à toutes nos questions, concernant la musique, la Kabylie, l'Algérie, et notamment son nouvel album et sa tournée en Algérie, prévue en avril prochain. L'Expression: Idir accompagné de Zidane en Algérie. Pouvez-vous nous dire un mot en cette circonstance? Idir: Aujourd'hui, je suis en Algérie, suite à l'invitation de Zidane. Donc, je ne suis, en réalité, qu'un invité de l'invité. Il m'a demandé de l'accompagner lors de cette visite et c'est avec un grand plaisir que j'ai accepté. Cela fait longtemps que je ne suis pas venu. Zizou, depuis son enfance, n'est plus retourné dans son pays d'origine. C'est avec un grand plaisir que je me retrouve ici. Ce qui m'a touché le plus, c'est la qualité émotionnelle de l'accueil, même Zidane a été touché. Certes, il s'attendait à ce que l'accueil soit chaleureux, mais pas à ce degré-là. Revenons à Idir, quelles sont vos nouvelles dans le domaine de la musique? Je suis en train de préparer un nouvel album intitulé La France des couleurs, avec ma maison de disques en France. L'album va sortir en France au mois d'avril prochain. C'est un disque que je ferai avec des jeunes de différentes nationalités et qui vivent en France. Ils sont de jeunes rappeurs et des gens du hip-hop, du scénique et d'autres styles. Chacun s'exprime dans sa langue, moi, bien évidemment, en kabyle, la langue dans laquelle je m'exprime très bien. C'est une opportunité pour moi, qui suis loin de ce métier, d'apprendre d'autres choses avec ces jeunes. Votre public en Algérie espère toujours vous voir sur scène... Cette question, il faudrait la poser à d'autres gens. Que mon public sache qu'il ne dépend pas de moi. Je ne refuse jamais de chanter en Algérie. Moi aussi, je veux retrouver mon public. Il me manque, bien évidemment. A l'occasion, je lui dis, à travers les colonnes de votre journal, que je serai en tournée nationale au printemps, plus précisément en avril prochain. Berbère TV est en train de préparer cette tournée. Les responsables de cette chaîne ont pris quelques contacts ici, je pense qu'on va faire quelque chose de bien pour mon public dans les grandes villes d'Algérie telles que Constantine, Oran, Tizi Ouzou, Béjaïa, Alger, Annaba et d'autres villes. Avez-vous contacté les responsables de la culture en Algérie pour parrainer cette tournée? Ce n'est pas de mes habitudes de leur demander cela. Je ne leur ai jamais demandé quelque chose et ce n'est pas aujourd'hui que je le ferai. Puis, ce n'est pas spécialement avec eux qu'on doit organiser la tournée. Mais je signale que s'ils me proposent quelque chose, pourquoi pas. Car c'est l'argent du contribuable. C'est l'argent de tous les Algériens. Nous sommes des Algériens et cet argent nous appartient à tous. Le plus important qu'on ne me demande pas de faire des choses contre ma nature. Moi, je suis toujours mon itinéraire, avec mes idées et comme je veux. Je préfère garder ma liberté. Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut insulter ou dire des méchancetés sur les autres. La chanson kabyle vit des hauts et des bas. A quoi est due, à votre avis, cette situation? La chanson kabyle vit plus de bas que de hauts. Les chanteurs se suivent et les chansons se ressemblent. Il n'y a pas d'innovation ni de création. On manque d'audace et d'aventure. On n'essaye pas d'apporter de nouvelles choses. On ne s'aventure pas et dire peut être que ça va marcher. Les gens font ce qu'on leur demande de faire. Si le non-stop se vend bien, on leur demande de faire que du non-stop. Sans penser à la substance et la profondeur de ce qu'on veut exprimer. Parfois, c'est amusant d'écouter pour cinq minutes ces chansons de fête, mais pas pour longtemps. Car, on ne peut pas avancer de cette manière. Parfois, il y a des reprises qui sont bien faites. Mais, en général, le public préfère l'original que la photocopie. Car, comme je viens de le dire, le public a besoin de la création. Il faut bien savoir choisir la qualité de la mélodie. Il faut penser à la psychologie de la chanson. Moi, si je chante en Allemagne ou en Suède en langue kabyle, je sais que je vais percevoir le public, parce que, peut être j'ai un petit savoir-faire pour pouvoir le leur présenter. Je pourrais créer un univers pour lequel ils viennent. Peut-être que je fais des mélodies simples à écouter. Mais pas à composer. Je vous garantis que je me casse la tête. Il ne faut pas croire que les notes qu'on écoute viennent par hasard, mais je me casse la tête. Alors pourquoi on ne transmet pas le savoir-faire de votre génération à cette nouvelle génération? Justement c'est la question que je me pose. Franchement, je ne comprends rien du tout. Je n'en sais absolument rien. On peut transmettre beaucoup de choses à cette nouvelle vague, à travers ce qu'on chante et ce qu'on fait. Certes, moi je suis en France et la