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Ces «économies» qui coûtent cher
LA FRIPERIE MENACE LA SANTE PUBLIQUE
Publié dans L'Expression le 21 - 02 - 2007

Les médecins spécialistes préviennent contre le risque dermatologique.
Erosion du pouvoir d'achat aidant, un grand nombre de citoyens se rabattent sur la friperie, tandis que leurs concitoyens, aisés financièrement, veulent acquérir des marques de renom mondial à des prix moins onéreux. En sus des marchés hebdomadaires, des magasins spécialisés ont poussé comme des cham-pignons, notamment durant la dernière décennie, à travers les artères principales des grandes villes.
La clientèle des friperies devient si plurielle qu'elle ne l'avait jamais été naguère. Ce marché, apparu en force, n'est qu'un corollaire de la situation économique dans laquelle se trouve l'Algérie. Avec des revenus dérisoires et la cherté de la vie, due à la baisse de la production nationale et les prix vertigineux des produits importés, en pléthore dans notre marché, de larges franges de la société recourent à la fripe. La ruelle principale menant au marché de Boumati, dans la capitale, un passage de trente pas de long et deux de large, est complètement fermée à la circulation.
Notre difficile infiltration nous a permis de discuter avec certains vendeurs et ceux venant faire leurs, courses avant qu'il ne soit trop tard. Ahmed, originaire de la Kabylie, âgé de 45 ans lance: «On vend tout genre d'habillement et les meilleurs sont pris dès l'aube.»
La marchandise en provenance de l'est du pays, est «arrachée» par certains grossistes qui, pour accaparer les meilleurs articles, sont obligés de dormir dans des espaces pavés de dalles, en plastique, jaunâtres, usées, descellées, suant une humidité âcre. Les effluves et les odeurs nauséabondes, aussi bien pour les vendeurs que pour les clients, se dégagent des «tables».
Au coeur de notre discussion avec le commerçant kabyle, une dispute éclate entre un groupe de jeunes. Le sang a même coulé. D'autres ont profité de la situation pour accaparer des paires de chaussures, des pulls...en prenant les jambes à leur cou. Un vol de cet acabit est dicté par la situation, on ne peut plus misérable, des jeunes sans emploi qui, ne pouvant acquérir des habits à 100DA, recourent au vol. Interrogé à notre sortie sur la qualité proposée, un client nous a déclaré, d'une voix nasillarde: «C'est un fourre-tout et j'espère trouver quelque chose qui m'intéresse.»
Tébessa, la Chine...
Une fois arrivé au coeur de la capitale, boulevard Hassiba, le flux de clients qu'attire le marché de la friperie laisse perplexe. Sept boutiques constituant ledit boulevard sont fréquentées par toutes les franges de la société. Avec un salaire mensuel de 60.000DA, une jeune femme algéroise nous a avoué que «je fréquente les friperies sans aucun complexe.» La variété de produits étalés et leur quantité sont des atouts qui assurent la pérennité de ce commerce florissant et ô combien salutaire pour plusieurs citoyens.
Après de longues discussions, différents vendeurs nous ont révélé que le jour le plus important de la semaine, pour eux, est le jeudi. Ceux-ci se déplacent vers des villes lointaines et des grands marchés de friperie pour assister à l'ouverture des ballots. Tébessa, selon les propos des commerçants interrogés est la ville la plus importante. C'est là où un Algérois, la quarantaine, qui exerce depuis une dizaine d'années, s'approvisionne en ballots de friperie importés d'Italie. Selon une source douanière, cette ville, sise aux frontières tunisiennes, est souvent le théâtre d'une violence spectaculaire pour l'acquisition de la meilleure qualité.
Pis, plusieurs conteneurs ont été saisis pour non-respect des normes d'entreposage qui mettent la vie d'une frange importante de la société en péril, a relevé la même source. Dans ces cas, la marchandise, quelle que soit sa valeur, sera brûlée et une amende sera infligée au faussaire. S'agissant de l'effectif de l'équipe douanière s'occupant de cette tâche de contrôle, notre interlocuteur, sans donner le chiffre exact, précise qu'un «renfort intense est nécessaire aujourd'hui.»
Et d'ajouter que les sanctions doivent être drastiques dans les jours à venir sinon ce genre de commerce prendra d'autres formes et deviendra ainsi un phénomène. Robes, tee-shirts, pantalons, blousons et chaussures de différentes couleurs se côtoient dans les stands faits, pour la plupart, à l'aide de matériaux les plus simples et dont la laideur est discrètement dissimulée sous des draps afin de ne pas attirer l'attention de la clientèle vers des détails gênants. Un commerçant de Bordj El Kiffan, occupant l'une des boutiques du boulevard Hassiba, vend tous les articles d'habillement, y compris ceux d'enfants.
