Témoigner est, plus qu'une thérapie psychanalytique, une vertu de libération. Le livre Algérienne que publie Louisette Ighilahriz, sous la plume délicate et sûre de la journaliste-politologue française Anne Nivat, expose une vérité comme sortie d'un puits. Pour la grande militante et moudjahida de la lutte de libération nationale, dire son engagement pour l'indépendance de son pays et exposer une longue réflexion sur les terribles sévices que lui ont fait subir les services spéciaux, sous le couvert de rechercher des renseignements «par tous les moyens» au cours de son arrestation suivie d'une longue détention, c'est bel et bien une purification mais «sans haine». Louisette Ighilahriz précise, en effet, «Je souhaite que les Français sachent qu'en Algérie, entre 1954 et 1962, il ne s'est jamais agi d'une opération de «maintien de l'ordre» ni d'une pacification. J'écris pour rappeler qu'il y a eu une guerre atroce en Algérie. Il n'a pas été facile pour nous d'accéder à l'indépendance. Notre liberté a été acquise au prix d'un million de morts, de sacrifices inouïs, d'une terrible entreprise de démolition psychologique de la personne humaine. Je le dis sans haine. Le souvenir est lourd à porter. Docteur en sciences politiques et surtout jeune journaliste, Anne Nivat a trouvé là matière sensible - que certains en France tiennent pour «tabou» -à rapporter, à faire connaître au monde: un combat juste, une oeuvre humaine. Cette «turbulente» journaliste, née en 1969, est la fille de Georges Nivat, un des grands «passeurs» des lettres russes et un spécialiste fécond de l'Histoire de la Russie; il est actuellement membre du Conseil de tutelle de l'Université de Saint-Pétersbourg. Anne Nivat semble avoir hérité de son père (encore que lui, jeune homme, avait révoqué son sursis militaire et était parti pour l'Algérie où il sera blessé) le goût des grandes aventures où le reportage devient un regard porté sur le réel de tout ce qui est humain. C'est ainsi que, par exemple, elle a couvert la guerre de Tchétchénie, «a, dit-on, porté la burqa bleue en Afghanistan et une abaya noire en Iraq» et, professionnelle talentueuse, elle est lauréate du très convoité Prix Albert-Londres pour son livre Chienne de guerre (Fayard, 2000). L'année suivante, chez le même éditeur, elle publie Algérienne, en collaboration avec Louisette Ighilahriz; c'est un «livre-témoignage» qui a immédiatement relancé le débat sur la torture pendant la guerre d'Algérie. À son tour, Casbah Editions met entre les mains du lecteur algérien, ce récit passionnant, capable d'instruire la jeunesse algérienne par le document produit du vivant de son auteur. Par ce récit d'une militante qui a subi la torture, on découvre une destinée vécue, comme tant d'autres, dans le drame et la souffrance de tout un peuple face à un système colonial parvenu à son absolu paroxysme rappelant inlassablement comme affirmait Pierre Vidal-Naquet dans son définitif ouvrage Les crimes de l'armée française, Algérie 1954-1962, que «la conquête et la colonisation avaient établi une dissymétrie radicale entre Français et Algériens». Le récit de Louisette Ighilahriz est conçu comme il fallait, c'est-à-dire comme un film documentaire scientifique où une pédagogie spéciale de haute tenue n'est pas absente, c'est-à-dire aussi que l'auteur n'apparaît pas non plus comme un simple témoin, mais comme un catalyseur, un acteur vif qui a «la volonté de partager cette douleur profonde et grande» tracée en son corps, portée en son âme et conscience. Car, c'est par ainsi que l'on peut informer, instruire et éduquer. Algérienne, par sa naissance, par son éducation, par sa formation, forte de son amour pour son pays, Louisette Ighilahriz, estimant que «les jeunes générations ne savent pas», leur laisse son récit comme un testament.