L'année 2006 marque, à ses yeux, un virage important pour l'avenir du pays. 2007 est le rendez-vous des élections et l'occasion d'entendre la voix du peuple. C'est une dame optimiste en l'avenir de l'Algérie avec laquelle nous nous sommes entretenus durant plus de deux heures pour connaître l'approche de son parti par rapport aux développements politiques et économiques survenus sur la scène nationale. Louisa Hanoune s'enorgueillit de voir aujourd'hui que la politique effrénée de privatisation soit remise en cause. L'année 2006 marque, à ses yeux, un virage important pour l'avenir du pays. 2007 est le rendez-vous des élections et l'occasion d'entendre la voix du peuple. Sur le plan pratique, elle appelle à démettre les ministres en charge de la politique économique qui ne sert pas l'intérêt des Algériens. L'Expression: Quel bilan faites-vous des réalisations de l'année qui s'achève par rapport à celle de 2005 qui a connu l'application d'un programme chargé des privatisations de l'économie algérienne? Louisa Hanoune: A la différence de 2005, nous considérons que l'année 2006, bien qu'elle soit marquée par des contradictions majeures, elle a apporté son lot de bonnes notes pour la nation algérienne en laissant entrevoir des perspectives positives. Disons que si la première année a été celle du rouleau compresseur de la politique de privatisation avec ses lois de dénationalisation et de bradages des richesses nationales, mettant en danger l'existence même de l'Algérie en tant qu'Etat et toutes les conquêtes acquises depuis l'indépendance. Nous considérons que le référendum sur la paix et la réconciliation nationale, organisé à l'époque, est très instructif à ce sujet puisqu'il a marqué une réponse à la pression extérieure exercée par le Fonds monétaire international et les grandes puissances qui ont réagi différemment, face aux résultats de la consultation populaire. Les Français avaient jugé le vote démocratique à l'inverse des Américains qui ont vu le contraire. Ceci a permis de dégager des horizons nouveaux pour le pays. Pour l'année qui s'achève, disons qu'elle se distingue par la grande victoire pour la Nation, à savoir la renationalisation des hydrocarbures et le blocage de la loi de Chakib Khelil. C'est un aspect positif pour notre parti, pas seulement parce que nous nous sommes mobilisés en collectant un million de signatures favorables à cette issue en demandant un référendum sur la question, mais surtout parce que nous savions que cette loi obéissait à des injonctions dictées de l'étranger et le président Bouteflika l'avait lui-même dit. Le programme de la relance économique est un autre signal de la reprise en main de la question du développement par l'Etat. Qu'en pensez-vous? A partir du moment où on peut garder nos richesses, les autres problèmes peuvent trouver des solutions, notamment avec le plan de relance économique évalué à 120 milliards de dollars. Ce qui est énorme et qui n'existe nulle part ailleurs dans le monde. Ce sont là des investissements publics, ce qui sous-entend que l'Etat a réalisé qu'il ne faut pas trop compter sur les investissements directs de l'étranger qui sont de l'ordre de 3% pour l'ensemble du continent africain selon la Cnuced (Commission des Nations unies chargée du développement économique, ndlr). Tout en relevant que ce taux faible d'investissement ne concerne que les richesses naturelles des pays, y compris de l'Algérie. Ces investisseurs ne viennent pas pour construire des usines ni pour lancer des chantiers et créer de l'emploi, mais pour vendre leurs produits et prendre la matière première dont ils ont besoin. L'autre décision forte prise par le gouvernement réside dans l'utilisation des Fonds de régulation des recettes, c'est d'ailleurs l'une de nos revendications pour laquelle nous militons depuis l'existence de ce fonds, tout en sachant que le FMI était opposé à une telle démarche, comme il s'est opposé au programme de la relance économique, considérant que nous sommes tous des corrompus, incapables de bonne gouvernance. La question des salaires est aussi un autre aspect positif de la nouvelle approche socioéconomique et même si elle reste insignifiante elle marque tout de même l'émancipation graduelle de notre gouvernement de la pression du FMI et de la Banque mondiale. Mais il reste le problème de la sécurité interne qui