Connu par son roman Passé simple, ce dernier sera jugé par les intellectuels marocains, qui l'accusent de trahir son pays en critiquant la société marocaine traditionnelle... Driss Chraïbi, l'un des grands écrivains marocains d'expression française, est décédé, dimanche, dans la Drôme (sud-est de la France), à l'âge de 81 ans. A la parution de Passé simple, en 1954, le livre qui l'a révélé au grand public, à l'âge de 28 ans, est très critiqué par les intellectuels marocains qui l'accusent de trahir son pays en dénigrant la société marocaine traditionnelle. Ce roman raconte l'histoire d'un jeune Marocain qui s'oppose violemment à son père et aux pesanteurs de la société marocaine et part étudier en France. Dix ans plus tard, Chraïbi sera réhabilité, tard, aux yeux de l'intelligentsia et aura raison de sa ténacité et férocité littéraires. Il y a certaines pages qui sont écrites depuis très longtemps dans ma tête. Composées. Et à ce moment-là, je me mets à ma machine à écrire et, naturellement, je biffe, je recorrige, expliquait-il, il y a quelques années, pour une enquête universitaire sur La condition des écrivains. Né en 1926 à Jadida, au sud de Rabat, Chraïbi était fils d'un négociant, importateur de thé de Chine au Maroc, extrêmement instruit, mais en arabe. Driss Chraïbi s'installe en France en 1945, après des études secondaires à Casablanca, et devient ingénieur chimiste. Driss Chraïbi aura tout fait. Globe-trotter, il séjournera quelques années au Canada. Après divers métiers, il devient auteur-producteur, journaliste, responsable des dramatiques à la radio publique France-Culture, et le restera pendant trente ans. Sa seconde production, parue en 1955, Les Boucs, dénonçant cette fois les désillusions des immigrés en France, lui assure une réputation définitivement scandaleuse. Plusieurs de ses dernières oeuvres sont des romans policiers. Les Boucs, évoque la destinée d'un jeune Algérien en France, et mêle les thèmes de la révolte contre le père et du déracinement. Contre toute autorité, Driss Chraïbi écrit alors au rythme d'un roman environ tous les deux ans, jusqu'au milieu des années 1960, où son activité dans l'audiovisuel l'oblige à ralentir sa production. Il publiera, en tout, une trentaine de livres, dont plusieurs seront des succès, à la fois critique et commercial. Dans Civilisation, ma mère (1972), il détaille l'éveil à la conscience politique d'une femme marocaine vivant à la campagne. Et dans Une enquête au pays (1981), la résistance de villageois du Haut-Atlas face aux représentants de l'administration dans les années 1960. La Mère du printemps (1982) et la Naissance à l'aube (1986) narrent la conquête du Maroc par des armées arabes à la fin du VIIe siècle. Peu à peu, le rebelle des lettres marocaines se fait plus ironique pour dénoncer les travers de la société. Il publie des sagas historiques, puis des romans policiers, dont le personnage principal est l'inspecteur Ali. Lu, vu, entendu (1998) est une évocation du Maroc des années 1926 à 1947, à travers les yeux d'un adolescent, et Le monde à côté (2001), une autobiographie. Driss Chraïbi a reçu de nombreux prix littéraires, dont celui de l'Afrique méditerranéenne pour l'ensemble de son oeuvre, en 1973, le Prix de l'amitié franco-arabe en 1981 et le prix Mondello pour la traduction de Naissance à l'aube en Italie. L'écrivain se retire à la fin de sa vie, pour vivre sur l'île d'Yeu, en Bretagne. Il restera dans la mémoire comme un des écrivains de contestation, phare de sa génération qui brillera par son talent et la vivacité de sa plume, l'écrivain qui fera entrer la littérature marocaine à la modernité. Si, l'âge aidant, sa rage disparaîtra au fil des ans, sa liberté de ton restera intacte. Et c'est l'image que d'aucuns garderont de lui. «Il faut savoir descendre les échelons de la hiérarchie au lieu de monter sur la tête des autres: on peut tirer un âne avec une ficelle, mais non le pousser», écrira, un jour, Driss Chraïbi dans Une Enquête au pays.