«Dieu a créé les Hollandais, et les Hollandais ont créé la Hollande». (proverbe hollandais) Au premier contact du pays des polders, des moulins à vent et de la tulipe, les sensations sont fortes. Un étrange sentiment difficile à exprimer vous saisit. Il y a comme de la solitude dans ce pays des libertés. Le ciel est si bas, si lourd; les plaines infinies et silencieuses. Viennent à l'esprit Rembrandt, Van Gogh et tout l'art de l'impressionnisme hollandais. Il ne pouvait être autrement pour ces deux génies de la peinture du XVIIe (Rembrandt) et XIXe siècles (Van Gogh). Le ciel chargé en permanence frôle les horizons terrestres, invite aux départs, aux grands voyages. Les feuilles des arbres jaunies dégagent une fausse chaleur dans cette atmosphère humide et froide. La quête du bonheur inévitable dans de tels paysages, habite les pensées des âmes sensibles, et pour inaccessible qu'elle soit, crée l'illusion du possible. Par les vitres du train qui roule, je vois défiler par intervalles les bourgs, les fermes isolées et sans arrêt, ruisseaux, fleuves et, bien sûr, les inévitables moulins à vent. Puis, sans avertir, surgissent tours modernes faites d'acier et de verre, immeubles droits, routes et ponts enchevêtrés: Rotterdam. Le choc est frontal. D'autant plus qu'au sortir de la gare, d'énormes engins s'occupent à creuser un nouveau tunnel, sous les pieds même de la principale station des trams. D'un simple regard de cette place centrale, vous verrez les larges avenues bordées d'immeubles à l'architecture moderne, où sont installées les principales compagnies commerciales et financières hollandaises et étrangères. Un nationalisme original Il est étonnant pour une cité qui a acquis le statut de ville au XIVe siècle (1340), de présenter un visage dit moderne, au sens du bâti. J'apprends que la ville a été presque totalement détruite en 1940 par l'aviation allemande, lors de la Seconde Guerre mondiale. Et puis, il y a le port. Le plus grand port commercial au monde jusqu'en 2003! Il vient de passer au troisième rang après ceux de Singapour et Shanghai. Le port de Rotterdam accueille les fleuves d'Europe du Nord que sont le Rhin, la Meuse et l'Escaut. Des dizaines de kilomètres de quais. Voilà pourquoi le peu qui reste de l'ancienne ville est écrasé par la lourdeur des nouveaux immeubles, comme la célèbre Tour Black. L'industrie du port a pris le dessus sur cette région, somme toute, agricole. Rotterdam, capitale de l'industrie hollandaise. L'urbanisme est conçu en conséquence: au centre, un immense îlot commercial, suivent en cercles concentriques les cités d'habitations, au-delà, les autoroutes. Au centre-ville, des dizaines d'artères droites s'entrecroisent en forme de croix, où fonctionnent comme une ruche des centaines de commerces en tout genre, installés dans des constructions légères pour la plupart. Du préfabriqué. Une atmosphère artificielle s'y dégage. Dans les rues, une population des plus métissée. Une répartition des tâches les distingue. Les Surinamiens (le Surinam est une ancienne colonie hollandaise) tiennent en majorité les snacks, la sécurité des centres commerciaux; les Marocains la petite restauration, les marchés des quartiers et autres jobs indépendants; les Cap-Verdiens dans l'entretien et le nettoyage et pour certains, bars et boîtes de nuit. Rotterdam, à vrai dire, vous laisse perplexe, tant les contrastes du classique et du moderne se côtoient. Le train qui continue vers le nord du pays met à peine une demi-heure pour vous débarquer dans la capitale politique et administrative: La Haye, nom que vous ne trouverez nulle part aux Pays-Bas, puisque les Néerlandais l'appellent Den Haag. Ville moyenne, tant par la taille que par le nombre de ses habitants (600.000 environ), Den Haag abrite, en plus du siège du gouvernement et ceux des ambassades, des institutions internationales comme le Tribunal pénal international (TPI), le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), la Cour de justice internationale (CJI) ou encore Europol. L'attrait principal de la ville est situé au sud-ouest, celui de Scheveningen. Une sorte d'immense étendue vers la mer, où l'on découvre le musée de la mer, le parc d'attractions Madurodam et bien d'autres endroits de délassement. Les nombreux restaurants faisant face à la mer accueillent une clientèle nombreuse autochtone et étrangère. Il faut dire que les Hollandais sortent souvent et aiment à consommer. Mais avec cette précision: chez eux. Vous les verrez aux périodes de grandes vacances, lorsqu'ils quittent leur pays, rouler sur les autoroutes européennes avec leurs caravanes. Ils emportent tout ce qui est possible pour ne pas dépenser ailleurs. Pâtes, légumes secs, conserves...Tout ce qui peut être conservé. La caravane remplace l'hôtel. Un Hollandais consomme au maximum en Hollande. C'est un principe national. Même les villes assument chacune une fonction principale. Den Haag est la ville des administrations, du gouvernement