préoccupe toujours et qui bloque, quelque peu, cette dynamique de relance... Je pense que la situation sécuritaire est en amélioration constante, certes, mais du fait de la décomposition sociale, on a vu jaillir des phénomènes alarmants à cause de la régression que nous avons subie durant toutes ces années. Aujourd'hui, le banditisme et le crime organisé sévissent à grande échelle, le suicide des jeunes et la question des harraga est un traumatisme national. Les boat-people est une réalité vécue par les pays sub-sahariens surtout qui ont été victimes du pillage de leurs richesses naturelles par les multinationales et ravagés par les privatisations des entreprises, il s'agit donc d'une décomposition généralisée et l'Afrique du Nord était, jusque-là, épargnée. Maintenant, ce n'est plus le cas et l'Algérie qui regorge de richesses naturelles et d'hydrocarbures, se retrouve dans la même situation des pays pauvres d'Afrique. Nos jeunes risquent leur vie et meurent en tentant de partir. Pourquoi en sommes-nous arrivés là? La tragédie nationale a failli faire disparaître l'Etat algérien et a permis l'apparition de seigneurs de la guerre qui ont dirigé l'économie, le commerce extérieur, notamment. Les pillages ont proliféré et sur le plan du pouvoir d'achat, il y a eu une régression atroce et le dernier relèvement des salaires n'a pas permis de combler. Cette situation a eu des répercussions sur tous les plans, figurez-vous que 40.000 cadres universitaires ont quitté le pays, leur fiche de paie est misérable. C'est une véritable saignée. Le dernier exemple du reversement de la formation technique de l'enseignement général vers la formation professionnelle est l'expression de cette volonté de ne pas former des élites pour diriger notre économie, ce qui veut dire qu'on ne veut pas asseoir notre indépendance alors qu'on a encore et toujours besoin du savoir et de la recherche scientifique. C'est une stratégie qui vise à maintenir et à entretenir la dépendance à l'égard de l'étranger alors que dans d'autres pays, on constate le contraire puisqu'on cherche à avancer très vite. Pour ce qui est de l'université, disons que c'est le chaos total avec l'introduction du système LMD (Licence-Master-Doctorat ndlr), c'est une manière de faire des universités pour les riches. Universitaires, dont certains ont été dernièrement radiés de leurs fonctions à l'université d'Alger par une décision du recteur sur injonction de la Fonction publique pour cumul de fonctions. Ce qui est en complète contradiction avec la stratégie suivie dans le domaine économique... Et c'est là justement que nous nous posons des questions. D'un coté, l'Etat se réinvestit dans ses missions à travers les hydrocarbures et le plan de relance économique et une panoplie de mesures visant à restaurer la souveraineté de l'Etat et de l'autre, on assiste à la remise en cause des acquis d'une importance très sensible pour les générations futures. La part des générations futures ne réside pas seulement dans la part des hydrocarbures, mais dans le savoir et la formation de base à l'école et dans l'université aujourd'hui. C'est une manière de remettre en cause la démocratie de l'enseignement, l'université serait pour les riches qui ont les moyens de payer, les pauvres n'auront d'autre alternative que d'être plombier ou maçon. C'est un exercice dangereux. Le projet de privatisation du système bancaire a quelque peu reculé ces derniers temps, quel est votre avis sur le sujet? Là aussi, les décisions contradictoires sont légion et donnent le tournis aux Algériens. Le dernier conseil de gouvernement vient d'annoncer que la Caar ne sera pas privatisée tout comme la BNA, heureusement d'ailleurs, mais on apprend que la BDL sera privatisée mais c'est de l'incohérence puisque on sait tous que c'est la BDL qui gère l'argent du développement local. Pour le cas du CPA, le ministre veut privatiser en un seul lot, ce qui veut dire que c'est l'investisseur étranger qui décidera en conseil d'administration; on touche même à la Cnep qui est, quand même, l'argent des épargnants et personne n'a le droit d'en disposer à sa guise. On fait comme si il n y a pas eu le scandale de Khalifa et des autres banques privées et on ferme les yeux sur ce qui se passe en Russie. Cette politique a montré ses limites et ses effets dangereux. L'Etat a annoncé sa volonté