L'auteur de Talfaza Jeya utilise la satire pour dévoiler les tares de la société tunisienne. El Malga est un village tranquille du sud tunisien qui vit au rythme des fêtes nationales pendant lesquelles le comité culturel propose systématiquement le même programme. Un coup de téléphone de la capitale annonce la visite prochaine d'une équipe de télévision allemande dans la région. Le comité culturel décide alors de donner une image positive de son village et de son pays et se livre à une véritable mise en scène qui travestit la réalité. Ceci est le synopsis de Talfaza Jeya. Sorti l'an dernier, il a fait beaucoup parler de lui, notamment au JCC. A la manière d'un émir Kustunika, Moncef Dhouib, utilise la satire et l'humour mordant pour dévoiler certains travers et maux liés à la société tunisienne. La musique aidant, Talfaza Jeya est un régal de scènes grotesques et ridicules qui dénotent une réelle réflexion, soutenue par une mise en scène recherchée et remarquable. Un film qui a clôturé, mercredi dernier, la semaine culturelle tunisienne à El Mougar. L'Expression: Votre film Talfaza Jeya est fort intéressant. Que cherchez-vous à démontrer par ce sujet sur «l'image»..? Moncef Dhouib: J'ai dit l'autre jour que mon précédent film Soultan El Madina qui traite des bas-fonds, des marginaux et de tabous avait suscité pas mal de critiques dont une selon laquelle ce film véhiculait une image négative du pays. Comme quoi, il pouvait lui nuire. Je me suis donc demandé ce qu'est cette image qui peut nuire à un pays. cela m'a interpellé. A l'époque, j'avais vraiment essuyé de fortes critiques. Certains ont titré La honte, d'autres L'insultante M'dina...Du coup, je me suis intéressé à ceux qui fabriquent une image positive du pays. Qui sont-ils et comment procèdent-ils? Cela a donné ce film Talfaza Jeya. Selon moi, ce sont des «officiels» d'abord qui tentent de fabriquer cette image positive. C'est le responsable local d'un village qui est très limité dans sa tête, complètement dépassé par ses responsabilités...Tout évolue, sauf lui... Vous le tournez en dérision quand même... Je crois que j'ai eu raison parce que finalement, si tous les sujets de changement qui naissent quelque part sont détruits ou mis en échec par ce type de petit responsable, il faut le dénoncer. C'est le minimum que je puisse faire. C'est quelque chose de très gentil. J'aimerai bien qu'on le fasse de façon plus virulente que ça... Est-ce à dire que le cinéma tunisien est obligé de passer par ce côté comique pour dénoncer certaines choses, notamment politiques, finalement? Tous les moyens sont bons. Je dois préciser une chose: très souvent, on confond le cinéaste avec l'opposant politique. Je ne suis pas un opposant. Je suis au-dessus de l'opposition. Je suis un artiste. Ce dernier doit être en dehors de l'actualité et du temps, mais je dois m'attaquer à une mentalité. Dans le film, je ne m'attaque pas à x ou y. C'est un jeu entre le passé et le présent pour montrer que la mentalité, sans doute tunisienne, qui je ne vous cache pas, si l'on gratte un peu, on peut la trouver ailleurs... Connaissant un peu la politique tunisienne, comment ce film a-t-il été perçu là-bas? Tout ce que je peux vous dire c'est que le film est entier. Il tourne. Je ne suis pas en prison. Je n'ai pas souvenir qu'un cinéaste tunisien ait été interpellé ou emprisonné à cause de ses films. Je dirais même plus, ces films sont subventionnés par l'Etat. Moi, j'ai reçu 600.000DT pour faire ce film. Pourriez-vous nous éclairer sur la situation actuelle du cinéma tunisien? La situation du cinéma tunisien est la même depuis toujours. C'est-à-dire que nous faisons deux films par an, avec cette constance tunisienne. C'est lié aux journées cinématographiques de Carthage qui est une biennale. Tous les deux ans, on doit donc présenter deux films. Quelquefois, il y a une accumulation de films. Le cinéma tunisien, c'est d'abord un cinéma d'auteur. Il a été touché bizarrement par l'Algérie et non pas par l'Orient. On aurait pu avoir nos maîtres en Orient. J'aurais pu être influencé par Salah Abou Sayf ou Youcef Chahine. Je me suis retrouvé marqué par Ahmed Rachedi ou Lakhdar Hamina ou encore Omar gatlatou, L'Opium et le bâton, Le Vent des Aurès, ce sont mes films préférés. Il faut noter aussi que mon premier stage de théâtre, je