Les Pays-Bas se sentent redevables envers ce qu'ils qualifient aujourd'hui de minorités religieuses, ramenées dans les années de l'après-guerre du Rif marocain et de l'Anatolie en Turquie pour les besoins de la reconstruction du pays. En relativisant la campagne menée par l'extrême droite contre les musulmans, dont le nombre dépasse aujourd'hui les 850 000 personnes, le gouvernement néerlandais veut sauvegarder la cohésion sociale tout en rappelant les devoirs et droits de chacun. Débattre de la montée de l'islamisme et de l'immigration en provenance des pays arabes en plein retour de l'extrême droite dans le pays qui a basculé depuis l'assassinat du cinéaste Théo van Gogh, le 2 novembre 2004, dans une rue d'Amsterdam paraît à première vue un exercice difficile. Mais le gouvernement hollandais a décidé de prendre le taureau par les cornes en invitant pour une semaine onze journalistes issus de neuf pays arabes (le Maroc et la Palestine ont eu droit à deux représentants) pour expliquer les objectifs de la politique étrangère et rapprocher des points de vue qualifiés par la diplomatie néerlandaise “d'incompris”. Et c'est là où la sacro-sainte notion des droits de l'Homme trouve toutes ses limites. Car l'extrémisme religieux a inévitablement eu comme conséquence directe le débat sur l'immigration. Comment peut-on permettre à la Hollande d'être un refuge pour des milliers d'immigrants qui deviennent par la suite exigeants au point de menacer certaines constantes jusque-là inébranlables ? Le débat qui semble réunir un certain consensus au sein des médias hollandais est mené par un certain Geert Wilders, député populiste et chef du Parti pour la liberté. Ce parlementaire très médiatique, qui exploite le sentiment d'insécurité d'une partie de la population néerlandaise, est allé jusqu'à appeler à interdire le Coran et demandé récemment un référendum sur l'interdiction des minarets et ce, après avoir été l'auteur du très controversé film Fitna, condamné par le monde musulman. Cette campagne contre l'islam est apparue dans un sondage réalisé, en juillet dernier, par la chaîne néerlandaise NCRV. Cette enquête menée auprès des immigrés a fait ressortir des données qui ont donné froid dans le dos au gouvernement. Au total 51% des musulmans interrogés, essentiellement des Marocains et des Turcs, ont souhaité quitter les Pays-Bas. La popularité croissante du député d'extrême droite est considérée comme la principale cause de ce choix. Mais comment en est-on arrivé là ? Pourquoi appelle-t-on désormais les imigrés issus des pays d'Afrique du Nord et ceux originaires de Turquie des musulmans ? Pourquoi cherche-t-on à les stigmatiser ? En fait, si le débat sur la place de la religion au sein de la société hollandaise a commencé après l'assassinat de Théo Van Gogh, il faudrait peut-être remonter jusqu'au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 pour comprendre cette évolution de l'histoire qui a mis les imigrés turcs et marocains notamment, dans une situation peu enviable. Selon Halim El-Makdouri, responsable au Forum international qui dépend de l'Institut du développement multiculturel et dont l'objectif est de préserver la paix sociale, “l'appellation musulman est apparue depuis 2001. Avant, on les appelait les guest workers ou strangers, turcs, marocains ou autres. Mais depuis les attentats d'Al Qaïda contre les Twin Towers, on les appelle les musulmans”, a-t-il expliqué. Mais face à cette situation, le gouvernement veut sortir de cette impasse en les appelant carrément les “nouveaux Hollandais”. Lors d'une conférence organisée au siège de l'institut, situé dans la banlieue d'Amsterdam, Halim El-Makdouri, accompagné par Kriss Hanter, directeur adjoint de cette structure, ont tenté chacun en ce qui le concerne de relativiser la campagne islamophobe en expliquant la spécificité du système politique néerlandais où la séparation de la religion de la politique n'est pas définie de la même façon qu'en France, par exemple. “L'Etat hollandais est laïque. Mais la séparation de la religion de l'Etat diffère d'un pays à un autre. Ici, ce n'est pas tout à fait clair. En France, la religion n'a aucun impact sur la politique. Mais en Hollande, la laïcité donne la liberté aux organisations religieuses de participer à la vie publique. Elle donne le droit à chaque croyant musulman ou chrétien de pratiquer sa religion”, a précisé El-Makdouri, qui revient dans son exposé sur l'article 23 de la Constitution néerlandaise qui donne le droit aux parents de prodiguer l'enseignement qu'ils souhaitent à leur progéniture. “C'est ce qui a permis la création d'écoles islamique, protestante et catholique. Et le financement de l'établissement est à la charge de l'Etat qui conditionne cette aide par la qualité de l'enseignement.” Et d'ajouter : “À la différence des écoles publiques, ces écoles coraniques commencent par enseigner la prière et le Coran, et c'est cela qu'on appelle, ici, la séparation du religieux de l'Etat, et c'est même une tradition, ici, dans le mode de gestion gouvernementale qui a vu des coalitions chrétiennes se former pour diriger le pays.” Les hollandais ne sont plus religieux Mais alors pourquoi la société hollandaise, qui était religieuse jusqu'aux années 1960 et 1970, se délaisse de certains de ses repères ? Pour le conférencier, la Hollande a changé. Mais il est faux de dire que la