d'extraire, à la privatisation, cent entreprises publiques parce qu'elles sont stratégiques, nous sommes du reste contents et soulagés, mais voilà que le même ministre que j'appellerais, volontiers, le ministre de la désertification et du bradage, souffle le chaud et le froid car, après avoir annoncé avec fracas, il y a quelques mois, qu'il faut tout liquider en quelques mois, vient aujourd'hui nous annoncer qu'il y a une nouvelle stratégie économique. Ce qui est un aveu d'échec. Le même a fait ses preuves au Brésil, en Bolivie et en Equateur et ailleurs et ce sont les institutions financières internationales qui ont tiré la sonnette d'alarme. Les économies fragiles ne peuvent faire face à la concurrence. Le cas de l'Algérie est plus délicat car nous sommes passés par une double guerre civile et contre l'économie, destructrice dans les deux cas. Le tissu industriel a été anéanti, ce qui nécessite une période de transition. Quand le ministre Temmar annonce la vente de 396 entreprises pour cent milliards de dinars, je dis qu'il s'agit d'une opération de bradage et tout le monde le sait maintenant. C'est une oeuvre criminelle qui exige l'ouverture d'enquêtes tous azimuts. Je vous cite l'exemple de la Socothyd de Boumerdès qui vaut mille milliards de centimes et qui a été proposée à trente milliards et, n'était la vigilance des syndicalistes, la pilule serait passée. C'est de l'arnaque et de l'insulte à l'égard des Algériens. Ce ministre n'en a cure, puisqu'il dit, clairement, que nous avons des engagements avec l'Union européenne. Il est donc au service de l'Union européenne. C'est un expert des institutions internationales, il a l'habitude de liquider. Il déclare une chose au sortir du conseil des ministres et il annonce, de son voyage à Paris, la mise en vente des entreprises algériennes; c'est exactement ce que font les «delalates» qui vendent du toc dans les marchés, sauf que, dans ce cas, il s'agit de bijoux de famille. Nos entreprises, ce sont des milliards que nous avons investis pendant trente années. Il est anormal qu'on parle d'une nouvelle stratégie économique au moment où on annonce d'autres privatisations, c'est ce qu'on appelle la politique du fait accompli que nous dénonçons à l'occasion. Quand il parle d'accélération du processus de privatisation en annonçant un programme de mise en vente de 15 entreprises par quinzaine de jours. Je le dis clairement: ce ministre travaille pour les intérêts des multinationales. Le Medef lui a signifié qu'il est intéressé par les investissements directs et non pas par la privatisation, c'est-à-dire le marché algérien pour acheter les matières premières et pour vendre leurs produits. Même pour Sonatrach, les déclarations de Temmar et Chakib Khelil ne nous rassurent pas. Ils nous ont trop habitués aux entourloupes. Nous pensons aussi que même le président de la République a été induit en erreur par un état des lieux erroné de la situation économique réelle. Comment se présentent, pour le PT, les perspectives de la nouvelle année qui s'annonce sous le sceau des élections? L'année 2007 sera un virage important dans la vie de notre parti. Nous allons participer aux élections municipales et nous nous préparons déjà, à travers la structuration de nos bases, dans les 1541 communes où nous sommes implantés. Pour ce faire, nous sommes prêts à passer des accords avec les autres forces politiques qui nous sollicitent pour se mettre d'accord sur une, deux ou plusieurs questions. Nous l'avons déjà fait en 2002 avec le FLN et le RND, sur la base d'un accord politique commun et nous n'excluons, à ce sujet, aucune force politique. Bien sûr, c'est aux citoyens de juger l'élu qui sera face à sa conscience. Pensez-vous que le PT est prêt pour gouverner? Nous avons acquis de l'expérience et nous pensons pouvoir répondre aux aspirations du peuple, s'il venait à nous accorder sa confiance. Nous croyons à la volonté populaire pour peu qu'elle soit respectée. Notre base militante s'est élargie et nous pensons que ce qui s'est passé en Amérique latine peut avoir des influences sur la situation interne. Ces pays ont vécu la même expérience que celle à laquelle nous faisons face. Nous ne concevons pas le pouvoir comme un partage, mais comme une incarnation de la volonté de la majorité pour gérer les affaires publiques. Le PT est une véritable alternative.