Le message du 17 mai dernier n'a pas été “pris en charge” par les partis politiques. Les responsables, à tous niveaux confondus, ne sont pas allés vers l'électeur pour l'écouter, le sonder et le comprendre. Une chose est sûre, selon les avis recueillis çà et là, les citoyens sont “divisés” et appréhendent avec un grand scepticisme les prochaines élections locales. Première impression de S. Mabrouk, comptable de son état, accroché au boulevard Mohammed V : “Voter pour des individus pour leur permettre de se pavaner le soir en banlieue d'Alger, non ! Je ne veux pas participer à ce marasme cataclysmique qui dure depuis la nuit des temps. Voter en Algérie, c'est croire au père Noël. C'est croire Jeha dans la forme comme dans le fond.” Deuxième impression de B. Arezki, cadre dans le secteur médical, rencontré à Alger-centre : “Les élections se suivent et se ressemblent. Les jeux sont déjà faits et le partage s'effectue entre deux partis majoritaires. Les autres, ils se contenteront de quelques communes. Pour moi, c'est une autre mascarade.” Troisième impression d'un jeune étudiant universitaire : “J'ai suivi avec attention les discours développés par les responsables des partis à la télévision nationale. Aucune proposition concrète. Sur le terrain, seuls quelques présidents de parti sillonnent les wilayas du pays. Cela décrédibilise davantage cette joute électorale et jette l'anathème sur le devenir de la famille politique. Autant dire de même des candidats. Les mêmes têtes reviennent pour un second mandat, les mêmes personnes qui ont entaché les communes de tous les scandales crient déjà à la victoire en proférant des promesses qu'ils ne tiendront jamais. Pour moi, il y a véritablement une crise de confiance entre le gouverneur et le gouverné. Aujourd'hui, chacun doit assumer ses responsabilités.” Différents dans la forme, ces trois avis se complètent et se confondent dans le fond. À J-13 des élections locales, le citoyen algérien est sceptique. Et si l'ambiance électorale n'a pas été au rendez-vous durant la première semaine de la campagne électorale, contrairement aux années de braise où tous les sujets mobilisaient le commun des Algériens, il n'en demeure pas moins que la responsabilité des candidats – la maturité politique étant pour quelque chose – est pour beaucoup. Pourtant les partis politiques avaient reçu la gifle le 17 mai dernier quand les urnes ont démontré, les chiffres à l'appui, que le peuple attendait plus qu'une participation à une élection. Ce message, plus qu'une leçon, les partis ne l'ont pas exploité, voire exploré pour aller vers l'électeur, l'écouter, le sonder et le comprendre. C'est dire que les élections dans notre pays ressemblent aux “guéguerres de circonstance”. Mieux, pour certains candidats, c'est une opportunité pour “émerger” dans les affaires et se faire un nom. Les sujets de campagne vidés de leur substance Les sujets que proposent les candidats, pour subjuguer l'électorat, ne semblent pas mobiliser les Algériens dans leur majorité. Aucun sujet n'est porteur d'une quelconque ambition qui accroche, attire l'attention ou préoccupe le citoyen dans son quotidien. Finie l'époque où les harangues des chefs de parti draine la foule, mobilise la conscience et apporte la contradiction dans le discours, le débat et les propositions de sortie de crise. Un vrai “mauvais temps” pour les formations politiques, voire pour l'ensemble de la société civile. Du coup, la “baisse sensible” de la “température politique” a donné lieu, au bout de la première semaine de campagne, à une attitude de rigidité chez le citoyen. Chauffeur de taxi de son état, Rachid, père de famille, surendetté par les formules d'achats par facilité, ne croit pas être au rendez-vous. “Sincèrement, je veux aller voter. Qui est ce citoyen qui ne veut pas du bien pour son pays, sa localité ou son douar. Mais quand on voit, dans notre quotidien, ce qui se passe dans les mairies d'Algérie, il y a de quoi se rebeller ! Deux heures pour se faire délivrer un extrait d'acte de naissance, c'est un bel exemple pour comprendre que certains élus ne sont pas là pour répondre au devoir de la nation. Comment veux-tu qu'un élu s'occupe des affaires du citoyen alors qu'à l'intérieur des communes rien ne va plus”, nous dira tout de go ce chauffeur de taxi dont les propos ne souffrent d'aucune ambiguïté. Claire comme l'eau de roche, la déclaration de son acolyte donnera plus de punch à la discussion. “Il faut dire aux élus de ne pas se casser la tête. L'Etat fait tout. À quoi donc sert d'élire un maire ? Le Travaux publics réalisent des routes, les communes des dos-d'âne. L'Habitat construit des logements, les mairies s'occupent des étals commerciaux avec des dessous-de-table. L'Etat crée des emplois et nos élus recrutent des bac+5 au filet social. J'enseigne depuis plus de 15 ans. Je suis arrivé à une seule conclusion : toutes les communes se ressemblent dans leur fonctionnement. Les élus s'absentent durant toute la durée de leur mandat pour réapparaître dans la campagne. Ils se rechignent à voter des délibérations débiles, jettent dans l'émoi les populations jusqu'à provoquer des émeutes. Je suis optimiste, car notre pays mérite mieux que ça. Mais ce n'est pas demain la