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L'immigration partagée
CAMPAGNE PRESIDENTIELLE FRANÇAISE
Publié dans L'Expression le 05 - 04 - 2007

Longtemps invisibles aux yeux des politiques français, les beurs sont devenus les «chouchous» de cette campagne.
Peur et inquiétude des uns, indifférence et désintérêt des autres. La menace de la droite, d'une part et la confusion de la gauche, de l'autre. Le climat demeure tendu, la tension monte dans les banlieues, à trois semaines du premier tour de la présidentielle en France. Longtemps marginalisés et invisibles aux yeux des politiques français, les banlieusards sont devenus les «chouchous» de cette campagne électorale, notamment après l'annonce de Sarkozy de créer, s'il est élu, un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale. Les prétendants à l'Elysée jouent chacun leur carte victorieuse. La candidate du PS, Mme Royal, considère que la population de la banlieue est un remède aux malaises de la France. «Mon grand chantier présidentiel sera la réussite des quartiers populaires (...) qui ne constituent pas un problème pour la France, mais une solution pour les problèmes de la France», a-t-elle affirmé lors de son déplacement à Clichy-sous-Bois, un quartier d'où étaient parties les émeutes de 2005 et de 2006. Pour faire preuve de son «esprit de citoyenneté» Mme Royal a signé un contrat social et citoyen avec une association du quartier. Annoncé comme «persona non grata» dans les banlieues, suite à sa fameuse déclaration de nettoyer «au Kärcher» des quartiers encombrés de «racailles», le candidat de l'UMP, Nicolas Sarkozy, s'est rendu finalement à Val-d'Oise, à Argenteuil. «Je vous annonce que j'irai systématiquement dans les quartiers les plus difficiles et j'y resterai le temps nécessaire», a promis l'ex-ministre de l'Intérieur. Et de préciser: «Je ne fais aucun amalgame entre les jeunes et les voyous». Sarkozy défend une autre fois son mot «racaille». «Si on n'a que cela à me reprocher durant mon mandat, je pense que j'ai réussi mon passage,» a-t-il justifié. Le candidat de l'UDF, le centriste François Bayrou, s'est rendu à son tour en banlieue où il a proposé un «projet d'espoir». De leur côté, les Français africains et Africains non-français vivant dans l'Hexagone, sont plus déterminés qu'auparavant à aller s'exprimer le 22 avril, rendez-vous du premier tour, comme l'atteste leur inscription en force sur les listes électorales. Ainsi, que pense la banlieue de cette élection? Ses électeurs ont-ils fait leur choix? Pourquoi et pour qui voteront-ils? Qu'apportera de nouveau cette élection par rapport aux précédentes? Afin de trouver les réponses à ces questions, nous avons pris la destination de Montfermeil.
Dimanche dernier, 10h45, le train en provenance de la gare de l'Est de Paris marque son arrêt à Montfermeil dans la banlieue de Seine-Saint-Denis. Le quartier des Bosquets est le premier point de visite. A l'entrée d'un café, un jeune accroupi avec ses deux autres amis autour d'un jeu de cartes, nous lance: «Vous, vous n'êtes pas d'ici. C'est un visage jamais vu dans notre quartier. On vous a envoyés pour vous renseigner sur...».
Et de continuer en «ironisant»: «Ah bon! J'ai pas eu tort. Vous les journalistes, vous êtes comme les politiques, on ne vous voit que lorsqu'il y a des émeutes ou un événement politique majeur», avant de s'excuser une fois informé de notre identité et du but de notre mission. «Mais, c'est bien qu'il y ait des journalistes algériens qui s'intéressent à ce qui se passe en France.» Le jeune devient plus aimable et plus «gentil».
Il appelle son ami Amine qui était à l'intérieur du café. Il fallait tout expliquer de nouveau à ce jeune chômeur algérien de 25 ans. L'élection présidentielle ne dit presque rien aux copains d'Amine. Le jeune Algérien propose de l'accompagner à l'intérieur du café. En se dirigeant vers une petite table, Amine confie que deux jeunes du groupe sont en situation non régularisée. C'est la fin de semaine, le café est plein. On entend toutes les langues, arabe maghrébin et autres dialectes d'Afrique, comme on rencontre toutes les races. «Les candidats m'ont déçu. Les uns font du problème de l‘immigration leur cheval de bataille, les autres s'attaquent aux problèmes socioéconomiques. Je ne trouve pas un unificateur, même si Bayrou se place au centre,» a expliqué Seghir Yacine, 29 ans, informaticien d'origine marocaine.