société néerlandaise n'aime pas l'islam. Aujourd'hui, ce qui est sacré aux Pays-Bas, c'est beaucoup plus la liberté d'expression que la liberté religieuse. Ainsi, aujourd'hui, quelque 58% de la population affirment ne pas avoir de relation avec la religion. Le reste, à savoir les catholiques, tiennent encore 29% dans les sondages, suivis des protestants avec 19% et les musulmans avec 5%. “Cette évolution de l'histoire a eu un impact négatif sur les minorités religieuses originaires de Turquie, du Maroc ou de Somalie, des pays où la laïcité ne veut pas dire grand-chose”, a-t-il ajouté, avant de donner son verdict sur le comportement social de ces dernières années. “Ce qui se passe depuis 2004 ne signifie pas forcément un sentiment anti-islam, mais il exprime la crainte des Hollandais de subir encore le diktat des religions.” La mise au point des musulmans hollandais à El-Qaradawi Revenant sur le film Fitna paru en 2007 qui, selon lui, exprime le sentiment d'une prochaine domination de l'extrémisme religieux de l'Occident, le responsable de l'Institut du développement multiculturel s'est réjoui de la réaction pacifique des musulmans et affirmé, à partir de là, que la propagande de l'extrême droite sur le danger que peut représenter la minorité musulmane sur la stabilité sociale en Hollande ne tient pas vraiment la route. Mieux encore, les musulmans hollandais ont adressé une sévère mise au point à l'imam El-Qaradawi qui a tenté d'exploiter le film en question pour accuser l'Occident de tous les maux. Ainsi, constatant qu'il voulait attiser le feu à des fins personnelles, les musulmans hollandais lui ont carrément dit : “Si vous voulez réellement nous aider, alors, de grâce, arrêtez de vous ingérer dans les affaires hollandaises.” Cette réaction a eu des répercussions positives au sein du gouvernement qui fait face à la montée de l'extrême droite en ayant des arguments pour la poursuite de sa politique sur l'immigration, même s'il compte dès à présent lui apporter certaines retouches afin de mieux l'adapter aux nouvelles exigences du pays. “La Hollande n'est pas le paradis pour les musulmans, mais ce n'est pas l'enfer non plus, la Hollande reste un pays où les libertés religieuses sont mieux respectées que dans les pays musulmans”, a encore souligné le responsable. Les Pays-Bas refusent de céder à l'alarmisme. Tout en expliquant les raisons de la montée des extrémismes, le gouvernement se lance dans une campagne d'explications. La Hollande est une démocratie et un Etat de droit. Aucune censure n'est possible. Et la liberté d'expression a elle aussi ses limites. On ne peut cautionner des appels au meurtre ni permettre aux extrémistes de tous bords d'imposer quoi que ce soit. Le film Fitna est sorti et personne ne pouvait l'empêcher. Finalement, son impact n'a pas été à la hauteur du souhait de son auteur. “Il fallait le laisser sortir et voir ensuite s'il y contenait des scènes passibles de poursuites judiciaires”, a précisé Halim El-Medkouri qui affirme qu'“en définitive, le contenu du film a été un ratage et, politiquement, les musulmans ont été félicités pour leur comportement civilisationnel”. Bien entendu, le forum a joué un rôle dans cette affaire, à travers l'organisation de visites et de déplacements des délégations. Il faut dire aussi que le patronat hollandais s'est impliqué en prenant contact avec des pays arabes afin d'éviter le boycott de leurs produits. Problème d'intégration : quelles sont les minorités les mieux intégrées ? Plus de 850 000 musulmans vivent aujourd'hui aux Pays-Bas. S'il est déjà trop tard de parler de l'intégration de la première génération d'immigrés qui sont venus au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale du Rif marocain et de l'Anatolie en Turquie, à la demande de la Hollande, il n'en reste pas moins que le débat est d'une brûlante actualité concernant la deuxième et troisième générations. Mais le débat qui a déjà touché l'Allemagne depuis 2004 et la France récemment porte sur l'identité nationale. Ainsi, la nouvelle génération d'immigrés se sent européenne et revendique par conséquent les mêmes droits. “Ils finiront par s'intégrer”, conclut Halim qui met en avant l'implication de leurs Etats d'origine dans cette opération qui, à travers leurs communautés immigrées, créent des lobbys politiques qui peuvent devenir puissants et qu'ils n'hésitent pas à exploiter durant les campagnes électorales. De son côté, Kriss Hanter, directeur-adjoint du centre, a évoqué l'immigration d'origine polonaise depuis l'accession de ce pays à l'Union européenne en 2004. S'il admet que cette catégorie a beaucoup plus de chances de s'intégrer vu la facilité de l'apprentissage de la langue, il avoue que dans les régions hollandaises où des entrepreneurs immigrés sont installés, le niveau de rentabilité est en hausse comparativement à d'autres régions. “Nous avons refusé de lancer une enquête sur le coût de l'immigration et la réalité de son impact sur l'économie hollandaise”, a-t-il dit en affirmant que cette enquête pourrait être qualifiée d'acte de racisme. Tout en rappelant que l'immigration tient pour objectif principal la recherche d'un emploi et d'un avenir plus stable, K. Hanter recommande de rester réaliste, de ne pas céder à la panique, de régler les problèmes lorsqu'ils surviennent, mais à leur niveau local, et soutenir l'éducation des enfants.