Il est le héros par excellence, même si, très souvent, comme dans Echebka, c'est surtout le rôle du désaxé qui lui échoit. Son coéquipier dans le film L'Opium et le bâton, Jean Louis Trintignant, avait dit de lui à la salle El Mougar, après la projection du film de Ahmed Rachedi: «Il y a des artistes qui s'expriment même en vous tournant le dos». Le compliment s'adressait à l'acteur, mais on pourrait affirmer la même chose de l'homme. C'est que tout dans le parcours de Sid-Ali Kouiret montre que l'homme a répondu à tous les rendez-vous importants de l'Algérie, à commencer par sa participation dans la troupe du FLN durant la guerre de Libération. De Tunis à Pékin, de Berlin à Baghdad, il a sillonné les capitales du monde, en compagnie de ses valeureux compagnons, pour porter la voix de l'Algérie. Orphelin à l'âge de sept ans, cet acteur au long cours s'est retrouvé un jour comme happé par une profession à laquelle il ne se sentait pas des prédispositions, et alors que la rue était tout son univers. «Mustapha Kateb m'a tiré du ruisseau. Je lui dois tout.» Et c'est à Tunis, pendant la Révolution qu'il fit la connaissance de sa première femme, qui avait rejoint le maquis à l'âge de treize ans et demi. «Elle avait demandé à voir son père de dos, pour lui demander de bénir sa décision, parce qu'elle avait peur de succomber à son émotion et d'accepter de repartir avec lui». Ce genre d'histoire ne s'invente pas et aucun scénariste ne pourra écrire un synopsis pareil, car c'est une histoire qui est écrite avec le sang, avec les larmes, et l'amour infini de la liberté. D'une pudeur au-delà de l'imaginable, Sid-Ali Kouiret ne se livre qu'à demi. Mais on sent qu'il éprouve un soulagement à évoquer avec les journalistes ces moments intimes de sa vie; lui a qui interprété des rôles inoubliables, mais qui reste inconnu du grand public comme des médias. C'est que Sid-Ali Kouiret s'est fabriqué un masque, et personne n'a pensé depuis le temps à gratter cette carapace pour découvrir la sensibilité qui se cache dessous. Tenez, par exemple, ne cherchez pas dans ses meilleurs rôles, et il y en a, mais plutot dans les seconds rôles qu'il a campés, comme celui du mafiosi dans Le Joueur le feuilleton de Djamel Fezzaz, ou bien dans le rôle du poivrot qu'il a tenu dans Hassan Taxi, il y révèle toujours une partie de lui-même. Ce sont autant de facettes d'un personnage complexe et difficile à cerner de prime abord. Celui qui a eu la chance de faire du théâtre à des moments charnières de l'histoire du pays, et qui a fréquenté des géants comme Mustapha Kateb, Abderrahmane Raïs, Yahia Ben Mabrouk, Mahieddine Bachtarzi, voire Youcef Chahine ou Yousra, Tayeb Seddiki, Ali Benayad, a eu également à jouer dans des films-phares: L'Opium et le bâton, bien sûr, mais aussi Les Suspects, Morituri, Les Sacrifiés, La Famille Ramdam, Le Retour de l'enfant prodigue, Chroniques des années de braise, L'Evasion de Hassan Terro...Il est capable de jouer sur tous les registres, même si, du fait de la faiblesse de la production algérienne, il n'a pas toujiours eu des castings à la mesure de son immense talent. Il est le héros par excellence, même si, très souvent, comme dans Echebka, c'est surtout le rôle du désaxé qui lui échoit. N'est-ce pas justement que, tout comme Marlon Brando, c'est dans ce genre de rôle qu'il laisse transparaître une partie de lui-même, comme dans un miroir brisé. Ce qu'on ne voit pas est encore plus troublant que ce qui est tu. L'histoire de l'Algérie est une histoire mouvementée, une histoire qui se cherche, et n'en finit pas de recoller les morceaux, et Sid-Ali Kouiret en est l'une des meilleures expressions, comme un reflet dans l'eau. On peut justement estimer qu'il tente de marquer une certaine distance entre lui et le public, mais la réalité finit toujours par le rattraper. Chaque pays et chaque génération a ainsi un acteur qui est là pour interpréter à la fois sa grandeur et son angoisse. En Algérie, Sid-Ali Kouiret est certainement cet acteur-là. Et il n'a pas besoin de revendiquer cette place. Il la tient, le plus normalement du monde. Et il n'a pas besoin de médaille, ni de décoration. Tout comme sur scène, il n'a pas besoin de forcer son talent pour paraître ce qu'il est. C'est tout naturellement qu'il entre dans la peau de ses personnages. Il est vrai, et il est talentueux. Il a du génie.