plupart des chanteurs vivent ici en Algérie, mais on peut toujours travailler ensemble. Ils ne nous sollicitent pas. Je pense qu'ils se sentent bien dans ce qu'ils font, ça marche bien peut-être, ils sont satisfaits et tant mieux pour eux. Quels sont les chanteurs que vous sentez capables d'assurer la relève? C'est difficile de parler de la relève. Mais dans cette nouvelle vague des chanteurs modernes, j'aime bien quelqu'un qui s'appelle Ali Amrane. Je suis, avec beaucoup d'intérêt, Alillou. Il a une voix avec plusieurs registres, il a démontré qu'il peut chanter ce qu'il veut. Il a les moyens d'apporter quelque chose à la chanson kabyle. Il y a aussi Si Moh qui fait de très bonnes choses, et ce, sur le plan du texte et de la mélodie, c'est très joli ce qu'il fait. Si Moh est un bon exemple à suivre. Dans le traditionnel, j'aime beaucoup Amour Abdenour, Lani Rabah. La Kabylie recherche toujours son identité. Ne pensez-vous pas qu'on doit dépasser cette lutte? Mammeri dit «Une identité ne se revendique pas, elle se vit». Moi je vis mon identité. Je la proclame et je la chante, je n'ai pas besoin de dire à quelqu'un de me la donner. On doit, seulement, lui donner les moyens de son existence, de la construire à travers la littérature, la musique, la peinture etc. Malheureusement, on est loin de cette vérité. Prenons l'exemple de l'écriture. Nous sommes dans une transmission essentiellement orale. Ça va de la bouche à l'oreille dans deux secondes. Actuellement, on n'a pas encore un réflexe de culture de lire et d'écrire. On écrit d'une manière militante et on lit d'une manière militante en kabyle. Par contre, en français et en arabe on a été à l'école et on a été forgé au fil des années à lire et à écrire. Donc, il est impératif d'enseigner Tamazigh pour la planter dans les esprits de tous les Algériens. Justement, vous vous êtes engagé pour que l'Algérie multiple assume pleinement sa culture amazighe. Pensez-vous qu'on est déjà arrivé là? Il faut d'abord penser algérien. Je suis kabyle d'Alger et de Tamanrasset, je ne cède aucun point du territoire national. Là où je vais en Algérie je dis que je suis Algérien et Kabyle. Comment ne veut-on pas accepter cette langue et sa culture, alors qu'on porte le même passeport? Ce n'est pas normal! Aujourd'hui, un Québécois parle bien le français, mais il n'est pas Français pour autant. En Algérie l'histoire a fait, pour notre plus grand bonheur, qu'il y ait eu plusieurs influences, dont celles des Arabes et de l'islam. C'est là toute la richesse de l'Algérie et de l'Afrique du Nord. Ceci étant, aujourd'hui, c'est la culture berbère qui est opprimée et c'est uniquement pour cela que je la défends. La langue amazighe n'est pas reconnue comme langue officielle. Une culture opprimée et une identité «ignorée». Quelles conséquences sur l'Algérie? En Algérie, on a fait un génocide culturel. Après l'indépendance, nous avons tout simplement récupéré une intégrité territoriale. Dès qu'il a été question de l'identité algérienne, on a cru bon de la rattacher à un monde arabe aussi abstrait que mythique. Si on avait axé nos efforts sur l'éducation et la culture, l'Algérie ne serait pas dans cette situation. Avec l'éducation on échappe à l'intégrisme et au totalitarisme. C'est le combat contre soi. Il faut poser les problèmes en termes de justice sociale. Le problème de l'Algérie c'est un problème de culture. Ce n'est pas un problème de dictature, d'islamisme ni de démocratie. La démocratie est un faux problème dans la mesure où l'on n'a pas de vrais démocrates en Algérie. On n'accepte pas les principes de la démocratie à l'occidentale. Pourquoi la Kabylie s'est retrouvée, aujourd'hui, comme le premier terrain de tous les fléaux sociaux? La région s'est singularisée avec une culture à part. Elle a une raison supplémentaire de vivre dans la mesure où elle a une identité forte au point qu'elle n'a pas besoin de se chercher des valeurs dans l'islamisme ou dans l'arabisme ou dans une idéologie ailleurs. Etant une région rebelle, elle paie cher ce qu'elle vit. Il faut avouer, également, que c'est une région qu'on délaisse. Les pouvoirs publics disent toujours que c'est une région qui a beaucoup d'immigrés. Comment voulez-vous qu'on réagisse quand on vit dans la misère et dans le chômage? Soit on se rapproche de Dieu, soit on vole et on fait des exactions. Il y a aussi, le plus important, une certaine politique voulue. Aujourd'hui, si la Kabylie est le premier terrain de suicide en Algérie, ce n'est pas au hasard, si elle est le terrain de l'alcoolisme ce n'est pas au hasard. Ce sont des fléaux qui n'amènent pas vers le bonheur. Depuis quand, on a construit de nouvelles usines en Kabylie? Il faut voir ce qui se fait dans d'autres régions du pays et de faire un parallèle. Rien ne se fait au hasard, voilà. T. F.