L'une des valeurs sûres de la littérature maghrébine, Driss Chraïbi, est décédé, dimanche au soir, d'une crise cardiaque à Crest dans la Drôme (sud-est de la France), à l'age de 80 ans. Le défunt sera, selon son épouse écossaise Mme Sheena Chraïbi, inhumé “ vendredi prochain au cimetière des Chouhada à Casablanca près de son père” a-t-elle déclaré à la MAP, ajoutant que “ c'est très important qu'il repose dans son pays natal ”. “ L'Ecosse est mon pays de naissance mais le Maroc est mon pays de cœur ” a-t-elle encore révélé, précisant que son défunt époux a rendu l'âme à l'hôpital de Crest alors qu'il était entouré de sa famille. “Son aîné lui a récité des versets coraniques, et c'est la meilleure fin qu'on puisse souhaiter pour lui ” ajoute la veuve Chraïbi. Le défunt était parti, en février au Maroc, pour préparer un nouveau livre. Il n'a dévoilé aucune trame de ce nouveau projet littéraire, ce qui a fait dire à son épouse Sheena que Driss, qui disait souvent “ qu'il était un écrivain fantôme parce qu'insaisissable, a emporté son mystère avec lui”. Rendant hommage à feu Driss Chraïbi, l'écrivain Tahar Benjelloun, un de ses compères, a salué la mémoire d'un homme “engagé et courageux qui a ouvert la voie à plusieurs générations d'écrivains maghrébins ”. “ Il est le meilleur d'entre nous. Il a été notre maître à tous. C'est un grand écrivain qui a su mieux que quiconque témoigner sur sa société”. La carrière littéraire de Driss Chraïbi a débuté avec un “ roman bombe”, Passé simple. Un livre, d'ailleurs, enseigné dans la plupart des universités maghrébines, notamment en Algérie. Des ouvrages, il en a écrits une quinzaine, mais c'est le Passé simple qui lui a collé à la peau, du fait que ce texte, paru en pleine lutte pour la libération du Maroc, en 1954, a titillé aussi bien les conservateurs que les nationalistes qui ont vu en Driss un véritable rénégat. Dans ce roman majeur, Driss Chraibi bouleverse les arcanes des comportements domestiques marocains, dénonçant ainsi ses codes avilissants et archaïques. Le Passé simple est le récit d'un jeune Marocain qui s'oppose violemment à son père ainsi qu'aux pesanteurs de la société marocaine et part étudier en France. Ce roman stigmatise le poids de l'islam et la condition faite aux femmes. Il évoque les conflits de civilisation, les problèmes identitaires de l'individu formé par deux cultures… Autant de sujets qui restent d'une grande actualité à l'heure des migrations internationales. Bien qu'il fût salué par la critique française, ce roman sera vu par les nationalistes comme un parfait texte qui fait le jeu du colonisateur français. La plupart des ouvrages de Driss Chraïbi traitent d'une façon virulente de thèmes majeurs tels le poids de l'Islam, la condition féminine dans la société arabe, l'identité culturelle, ainsi que les conflits des civilisations. Biographie de l'auteur Né en 1926 à El-Djadida, près de Casablanca sur la côte atlantique du Maroc, Driss Chraïbi avait déménagé à Paris en 1945 pour y étudier la chimie et demeurait en France depuis lors. Il avait adopté le français comme langue d'écriture. Le défunt a, d'abord, travaillé comme ingénieur chimiste, veilleur de nuit et ouvrier avant que sa carrière littéraire ne démarre en 1954 avec la publication de son premier roman phare, Passé simple. Il a écrit 18 autres romans, la plupart traitant des problèmes du colonialisme et des souvenirs marocains de l'auteur. Il fera, ensuite, une brillante carrière d'écrivain avant de rejoindre pour quelques années, la production de l'ORTF à Paris. Celui qui a longtemps séjourné au Canada, a signé ses dernières œuvres, versé exclusivement dans le polar. Avec le temps, l'enfant terrible de la littérature marocaine se fait moins féroce, mais plus ironique sur les travers de la société. Il écrit des romans historiques qui le rapprochent du Maroc, mais garde son humour féroce pour une série de romans policiers plutôt loufoques dont le personnage central est l'inspecteur Ali. Si avec l'âge, Driss Chraïbi a perdu de sa rage, il a conservé sa pleine liberté de ton. Il a reçu de nombreux prix littéraires dont celui de l'Afrique méditerranéenne pour l'ensemble de son œuvre en1973 ; le Prix de l'amitié franco-arabe, en 1981; le prix Mondello pour la traduction de Naissance à l'Aube en Italie.