Au troisième et dernier jour de grève, la plupart des enseignants rencontrés, hier, dans leur établissement, ont exprimé un désabusement général. «Vous prenez en otages, les élèves par votre grève». Voilà une phrase qui remet en cause l'imperturbabilité que dégage Messaoud, un enseignant de langue française dans un lycée technique. «Nous avons nous aussi des enfants et leur avenir dépend de l'amélioration de nos conditions de travail», explique-t-il. Après 21 ans d'exercice, cet enseignant nous a confié qu'il vit au jour le jour. Pourtant «l'enseignant est l'un des rares fonctionnaires à faire ses heures pleines», insiste-t-il. «Dans une classe de 40 élèves en moyenne, on ne peut pas se permettre une minute de repos.» B.Hamid, célibataire et enseignant dans un collège à Alger-Centre, est quant à lui, tout simplement déçu par l'illusion d'un métier noble. «Après l'obtention de ma licence en sociologie il y a 18 ans, j'ai été tenté par une carrière de journaliste, mais je sentais que j'avais en moi un côté pédagogue que j'ai tenté de rentabiliser dans l'enseignement», nous a-t-il déclaré et de confier: «Après 17 ans d'enseignement, je vous assure que l'obsession d'avoir raté ma vie ne me quitte pas. Je ne me suis pas marié, je n'ai pas de véhicule, pour le logement, c'est une tout autre histoire. Quand il m'arrive de rencontrer certains de mes anciens élèves qui sont aujourd'hui des cadres, cela me réconforte et je me dis: j'ai contribué à quelque chose.» La plupart des enseignants rencontrés hier, dans leur établissement ont exprimé un désabusement, général. «Quand on nous dit qu'il n'y a plus d'argent dans les caisses de l'Etat pour augmenter nos salaires, on veut bien les croire, mais quand notre ministre déclare qu'il n'est pas chargé des Finances, on se demande à quoi il sert... gérer des dossiers peut-être ou encore nous amputer de trois jours de salaires», s'écrie cette diplômée de l'Ecole supérieure des enseignants du secondaire. Les enseignants se sont exprimés à coeur ouvert sans esprit syndicaliste, ils n'adhèrent pas à ces organisations, mais ils disent s'inscrire dans la plate-forme de revendications. Ils ont soulevé aussi le problème des maladies professionnelles. Selon eux, aucune maladie professionnelle n'est clairement établie dans les textes. Les allergies à la craie, les poussières suspendues, le stress, les maladies nerveuses et surtout le polype des cordes (la maladie des chanteurs et des enseignants). Messaoud nous montre la cicatrice de l'intervention chirurgicale qu'il a subie à cause de cette maladie qui fait des dégâts. Mais le marasme des enseignants n'est pas uniquement le fait des conditions socioprofessionnelles. «Il est également lié à l'image de plus en plus méprisante que se fait de nous la société», déclare D.Farida en service depuis 11 ans dans un collège. Ce paradoxe n'est pas mince, puisque c'est cette même société qui confie à ces mêmes enseignants la noble tâche d'inculquer le savoir à ses enfants. Notre interlocutrice s'explique: «Nous sommes mis à rude épreuve et nous avons une mauvaise réputation, dès que quelque chose ne va pas dans cette société, on pointe gratuitement du doigt l'enseignant.» Une autre enseignante ajoute: «On nous impute tous les échecs, quand l'élève obtient de bons résultats, on dit qu'il est intelligent, quand il obtient de mauvais résultats, la cause en est toute simple: c'est l'enseignant qui ne fait pas son travail». Ces enseignants sont unanimes à dire qu'ils ne sont pas les seuls responsables du mauvais fonctionnement de l'école. Ils évoquent les parents d'élèves qui ne viennent les voir qu'à la veille des examens, les programmes, les conditions de travail ainsi que la responsabilité des dirigeants du secteur. Samir Oul-Oulhadj, diplômé de physique nucléaire, accosté devant le collège où il enseigne, nous a résumé la situation par cet aveu: «La mécanique quantique n'a pas eu raison de moi, mais j'avoue sincèrement que deux ans d'enseignement m'ont complètement usé, désormais je quitte ce milieu...».