Si les actes de l'ancien président irakien relèvent désormais de l'Histoire, il reste cependant une énigme: qui a décidé son supplice ce jour sacré. Le Premier ministre chiite, Nouri Al Maliki, a «ordonné» une enquête pour découvrir l'identité de l'auteur de la vidéo pirate -qui a fait le tour de la planète- de la honteuse pendaison de l'ex-président irakien, alors que l'urgence est ailleurs. «Une enquête a été ouverte pour déterminer qui a filmé, avec son téléphone portable, la vidéo de l'exécution», a indiqué une source proche du Premier ministre Nouri Al-Maliki. Pendant ce temps, on s'organise à Baghdad à dédouaner les Etats-Unis de ce véritable cinéma d'horreur qu'a été l'exécution de l'ancien président irakien, Saddam Hussein. Ainsi, selon des médias arabes, l'ambassade américaine à Baghdad aurait «tenté» de dissuader les dirigeants irakiens d'appliquer la peine dans l'immédiat et «d'attendre au moins une quinzaine de jours». Cependant, ne dit-on pas que dans pareil cas de figure il faut chercher à qui profite, en premier lieu, un crime qui a pris les allures d'un assassinat politique? En fait, la disparition de Saddam Hussein soulage nombre de grands de ce monde, impliqués de près ou de loin dans les sombres périodes de la dictature du despote de Baghdad. L'ex-homme fort irakien, qui aurait eu des choses à dire dans un procès juste et éthique (voir la caricature de jugement qu'a été le procès de Saddam Hussein dans l'affaire de Dounjail qui lui valu d'être condamné à mort pour crime contre l'humanité) emporte ainsi avec lui tous les secrets qui, connus, auraient pu faire basculer l'ordre du monde. En réalité, nombre de dirigeants de ce monde, encore en activité ou non, ne devaient pas dormir tranquille, à commencer par les présidents américains Bush (père et fils) et leur proche entourage familial et politique, tant que demeurait vivant -cette épée de Damoclès qu'est devenu- Saddam Hussein. Il ne fait pas de doute qu'outre une vengeance, à tout le moins grossière, la mort de Saddam Hussein apparaît de plus en plus comme un règlement de compte politique dans lequel les dirigeants chiites semblent devoir porter, en sus des Américains, une large responsabilité. Certes! Mais faire taire l'ancien président irakien est-ce là la panacée pour un Irak qui a perdu ses repères et dont les cartes sont aujourd'hui brouillées? A cela s'ajoute la façon barbare avec laquelle l'ex-président a été «liquidé». Ce qui a fait dire ces mots au vice-Premier ministre britannique, John Prescott, qui a indiqué: «Franchement, voir ce genre de vidéo sortir est totalement inacceptable et je pense que ceux qui sont responsables de ça devraient avoir honte». Mais depuis quand la honte a-t-elle tué quelqu'un? N'est-ce pas les Britanniques qui ont pris part à l'invasion de l'Irak un 20 mars 2003, rendant possible ce pénible et honteux épilogue de la carrière de Saddam Hussein. Ont-ils eu honte de ce qu'ils ont fait, de ce que leurs soldats font depuis bientôt quatre ans en Irak? M Prescott ajoute: «Je ne pense pas que quiconque puisse approuver cela, quelle que soit son opinion sur la peine de mort». En effet, qui jamais approuverait la destruction d'un pays (on a décompté plus de 14.000 morts pour l'année écoulée de 2006 en Irak) qui a été souverain, sous de prétextes fallacieux, notamment, de détention par l'Irak des fameuses armes de destruction massive (ADM dont l'inexistence a été démontrée plus tard) qui «menaçaient» la paix et la sécurité du monde, selon l'envahisseur en chef, l'Américain George W.Bush. Cela a abouti à la chute du régime baasiste le 9 avril 2003, la pitoyable arrestation de Saddam Hussein le 13 décembre 2003, la mascarade de son jugement et enfin sa peu glorieuse et barbare pendaison le 30 décembre 2006. Le cercle est ainsi bouclé. Reste certes à savoir de qui émane l'ordre final d'appliquer «sans délai» la sentence. Deux personnalités chiites sont fortement soupçonnées dans ce macabre scénario: le Premier ministre chiite, Nouri Al Maliki, également rédacteur en 2004 des lois répressives lorsqu'il était conseiller à la Sécurité nationale, poste qu'occupe actuellement le chiite Mouaffak Al Roubaï, deuxième suspect de ce triste épisode. Ce sont, en fait, là les deux personnalités clés du gouvernement irakien, sous couverture américaine, dont les chiites en détiennent la réalité du pouvoir. Dans l'échiquier politique mis en place par Washington, les chiites qui disposent de l'écrasante majorité au Parlement et détiennent l'ensemble des postes stratégiques et de souveraineté -à l'instar des Kurdes, maîtres dans leur forteresse du Kurdistan autonome- restent toutefois sous l'emprise de leur protecteur américain et même si la décision de pendre Saddam Hussein «sans délai», dixit Al Maliki, leur appartient, il ne fait aucun doute que le timing et l'élaboration du scénario et sa mise en application le jour de la célébration de l'Aïd El Adha -un jour sacré entre tous pour les musulmans- sont signés «made in US». De fait, la mise en scène de la mort de Saddam Hussein est un scénario que même Hollywood n'aurait pas renié. C'est dire. De fait, si ce n'est la vengeance, quels intérêts avaient les chiites, finalement maîtres d'oeuvres des basses oeuvres de Washington, à précipiter une exécution -dont les objectifs sont encore à déterminer- dont les conditions dans lesquelles elle a été appliquée a été ressentie comme une humiliation tant par les Arabes que par les musulmans dans le monde et singulièrement par les sunnites d'Irak. Au total, les chiites ont sous-traité une exécution lourde de menace de l'Etat unitaire irakien et l'avenir de ses communautés.