Singularisés tellement par une culture et une histoire à part, les Berbères n'ont pas besoin d'aller se chercher ailleurs. L'Histoire est la mémoire des peuples. Elle est le juge et le témoin éternel de l'homme, lorsqu'il a tout perdu. Elle est le point de repère de tout un chacun. Ignoré officiellement, Yennayer n'a pas pour autant rejoint le cimetière de l'histoire. Le 12 janvier est une date que l'Histoire a retenue et retient toujours dans ses annales. «Imensi u seggas» (le dîner de l'an) pour certains, «Tawurt n usegwass», (la porte de l'année) pour d'autres. Cette culture qui a traversé des siècles, voire des millénaires, reste encore vivace à ce jour avec ses rites, ses traditions et sa symbolique. Une ambiance particulière, un repas spécial, caractérisent les foyers algériens. Les Chaouia dans les Aurès procèdent au nettoyage des maisons. Les Touareg, qui fêtent Yennayer une semaine avant, se parent de leurs plus beaux habits et bijoux, pour déguster le «kasbasu» (couscous). En Kabylie, on prépare un plat de couscous accompagné de la viande de coq. A Tlemcen, on prépare des beignets et des crêpes ainsi que d'autres gâteaux traditionnels. Selon les historiens, c'est à cette date que Sheshnaq a débarqué dans le Delta du Nil, en Egypte, pour sauver l'empire pharaonique alors menacé par un roi venu d'Ethiopie. Dans son livre Collected essays, (Essais rassemblés, traduction Ndlr), l'écrivain anglais, Aldous Huxley, écrit: «Le fait que les hommes tirent peu profit des leçons de l'Histoire est la leçon la plus importante que l'Histoire nous enseigne». Cette fête n'est ni fériée, ni nationale, mais Yennayer n'a rien perdu de sa fraîcheur ni de son authenticité. Pourquoi célèbre-t-on Yennayer? Pourquoi ce décalage de 950 ans par rapport au calendrier grégorien? A l'instar des autres civilisations universelles, les Berbères ont aussi leur calendrier. Quelle est l'origine de ce calendrier? En plus du calendrier institué en 45 avant J.C. par l'empereur Jules César et le calendrier grégorien, instauré par Grégoire XII, on trouve plus loin dans l'histoire ancestrale, Yennayer qui se situe à l'an 950 avant J.C, à la mort du pharaon Psoussens II. C'est un Amazigh au nom de Sheshnaq Ier qui s'est attribué la dignité royale d'Egypte. Pour rendre légitime son statut de roi, il procéda au mariage de son fils, Osorkon avec la fille de Psoussens II, la princesse Makare. On constate bien que les berbères, à travers leur existence, se sont singularisés avec une culture et une histoire à part au point qu'ils n'ont pas besoin d'aller se chercher et se rattacher ailleurs dans une autre idéologie aussi bien abstraite que mythique. Stefan Zweig, écrivain autrichien, écrit dans l'Histoire d'une déchéance: «L'histoire ne tolère aucun intrus, elle choisit elle-même ses héros et rejette sans pitié les êtres qu'elle n'a pas élus, si grande soit la peine qu'ils se sont donnée». Le grand sociologue Ibn Khaldoun, a souligné que Imazighen avaient apostasié douze fois entre le 7e siècle et le 14e siècle, pour résister contre la domination arabo-islamiste et la colonisation de l'Afrique du Nord. Yennayer a été, dans ses origines, une affaire politico-militaire. A la veille de la célébration de ce Nouvel an, la question occupe le devant de la scène nationale. Cette année, la célébration de cette fête «coïncide» avec le lancement de la manifestation culturelle «Alger, capitale de la culture arabe». Cette «coïncidence» suscite de plus en plus de contestation en Kabylie. Pour le mouvement citoyen, c'est une «tentative d'assimilation». Avant-hier, c'était le tour des étudiants de l'université de Béjaïa de la qualifier comme «un génocide culturel et une exécution culturelle.» A noter que lors des négociations gouvernement-archs, il a été question d'introduire cette date dans le calendrier des fêtes nationales. Mais, aucune évolution depuis.