Au moins 52 personnes ont été tuées dans ces violences durant le mois de mai, selon un décompte non officiel, et plus de soixante personnes ont été tuées au mois d'avril. Cependant, c'est le mois de juin qui aura connu le plus de violence liée au terrorisme des groupes armés. Car, si dans le cas des deux précédents mois, les chiffres prennent en ligne de compte les morts comptabilisés dans le camp des islamistes armés et des militaires, policiers et citoyens, les vingt-sept morts du mois de juin sont en totalité des citoyens et membres des services de sécurité. C'est-à-dire qu'un forcing a été bel et bien opéré par les divers groupes armés qui ont perpétré les attaques. L'enchaînement de ces attaques est pour le moins terrifiant car, au contraire des mois précédents, il a suivi un rythme intense, soutenu, plus audacieux jour après jour, si on évalue cela sur la base des deux attentats à la bombe qui ont secoué le centre-ville de Boumerdès en l'espace de quinze jours. Le premier a ciblé un poste fixe de la police urbaine, en face à la gare ferroviaire, et le second a été perpétré encore devant l'entrée du marché bihebdomadaire, à l'endroit où se tient habituellement une patrouille de police, en donnant l'impression que si on voulait atteindre le plus de citoyens, et tuer le plus de civils, on l'aurait fait. C'est-à-dire que la ville est transpercée comme du gruyère, malgré un maillage sécuritaire pourtant des plus rigoureux. En fait, tout débute curieusement avec la deuxième moitié du mois de juin, alors que pratiquement jusqu'au 14 du mois tout semblait calme. La cassette vidéo diffusée vers le 9 juin sur le site web du Gspc a été un mauvais signe. Pour la première fois, et à la manière des groupes armés irakiens, le gardien de la prison de Tizi Ouzou, où sont détenus des centaines de membres du Gspc, est montré pieds et mains liés, yeux bandés, en train de faire des aveux sur les conditions de détention dans la prison de Tizi Ouzou. Les quatre hommes armés qui se tiennent derrière lui font un commentaire de ses aveux et l'achèvent à l'arme blanche. Le 14 juin, un accrochage à Boumerdès fait quatre morts : deux islamistes et deux militaires. Deux jours après, un douanier et un civil sont tués et décapités par un groupe armé à Gouraya, dans la wilaya de Tipaza, à 70 km à l'ouest d'Alger, alors qu'un capitaine de l'armée est tué dans l'explosion d'une bombe lors d'un ratissage qu'effectuait son unité dans les maquis d'Oued Sbaâ, près de Sidi Bel Abbès. Le 17, c'est au tour de cinq militaires de tomber dans une embuscade tendue par un groupe armé à leur patrouille dans la région de Médéa, à quelque 80 km au sud d'Alger. Ils seront tous tués. Les militaires ont été ciblés et attaqués dans la région montagneuse et boisée de Mont-Korno au sud de Médéa, qui est traditionnellement un fief du GIA, non du Gspc. Le lendemain, trois «patriotes» d'un GLD local sont tués et trois autres sont sérieusement blessés par l'explosion d'une bombe artisanale dans la région de Tizi Ouzou. L'engin, actionné à distance, a explosé au passage du véhicule à bord duquel ils se déplaçaient, près de Draâ El Mizan, à une quarantaine de kilomètres au sud de Tizi Ouzou. Le véhicule, qui transportait des «patriotes» chargés de la surveillance d'un gazoduc reliant le champ de gaz de Hassi R'mel, dans le Sahara algérien, au nord de l'Algérie, a été soufflé alors qu'il circulait sur une piste à 9 km de la ville. Le 21 juin, cinq paysans sont assassinés dans la région de Blida par un groupe armé. Selon des témoignages sûrs, le groupe, qui avait pris position aux abords d'une route de montagne reliant la localité de Bouinan à Chréa, à une vingtaine de kilomètres au sud de Blida, a intercepté deux véhicules, peu avant la tombée de la nuit, sur lesquels au moins cinq ou six hommes armés ont ouvert le feu. Ils ont ensuite achevé à l'arme blanche les paysans, qui venaient de quitter leurs champs dans la montagne non loin du lieu de l'embuscade, et mis le feu aux véhicules. Les corps ont été retrouvés calcinés, selon notre source. Ici, le modus operandi ressemble à celui du GIA, acte par acte, et de plus la région n'a jamais été un fief du Gspc. On arrive enfin à l'attentat le plus inquiétant du mois: sept militaires sont tués en fin de semaine dans une embuscade tendue par un groupe armé, vraisemblablement le Gspc, puisqu'il s'agit de son fief par excellence, dans la région de Bouira. Le convoi militaire circulait sur la route nationale numéro 5, reliant Alger à l'Est algérien, lorsqu'il est tombé dans une embuscade près de la localité d'Ahnif, à une quarantaine de kilomètres à l'est de Bouira. En résumé, on assiste à une poussée de violence parfaitement synchronisée. Aux attentats du Gspc répondent en écho ceux du GIA, qu'on a failli oublier, tant il est devenu crépusculaire, mais qui marque toujours sa présence sur la scène sécuritaire de façon aussi macabre. Pour le moment, les attaques se situent hors des grandes villes, et surtout hors de la capitale, ce qui peut s'expliquer par le maillage quasi hermétique qui entoure les grands axes urbains. Cependant, le double attentat perpétré à Boumerdès démontre à quel point il faut encore rester vigilant et ne pas croire facilement, et naïvement, que la paix est restaurée de manière définitive. Que cherche le Gspc? Quel message fait-il passer, alors qu'on pensait qu'il était au bord de l'éclatement? Qu'est-ce qui a réveillé le GIA dans le massif blidéen, et que tous disaient fini? Autant de questions qui se posent à longueur de lignes...Les prochaines rentrées annoncées d'hommes politiques du parti dissous, tels Rabah Kebir, Abdelkrim Ghemati et Abdelkrim Ould Adda, peuvent-elles être de quelque influence auprès des jeunes éléments armés qui semblent continuer à se battre avec désespoir, et sans perspectives politiques claires? Des chefs charismatiques de la jeunesse islamiste radicale tels Ali Benhadj et Abdelhaq Layada peuvent-ils jouer un rôle auprès des jeunes desperados? A-t-on épuisé toutes les voies de recours pour convaincre les derniers irréductibles des groupes armés à déposer les armes? C'est certainement en répondant à ce genre de questions que l'on pourra appréhender un début de solution à une guerre endémique qui dure depuis bientôt une quinzaine d'années, et qui, jour après jour, avance allègrement vers une guerre qui ne chagrine plus personne, une guerre «normalisée», «à l'irlandaise».