L'intervention sur le plateau de la chaîne de télévision arabe Al-Djazira, de l'ex-colonel du DRS, Mohamed Samraoui, a jeté un autre pavé dans la mare. L'ex-attaché militaire à Bonn, qui dit avoir été le collaborateur direct de Smaïn Lamari, le n°2 du DRS, a notamment invoqué l'implication du département du Renseignement et de la sécurité dans le massacre de civils, la planification et l'exécution par la hiérarchie militaire et les services secrets du coup d'Etat de janvier 1992, ainsi que l'assassinat au mois de juin de la même année de Mohamed Boudiaf. Appuyant ses thèses, le capitaine Chouchane a, pour sa part, intervenu par téléphone pour apporter son témoignage au sujet de la mutinerie de Berrouaghia et du carnage qui s'en est suivi (plusieurs prisonniers brûlés et jetés dans des fosses communes). Comme les précédents, ce nouveau témoignage nous laisse sur notre faim, car il n'apporte aucun élément nouveau, apte à dissiper nos doutes et à construire une argumentation cohérente, sourcée et référencée, à même de permettre un éclairage déterminant sur des événements qui nous ont marqués profondément. Nous avons eu droit, en effet, à un propos d'un ex-officier désabusé, et qui voulait régler ses comptes avec ses ex-supérieurs. Toutes les «révélations» pro- mises n'ont été finalement que des redites, du rabâchage et du radotage, sans qu'à aucun moment, nous eûmes droit à des preuves tangibles, à une argumentation bien construite. Les photos exhibées peuvent être réelles, comme elles peuvent être un montage, devenu un jeu d'enfants de nos jours. Idem pour l'intervention du présumé capitaine Chouchane qui a appuyé les thèses étalées par Samraoui. A aucun moment, nous n'avons eu l'impression que c'était un Algérien qui parlait. Ni le ton, ni les intonations, ni les accents de sa voix ne plaident pour la véracité du témoignage et jamais un ex-officier algérien ne donne son nom dans ses cas précis, même s'il a été mis dans une voie de garage. Le témoignage de Samraoui au sujet de la grenade qui avait été subtilisée de son bureau et qui avait été utilisée, selon lui, dans l'assassinat de Boudiaf, ne tient pas la route, et pèche par manque de cohérence et de rigueur. Finalement, ce qui devait être des révélations fracassantes ne fut qu'une piètre prestation d'officiers félons et désabusés. La création des GIA, que Samraoui impute au DRS, est une thèse à la limite du grotesque, du ridicule même, n'était le sérieux du sujet. Et tout au long de l'émission, on sentait l'effort que fournissait l'animateur, Ahmed Mansour, pour amener son invité à appuyer ses propos par des preuves crédibles et cohérentes. Ainsi donc, les coups portés au pouvoir, à l'institution militaire et au DRS, se répètent et se maintiennent, suivant un rythme régulier, depuis le «témoignage accablant» du policier algérien Fouad (sic) dans les colonnes de la presse française sur La sale guerre. En 1999 et 2000, les deux li- vres édités chez Gèze, Bentalha, qui a tué ? de Nasrallah Yous, et La sale guerre de Habib Souaïdia, ont fait l'effet d'un raz de marée critique à l'endroit du pouvoir algérien et, particulièrement, de l'armée, diabilisée à outrance. Ce forcing médiatique, réglé comme un métronome, avait motivé des «missions d'informations» des ONG. C'étaient, en fait, de véritables «commissions d'enquête», en vertu du «droit humanitaire», du «droit d'ingérence» ou d'«assistance à peuple en danger». Le 21 avril 2001, une pétition a commencé à circuler en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Suisse, en Espagne, en Belgique, en Suède et en Italie pour la mise en place d'un TPI pour l'Algérie. Lancée en plein début de la crise kabyle, cette pétition, parrainée par des intellectuels européens et publiée dans le quotidien français Le Monde, n'était pas aussi innocente qu'on l'avait crue. Khaled Nezzar échappe, quelques jours après et de justesse, à une procédure de justice, lancée contre lui, par un tribunal parisien, suite à des dépôts de plaintes pour «tortures sur de jeunes adolescents» en 1988, introduites par des familles algériennes auprès de la justice française. Le dernier feuilleton en date, concerne Abdelkader Tigha, ex-officier du DRS, déserteur et coincé depuis mars 2001 en Thaïlande. Cet ex-agent des services, chargé durant son activité des «investigations et des identifications des islamistes» dans la région de Blida, à partir de 1993, a avoué au Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR), à qui, il a demandé l'asile politique, l' «implication directe du DRS dans des actions antihumanitaires». Encore une accusation qu'il va falloir prouver. Des cas similaires seront encore mis au jour et lancés, incessamment. Il faut déjà s'y attendre. Mais au-delà des témoignages, il appartient au DRS, lui-même, de démentir ou de débattre, ces cas types dénotent la félonie d'ex-officiers, qui, tant qu'ils sont en activité, se taisent, mais dès qu'ils se trouvent en disgrâce, «y mettent le paquet» pour un visa ou une carte de séjour. Des cas pareils reflètent, aussi, le degré de déchéance atteint par certains officiers du corps de sécurité, censé être le plus hermétique, le plus performant. On assiste, hélas, à des démonstrations de dénigrement de bas étage, et on arrive même à s'étonner, comment le DRS continue à fonctionner avec des éléments aussi peu scrupuleux, aussi contre-performants. Mais ce qui va suivre risque d'être pire. On a assisté à des campagnes successives menées par un exécutant (Souaïdia), un exécuté (Yous), un concepteur (Samraoui), faut-il alors s'attendre au témoignage d'un bourreau agissant au compte d'un corps armé et que la boucle soit bouclée ? Que ces corps d'armée cessent de jouer les vierges effarouchées et se prennent en charge, eux-mêmes, de manière rigoureuse. La prochaine étape risque d'être L'Ecueil Hachani, un livre-réquisitoire qui ira dans le sens d'une incrimination des services de sécurité et dont la parution est imminente. Autre test jeté par ceux-là mêmes qui font des services de sécurité algériens, un abcès de fixation absolue.