veille !” nous dira encore notre interlocuteur sur un ton perplexe. Indécis comme la majorité des citoyens sur le choix d'un candidat, ce jeune fonctionnaire semble avoir sa petite idée sans pour autant apporter des reproches fondés sur des élus impliqués dans de scabreuses affaires de détournement de deniers publics, de passation de marchés douteux, d'atteinte à la propriété foncière et domaniale… pour ne citer que ces tristes exemples. Le foot, le pétrole, la tomate et le logement De Bab El Oued à la Grande-Poste, en passant par la place des Martyrs, l'ambiance est tout autre. Très détendue. Chacun vaque à son occupation. Rares sont les citoyens qui s'arrêtent pour scruter les panneaux d'affichage où sont collées les quelques posters de candidats aux prochaines élections locales. Le grand derby entre le Mouloudia d'Alger et l'USM Alger au stade du 5-Juillet, l'empoignade entre la JS Kabylie et l'Entente Sétif à la capitale du Djurjura et la nomination de Rabah Saâdane à la tête des Verts focalisent l'attention des jeunes que nous avons rencontrés. À l'intérieur d'une cafétéria située aux Trois-Horloges de Bab El Oued, un sexagénaire, très irrité, n'a même pas voulu s'exprimer sur le sujet. Il nous conviera d'arrêter tout de suite la discussion ou, à défaut, “de changer de sujet” pour le paraphraser. “Vous la presse, parlez du pétrole plutôt ! Le baril se vend à 100 dollars et la tomate a atteint les 80 DA. Parlez de la misère salariale, du chômage et de la crise de logement. Interrogez le peuple sur ces questions ensuite venez nous parler des élections. Celui qui veut aller voter est libre, mais demain l'histoire nous rattrapera. Nos communes sont de simples guichets pour délivrer des papiers d'identité. Il ne reste que l'administration dans ce pays et nous faisons face chaque jour à la bureaucratie. Voilà de quoi vous devez parler au lieu de détourner l'attention du pauvre citoyen.” Accroché, ce citoyen use de ces clichés populaires et de ces raccourcis qui donnent, parfois, froid au dos. Fervent lecteur de la presse nationale et très branché sur l'actualité nationale et internationale, cet “électeur perdu” ne semble pas défendre une quelconque cause. “La démocratie, nous dira-t-il encore, c'est un fonds de commerce, comme d'ailleurs ces discours que développent les islamistes à tout bout de champ. Le jour où le citoyen bénéficiera d'un système éducatif fondé sur l'épanouissement et la science et d'une véritable justice, ce jour, peut être, les choses bougeront de leur place. Nous avons touché le fond et vous venez nous demander notre avis sur des élections semblable à celles de 2002.” Contrarié par notre présence, ce citoyen aura, l'espace d'une “discussion musclée”, tout dit. Il quittera précipitamment la cafétéria. Une manière de couper court. “Nous ne devons pas laisser les incompétents nous gouverner” À la place des Martyrs, c'est une vieille dame qui nous interpelle. “Mes enfants, dit-elle, le pays a besoin de vous. Vous êtes l'avenir et vous êtes responsables de ce pays. Les élections ? J'ai toujours voté. Et j'irai voter le 29 novembre prochain, c'est un devoir. Je sais que je ne bénéficierai de rien. Absolument rien. Mais, que voulez-vous faire ? On ne doit pas laisser le pays dans cette situation. On ne doit pas laisser l'Algérie entre les mains des intégristes et des extrémistes.” Veuve d'un ancien moudjahid, cette dame n'a pas tout dit ; elle qui a connu plusieurs générations de maires et ayant vécu les grands évènements historiques de l'Algérie contemporaine. Son avis est, cependant, partagé par un jeune commerçant rencontré devant la Grande-Poste. En substance, cet “électeur potentiel” estime que “le citoyen est, à la base, responsable de la qualité des élus. Nous ne devons pas laisser des incompétents nous gouverner. Nous devons donc voter en masse. C'est à ce moment que nous pouvons demander des comptes aux élus à chaque décision prise à notre insu. Parce qu'il est facile d'incriminer un élu, mais faudra-t-il aussi que nous citoyens, nous soyons responsables et prendre les choses au sérieux. Souvent, il me vient à l'esprit de ne pas aller voter quand je vois des gens sans scrupules figurer sur les listes des candidatures. Mais je me dis aussi que nous pouvons les exclure par la voie des urnes. Ceci dit, je n'attend rien de ces élus et des instances élues.” À J-13 des joutes électorales, deux choses évidentes sautent aux yeux : l'électorat, potentiel dans le fond, a toujours été sous-estimé par des partis en mal d'un management politique, d'une part, et l'électeur algérien “vend chère sa voix” à celui qui le courtise après une longue absence sur la scène politique. Rongés par les crises organiques et les saignées incessantes de leurs militants, dépassés par les évènements au point de subir une “panne de candidats”, les partis politiques devront sauver la mise, à défaut de s'attendre, sauf accident de l'histoire, à un taux d'abstention semblable à celui du 17 mai dernier. Quant au citoyen, il aura toujours raison de réagir tant qu'il “vaut” une voix chez les affairistes, pour paraphraser le ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Noureddine Yazid Zerhouni. F. B. 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