et des affaires. Rotterdam, c'est le port et le commerce mondial. Vient la capitale principale, Amsterdam. Voilà le joyau de la Hollande! Plate, étendue, colorée, grouillante, belle. Un vrai délice avec de l'étonnement à chaque coin de rue. Au sortir de la gare centrale (Central station), sur la droite un parking à trois étages rempli de...vélos! Des centaines, peut-être des milliers. A chaque bouche de métro ou carrefour, des parking vélos. Dans les bandes de circulation réservées aux cyclistes, restent encore ceux qui roulent. Seul, en couple ou en famille. Amsterdam construite à l'origine sur le fleuve Amstel, a grandi à partir du XIIe siècle en gagnant du terrain sur les marécages environnants et sur...la mer du Nord. Comme beaucoup de villes côtières hollandaises, elle est située en dessous du niveau de la mer. C'est la raison pour laquelle vous rencontrerez un nombre impressionnant de canaux, d'écluses et de petits ponts à travers les quartiers de la ville. Le tourisme fluvial y est assez important ici. Pour la modique somme de 7 euros, vous embarquez sur l'un de ces nombreux bateaux mouches pour une promenade-découverte assez originale. Le long des canaux, vous frôlerez les habitations privées aux fenêtres sans rideaux. Vous verrez les Amstellodamois (ainsi sont-ils nommés) chez eux, dans leur intérieur. La légende prétend que c'est une façon pour les Hollandais de vivre dans la transparence, rien à cacher, quoi. Même dans la vie politique de leur pays. D'autres affirment que c'est simplement dû au climat. Pour le peu de jours où le soleil offre sa générosité, accueillons-le à bras (fenêtres) ouverts. Toujours est-il que la ville paraît, par bien des aspects, surréaliste. Tenez, dans les ruelles étroites et animées du centre-ville, se côtoient commerces en tout genre et les célèbres «coffee shops», bars-cafés où l'on vous vend, en toute légalité, des «joints de cannabis» comme un simple gâteau. Jeunes et moins jeunes fument naturellement de l'herbe sans aucune particularité. Plus loin, dans le quartier chaud de «Wallen», l'érotisme dans les vitrines dispute la place aux salles de jeux et autres distractions osées. Mais attention, Amsterdam c'est aussi l'art, la culture, la science, les affaires...Une ville, quoi! Elle abrite les musées renommés de Van Gogh et Rembrandt, ainsi que ceux de la science Nemo, et de l'histoire comme celui d'Anne Frank. Plus d'une centaine de salles de concert! Des salles de cinéma, des théâtres dont le plus fréquenté est le Stopera, celui de la musique. Amsterdam, c'est aussi le diamant. Deuxième capitale mondiale du diamant après Anvers, la ville belge. Naturellement, la finance et le négoce ont pignon sur rue. En prenant le tram de Central station, vous arrivez en quelques instants sur la place «Bally». Lieu de rencontre des artistes, intellectuels, étudiants...Les nombreux cafés et restaurants aux alentours offrent d'excellents forums de débats. C'est là, en 1995, que je fis la connaissance des frères Traïdia, Hahim et Karim, deux Algériens originaires de Annaba, établis depuis belle lurette à Amsterdam et qui se sont fait une place honorable dans le cinéma et le théâtre pour enfants. A l'époque, ils étaient mobilisés sur la question de la violence intégriste en Algérie. Ils méritent, tous deux, un hommage pour le travail d'explication et de clarification qu'il ont fourni, pour dénuder l'hydre intégriste et mobiliser pour la démocratie en Algérie. Amsterdam, l'hymne à la vie Plus tard, Hakim Traïdia tournera un film sur le combat et le calvaire vécus par les journalistes algériens dans leur lutte contre l'intégrisme islamiste. Journaliste était le titre du film, avec Sid-Ahmed Agoumi dans le rôle principal. Amsterdam a été la dernière ville où fut hébergé, durant quelques semaines, notre confrère Saïd Mekbel avant qu'il ne soit assassiné à Hussein Dey. C'est la ville (le syndicat des journalistes) qui a offert une année sabbatique à l'autre confrère Ahmed Ancer, du quotidien El Watan, pour écrire son livre événementiel sur l'épopée du M.J.A, le premier mouvement libre des journalistes lancé dès 1987. Je rappelle ces quelques faits, pour dire combien cette ville nous est proche, malgré les distances et le climat. Ma pensée n'a pu éviter ces souvenirs, alors que je déambulais le long des quais en cette journée de mars, exceptionnellement, ensoleillée. Ville de rêve. Pourquoi pas? Parce qu'elle symbolise la liberté, la tolérance et la beauté, elle attire les visiteurs du monde entier, et inspire artistes et poètes. Dans le port d'Amsterdam, la célèbre chanson dédiée à la ville par l'immense Jacques Brel, n'est pas une fiction au sens littéral du terme. C'est une bataille contre la mer où les Hollandais lui ont arraché, pouce par pouce, des terres qu'ils cultivent et habitent (les polders). C'est tout ça Amsterdam. C'est tout ça la Hollande. Du triste climat que la nature lui a imposé, elle en a tiré ce qu'il y a de plus beau: l'Amour de la vie.