Les prix affichés sont, dans l'ensemble, abordables pour les petites bourses. Des pantalons dits «classiques» et ceux en toile coûtent 400DA, le prix des chemises oscille entre 150 et 200 dinars, les manteaux pour femmes sont, quant à eux, cédés à 1300DA.
Ces prix sont pratiquement identiques dans les autres boutiques, a affirmé un jeune. Occupant une boutique qui s'avère exiguë pour contenir les foules venant quotidiennement en essaims, le trio -Abdallah, Hichem et Hachemi- exerce ce genre de commerce depuis 1998. Les clients sont attirés par les marques de renom proposées telles Adidas, Nike, Geox, Diadora, Levis, Puma, Prada et Versace en provenance de l'Allemagne, la France, la Suisse et l'Italie.
Malgré le prix de location prohibitif qui oscille entre 30.000 et 100.000DA le mois, les impôts que doivent payer ces commerçants, ainsi que le prix de dédouanement des équipements, lui aussi d'une valeur non inestimable, les trois locataires font de leur mieux pour satisfaire une clientèle nombreuse. A cela s'ajoute l'infiltration massive des produits textiles en provenance de la Chine, une nation réputée dans la contrefaçon
Alors que l'Algérie n'est pas encore membre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), elle enregistre, d'ores et déjà, un déferlement de produits chinois sur son marché. S'agissant du commerce mondial des produits textiles, il représente quelque 6 à 7% de l'ensemble des échanges internationaux de marchandises, soit 342 milliards de dollars en 2000, assuré à 60% par les pays en développement.
La Chine se taille la part du lion. La présence chinoise dans le commerce local, est visible un peu partout à Alger. Des tee-shirts, neufs, sont proposés à 500DA, des pulls à 900DA, des ensembles pour enfants ne dépassant pas les 800DA. Si ces prix sont intéressants, la mauvaise qualité des produits a trahi des milliers d'Algériens qui, fort heureusement, après quelques mois seulement, se sont rendus compte de cette qualité médiocre. Malgré cela, les prix dans les friperies demeurent abordables.
Le risque dermatologique existe
D'ailleurs, des soldes sont proposées tous les vendredis et le client se trouve, une fois de plus, face à des prix d'achat alléchants. La descente aux enfers du secteur du textile en Algérie ne date pas d'aujourd'hui, mais elle s'est installée il y a plus de deux ans. Par conséquent, au lieu de penser à la suppression de marchés de la friperie, comme le réclament certaines voix un combat sans merci attend nos autorités qui doivent juguler cette importation massive des produits chinois. Et ces vendeurs exerçant dans l'informel s'y sont installés avec le laxisme «coupable» des autorités locales.
La plupart des commerçants interrogés ne soutiennent pas l'idée, selon laquelle il serait dangereux pour la santé de porter des vêtements d'autrui et de surcroît partiellement usagés. Au contraire, ces vendeurs affirment avoir disposé des certificats sanitaires justifiant le risque zéro de leur marchandise. «Ces certificats ont été présentés à maintes reprises à des contrôleurs.» Mais les spécialistes, seuls habilités à confirmer ces propos, soutiennent le contraire. Le risque, dans certains cas, est bel et bien présent.
Interrogé, le Dr. Benradouane, spécialiste en dermatologie au CHU Mustapha, estime que l'Algérien n'est pas habitué à certains produits, procédés chimiques et rayons ultraviolets inclus, utilisés pour le traitement des vêtements.
A cela s'ajoute le problème psychologique qu'éprouvent certains clients. «C'est une réaction normale de tout individu. C'est aussi un phénomène de rejet psychologique souvent inconscient», a précisé M.Benradouane.
Le risque médical existe quand des vêtements, portés ou non portés, ne sont pas traités et laissés en milieu ouvert, donc pollués. «Si les conditions de transport et d'entreposage sont respectées, le risque est, globalement, nul, sauf en cas d'allergie personnelle à une fibre de fabrication ou à une teinture», a précisé le spécialiste.
Lequel prévient quant à tout usage des ballots ouverts comme la literie. Dans ce cas, l'apparition de la gale, maladie transmissible, est inévitable. Dangereuse car elle contient un parasite qui vit du sang humain.
Les autres germes, quant à eux, sont éliminés par la désinfection habituelle. «Le CHU Mustapha n'a enregistré aucun cas à ce jour», rassure le praticien. Allant plus loin, le médecin croit dur comme fer que le débat est, certes, philosophique mais aussi économique. «Les retombées d'une importation abusive des produits de la friperie ne peuvent être que négatives» expli-que M.Benradouane.
Les circuits commerciaux sont complexes et pas toujours pavés de bonnes intentions. Mais une suppression de ce marché aurait des conséquences désastreuses pour bon nombre d'individus. Sauf que des actions de sensibilisation doivent se multiplier pour inculquer aux commerçants cette culture du respect des conditions de transport et de stockage.


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