Aux yeux de ce dernier, le choix est difficile mais il s'impose. Les problèmes de chômage, de logement, de délinquance, d'insécurité, de discrimination et de racisme dont est victime cette catégorie de Français, les incitent à aller s'exprimer le jour J. Sensibles au sort que leur réservent l'administration et la police de leur «ami et frère» Sarkozy, les Africains subsahariens «émigrent», pour une raison ou une autre, vers Mme Royal.
Ce choix s'explique, chez la plupart, par un seul objectif: voter «anti-Sarko». «Je voterai Ségolène pour faire barrage à Sarkozy», a expliqué Comara, 24 ans, étudiant sénégalais. Et d'ajouter, «en votant pour Ségolène, c'est une manière de lutter contre le racisme». En revanche, si le camp des Subsahariens constitue le royaume de Mme Royal, cette dernière séduit moins les Maghrébins. Autrement dit, vu les liens historiques entre le Maghreb et la France et vu sa politique extérieure, la droite séduit beaucoup plus les électeurs issus de l'Afrique du Nord. Parmi les deux millions de lecteurs français originaires d'Afrique, 65% sont du Maghreb. Ségolène Royal reste toujours perçue comme pro-Israël chez les Maghrébins. La candidate socialiste aurait moins de chance de séduire les Maghrébins que son rival Nicolas Sarkozy.
En d'autres termes, les politiques internationales des candidats jouent un rôle important dans l'orientation et la motivation des électeurs français issus de l'Afrique du Nord.
Pour Aïssa, 31 ans, agent d'administration d'origine algérienne, le choix est déjà fait. Il n'a pas mis beaucoup de temps pour trancher en faveur de Sarkozy. «Je trouve que Sarkozy est beaucoup plus réaliste et sincère. Il est moins hypocrite que les autres, car il ne laisse pas les gens rêver d'un paradis sur terre comme quelques candidats. Le travail et le sérieux sont sa prière et je suis d'accord», déclare-t-il.
A propos du projet de Sarkozy de créer un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, Aïssa n'y voit aucun danger et aucune menace. «Il faut séparer le bon grain de l'ivraie. Ce n'est pas tout le monde qui est bon et ce n'est pas tout le monde qui est mauvais. Encore, je trouve dans ce projet une sorte de lutte contre la discrimination», a-t-il estimé. Et de continuer à défendre son candidat «‘'Sarko'' a précisé qu'il ne fait aucun amalgame entre les jeunes et les voyous...» Aziz, 32 ans, ami et collègue de Aïssa, d'origine tunisienne, préfère rester sur sa logique de droite: «J'ai voté Chirac en 2002 pour le programme de mon parti. Aujourd'hui, Sarkozy représente la droite, donc je voterai pour lui.» Etre Maghrébin ne veut systématiquement pas dire voter Sarkozy.
Les exemples ne manquent pas. Karima, 23 ans, étudiante en journalisme, d'origine algérienne, préfère, malgré elle, voter Ségolène. «Je pense que les jeux sont d'ores et déjà faits et que Sarkozy l'emportera. A mon grand regret! La France a profondément changé depuis les dernières élections. Elle est de plus en plus méfiante vis-à-vis de l'immigré qu'elle accuse d'être la source de tous les maux sociaux: délinquance, chômage, insécurité... Même si je sais qu'elle ne l'emportera pas, je voterai tout de même Ségolène Royal. Elle a une politique moins répressive envers les étrangers, elle est plus humaniste», a-t-elle conclu. En politique, il n'y a pas de règle. On dit souvent que les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent. Aussi, seule l'urne rendra son «verdict», le 22 avril, date du premier tour et le 6 mai, date du second. D'ici là, c‘est le wait and see...


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