l'ai fait avec Abdelkader Alloula, qui était venu jouer son one-man-show Journal d'info, à Sfax, d'où je viens. Il était venu pour passer deux jours, il y est resté deux mois. Il a pris un groupe de jeunes gens dont je faisais partie. Il nous avait initiés à l'art de la comédie. Je n'oublierais jamais cela. Il y a quelque chose de maghrébin dans le cinéma tunisien. Or, vu le nombre de films égyptiens qui passaient dans nos salles, on aurait été tenté, comme dans la musique beaucoup plus par l'Orient. Ce qui n'a pas été le cas. Le théâtre et le cinéma y ont échappé El Hamdoulilah. S'agissant de la censure à proprement parler, je ne pense pas qu'elle existe. Mon premier film Soultan El Mdina n'a pas été censuré. La télévision a sa propre censure. Si mon film passe à la télé, on coupera dix minutes. La radio publique n'est pas comme la radio privée. Certains journaux passent des choses, d'autres non. Il y a plusieurs formes de censure et plusieurs degrés. Le jeu subsiste tous les jours. Le cinéma tunisien est plus libre comparé à d'autres cinémas arabes qui ont disparu, faut-il le noter. Certains sont au creux de la vague et vont remonter la pente un jour. Sur les 22 pays arabes, 7 font du cinéma. Sur les sept, il y a 3 ou 4 qui vivotent en faisant quelques films. “Au royaume des aveugles, le borne est roi”, donc on peut dire que le cinéma tunisien arrive à se faire entendre. Quel est le sujet qui vous tient à coeur et que comptez- vous dénoncer dans votre prochain film? Moi, je dénonce rien du tout, je ne suis pas quelqu'un qui balance. Je dois avoir 25 scénarios en tête. Mais aurais-je la possibilité de les réaliser? C'est-à-dire les fonds, le temps? Je peux vous dire qu'entre mon premier film et le second, il est passé 12 ans. Il faut donc pas mal de patience. Je fais heureusement du théâtre entre les deux. Il y a quelque chose de Kusturika et un peu de la comédie italienne dans votre film... Le désir que j'ai et que certains cinéastes partagent avec moi, est de retrouver une comédie à la tunisienne comme il existe une comédie à l'italienne. La comédie algérienne a existé et j'espère qu'elle va revenir. C'est ainsi ce mélange qui donnera, j'espère, une tradition à la comédie tunisienne. Maintenant, faisant une comédie, je crois que j'en ai fait une tragédie qui consiste à ne jamais vouloir changer le réel mais à créer un réel virtuel. Le réel, on ne l'admet pas, en fin de compte. Prenez cette fausse image de la chanteuse qui s'égyptianise pour devenir une artiste et qui retrouve soi-disant ses racines lorsqu'elle commence à insulter en utilisant son dialecte tunisien, ou encore, celle-là, au moment de la distribution des rôles, on ramène une allemande pour jouer Alissa, alors qu'on parle beaucoup sur les exploits accomplis par les femmes arabes...C'est un double discours qui dévoile bien ses contradictions qui sévissent dans nos mentalités. La libération de la femme est un slogan. Je ne crois pas en la femme mais en les femmes qui sont multiples. Ce que je reproche au discours officiel, en général, est de parler de la femme arabe, comme si la femme algérienne, la femme yéménite, la femme saoudienne ou encore tunisienne étaient identiques! Le cinéma permet de rentrer dans les détails en affublant chaque individu d'une personnalité. On dit que la femme tunisienne est plus libérée que l'Algérienne, du moins c'est ce qui est véhiculé, aussi dans votre cinéma, de par ces scènes de nudité... Je ne me permettrai pas de dire cela... Certaines scènes gênent parce qu'on tolère certaines choses mais pas d'autres, notamment dans la poésie arabe où il est permis de parler de la nudité chez la femme, ce qui n'est pas toléré au cinéma. Il y a donc un problème de législation dans le regard. Le problème vient de là, pas de moi. Nous avons un problème dans la façon de percevoir le monde. Effectivement, certains films tunisiens, ont été vus par la mère, le père et les enfants séparément. On voudrait bien que chacun ait sa propre cassette.Ce qui est permis à l'oreille, ne l'est pas au regard. Aussi, la provocation permet-elle ainsi de faire passer certains propos et points de vue qui peuvent être insipides sans cela. La caméra transpose ce qui est du domaine du privé, le hammam par exemple, au public. C'est une transgression certes, mais à but artistique.