C'est une idée si vague qu'elle est devenue poésie. L'idée de publier dans une collection particulière - au sens fort -, de la poésie en fragments épars et illustrés, est certes une gageure, - mais pour qui?... Et c'est tellement rare aujourd'hui un éditeur attaché à son art, et qui plus est authentique poète par son «Mot de l'éditeur», qu'il nous souvient tout juste que son métier est plutôt bel et bien poésie pure, -c'est-à-dire ce que je trouve évidemment dans le double ouvrage que nous offrent Les éditions APIC avec la plaquette de poésies Alger, de mémoire et d'amour de Ouahiba Aboun Adjali et, paraissant dans la collection «Quand le pinceau peint la plume» et sous le même titre, l'oeuvre d'art accompagnatrice de Philippe Amrouche, peintre, graveur et calligraphe délicat sous la pulsion des souvenirs que développent les mots ailés de la poésie. Ouahiba Aboun Ajdali est la femme qui a reçu le don de la sensibilité en même temps que celui de la rigueur de l'angle droit. Née en 1954 à Alger, elle a grandi dans l'Algérie de l'espoir, de la mathématique, de l'économie, du culte du beau; elle ouvre une galerie d'art à Alger et tient une plume libre pour écrire en toute fidélité ce qu'elle sait de sa ville natale et ce qu'elle a d'amour pour elle. Vingt-trois poèmes, que l'on peut dire à mi-voix, racontent des souvenirs précis d'«Alger, de mémoire et d'amour». Le vers est court, le rythme tantôt haletant, saccadé, disloqué, tantôt primesautier, volontaire, exprimant le duel de l'enthousiasme et de la déception; les sonorités tentent de provoquer l'esprit face aux choses de la vie: l'inadmissible, le malheur, l'horreur, l'exil, la rancoeur, le devoir, le temps qui passe, le temps qui décompose plus qu'il ne recompose ce que l'on aime, le temps qui façonne les mots et les symboles. Ouahiba Aboun Adjali reconstruit sans cesse sa vision d'un monde vécu ou rêvé ou espéré, -ce qui est en elle. Elle recourt aux symboles qui sont elle-même, sa vie même. Ainsi pourraient s'expliquer cette prédominance de la forme symbolique de sa poésie et, tout spécialement, une certaine puissance d'exprimer qui lui a manqué, peut-être. L'emploi du vers libre, du vers court, du vers énigmatique, les répétitions peu éclairantes, peu fécondes, déstructurant ici et là l'exquise trouvaille d'une image mobile ou la fluidité du poème d'où parfois l'impression que nous avons: le secret poétique est dénoncé par une fausse intelligibilité du mot. Ce mot a parfois cristallisé des maladresses. Est-ce par méconnaissance des sensibilités écrit-on «Ma ville blanche/blanche blanche/de brume rosée/qui court comme une liqueur à mes veines» ou par méconnaissance des conséquences désastreuses engendrées par les croisades auxquelles a participé corps et âme pour finir le Croisé volontaire «Cervantès vociférant dans sa grotte»?...On peut discuter d'une opinion, jamais d'un choix personnel. Mais que Ouahiba Aboun Adjali se rassure, personne ne pourrait être insensible à la lumineuse beauté de sa sincérité et de ses sentiments. Cette première oeuvre, que tout vrai artiste doit connaître, annonce une belle poétesse naissante. Aussi dois-je dire que Philippe Amrouche a dû être séduit comme il convient pour avoir si magnifiquement peint les mots les plus précieux de la poétesse algéroise. Il s'est évertué à rendre le vers plus éloquent en l'introduisant harmonieusement dans son propre paysage: à fragment poétique, fragment émouvant de la nature matérielle. Le but a été encore ici, sans exagérer le procédé de détrempe, de trouver le rythme, l'accompagnement plastique (et musical?) assez expressif pour servir le décor naturel avec ses effets exaltés d'ombre et de soleil, de tristesse et de bonheur, évoqué par les riches et délicates images poétiques de Ouahiba Aboun Adjali. Ainsi voici «Alger qui lui/à l'orée de la nuit/mon île au milieu de l'oubli», voici «Je t'ai veillée...mon inquiétude», voici «le malheur monte aux nues» et voici «Ma ville blanche et bleue/humiliée et rose au lever du jour/comme une femme après l'amour.» ALGER, DE MEMOIRE ET D'AMOUR Poésies de Ouahiba Aboun Adjali (55 pages) Illustrations de Philippe Amrouche (22 pages /31x20) Editions APIC, Alger, 2006.