L'homme a été désigné, depuis presque une année par le président de la République, à la tête de l'Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Sa mission: faire barrage à la montée en puissance du phénomène de trafic de la drogue et des stupéfiants et aux narcotrafiquants qui ont ciblé l'Algérie, pour en faire une grande plaque tournante du marché international. M.Abdelmalek Sayah s'attelle à sa tâche avec les mêmes convictions qui ont caractérisé sa mobilisation contre le terrorisme en tant que magistrat. La mission, pense-t-il, est noble et mérite tous les sacrifices. L'Expression l'a interviewé pour en savoir plus sur les actions qu'entend mener l'organisme qu'il dirige, à la lumière des derniers développements survenus sur la scène nationale avec la découverte des champs de culture d'opium et de cannabis. L'Expression: Ces derniers temps les services de sécurité ont découvert des plantations d'opium et de cannabis dans différents coins du pays, ce qui laisse croire que le fléau de la drogue a pris d'autres proportions en Algérie, qui devient une terre de culture après avoir été un transit puis un marché de consommation. Quelle est votre analyse de la situation? Abdelmalek Sayah: Ce développement de la situation ne nous surprend point pour plusieurs facteurs et l'analyse que vous faites me paraît être une évidence pour plusieurs raisons. L'Algérie est devenue, depuis des années déjà, la cible des réseaux de narcotrafiquants pour ses spécificités géostratégiques et même topographiques. Nous avons un territoire très vaste 2.381.740km2 avec un relief diversifié et des frontières terrestres et maritimes très larges et une population jeune. Nous avons à la frontière ouest le Maroc, présenté comme le premier producteur mondial de cannabis avec une production annuelle de près de 100.000 tonnes. Ce qui a fait de notre pays d'abord un transit pour l'acheminement de cette drogue vers l'Europe, puis un marché de consommation et enfin l'apparition d'une nouvelle tendance qui est celle de la production locale. Même si nous n'avons pas encore une vision claire du phénomène, nous sommes conscients que les narcotrafiquants profitent de l'éloignement de certains sites des yeux des services de sécurité et des citoyens pour s'adonner à la culture de l'opium et du cannabis. Le danger réside dans l'exportation du modèle marocain vers l'Algérie. Les fellahs sont la proie facile quand ils sont incités par les trafiquants de drogue, à coups de profits importants, à changer d'habitude agricole. Il y a aussi la pression exercée par les forces de sécurité aux frontières qui ont resserré l'étau sur les réseaux de trafic et d'acheminement de la drogue du Maroc vers l'Algérie. Pour ne pas dépendre de la production marocaine, ces réseaux se sont tournés vers la production locale. Mais, il n'y a pas que cette tendance qui menace l'Algérie mais aussi l'autre variante du trafic et qui est plus dangereuse encore. Il s'agit de l'option de culture, de production de la cocaïne et de création de laboratoires clandestins du traitement de la cocaïne et des drogues dures. Nous le savons, l'Algérie n'est pas à l'abri de tels développements. Les narcotrafiquants, à l'échelle internationale, sont à la recherche de nouveaux couloirs pour atteindre le grand marché européen et l'Algérie est ciblée dans ce sens. Mais, ils auront fort à faire face à la pression qu'exercent les forces de sécurité, car l'Etat a décidé d'éradiquer ce fléau et de le combattre comme il l'a fait avec le terrorisme. D'ailleurs, il ne faut pas s'étonner des interconnexions entre les différents phénomènes de criminalité dans notre pays. D'après certains observateurs, le phénomène de culture de l'opium et du cannabis avait des traditions dans certaines régions du pays avant d'être réduit à néant par les services de sécurité... Effectivement, en tant que magistrat, j'ai eu connaissance de dossiers qui ont atterri en justice et qui concernent le délit de culture de cette plante à consommation domestique, comme c'était le cas dans les années 40 à N'gaous et les années 70 dans la région de la Mitidja: Staouèli, Blida, El Affroun ou comme Béchar qui avait la réputation d'abriter des jardins de cannabis. Mais actuellement, le phénomène a pris de l'ampleur puisque d'autres régions sont signalées comme étant des sites de production, même si c'est à vocation domestique, comme c'est le cas de Mostaganem, Béjaïa, Boumerdès, Tizi Ouzou, et Adrar où précisément le phénomène a pris de l'ampleur avec cette culture à grande échelle. Les plants sont faciles à acquérir dans le marché marocain et c'est peut-être la source actuelle des plants utilisés dans les terres du sud algérien. Les médias ont fait état de détournement de l'argent de l'Etat, octroyé dans le cadre de l'investissement dans le secteur agricole, à la production de l'opium et du cannabis, confirmez-vous ces informations? C'est une probabilité à ne pas écarter. De nos jours, nous assistons à des pratiques où tous les moyens sont bons pour le gain facile. Ces gens agissent sans scrupules, au lieu de participer au développement du pays à travers l'amélioration de la production agricole, ils sont tentés par cette culture dangereuse qui rapporte plus. Les services de sécurité enquêtent sur cette affaire et lèveront le voile sur de tels agissements. 24.724 plants d'opium saisis en moins d'une semaine dans la seule wilaya d'Adrar montre bien que le ver est dans le fruit... Ecoutez, nous savons, qu'à l'instar des autres chiffres qui concernent les saisies opérées par les services de sécurité pour ce qui concerne le cannabis traité, les chiffres ne reflètent pas la réalité. Ces chiffres ne sont à prendre qu'à titre indicatif et c'est justement l'objet de notre tâche actuelle, à savoir la collecte de données pour pouvoir cerner le phénomène. Ce qui a été retrouvé à Adrar peut être retrouvé ailleurs. Il revient donc aux citoyens d'alerter les services de sécurité sur l'existence de tels champs qui sont à l'abri des regards. Je le répète, encore une fois, l'Algérie représente un marché porteur pour les narcotrafiquants à l'échelle nationale et internationale. Avec une population à 75% constituée de jeunes entre 14 et 35 ans, c'est énorme comme tentation. Les ingrédients pour l'explosion de ce trafic en Algérie existent. Notre pays traverse une période difficile, mise à profit par les réseaux de la criminalité pour fructifier leurs affaires. Il y a comme une volonté de calquer le modèle marocain pour faire de l'Algérie, non seulement un pays de transit ou de consommation, mais aussi de production et d'exportation. D'autant plus que les différents services de sécurité, auxquels je rends hommage, ne peuvent couvrir l'ensemble du territoire national et les 6000km de frontières. Comme première étape de lutte, il est urgent de réduire l'offre pour faire baisser la demande. A ce sujet, il y a une collaboration permanente entre l'Office et les services de sécurité. La lutte concerne aussi la société civile, l'école, les parents, les médias... Personnellement, j'ai constaté à travers les associations citoyennes et les médias, qu'il y a une réelle prise de conscience chez les Algériens sur les dangers du phénomène de la drogue, le résultat est là: les chiffres, en notre possession, montrent qu'il y a une nette évolution chiffrée des prises effectuées par les services de sécurité depuis 2004. L'Office, que je dirige, a lancé une opération d'envergure pour créer un répertoire national regroupant l'ensemble des associations qui activent dans le domaine de la lutte contre la drogue et la toxicomanie à l'échelle nationale, et en faire des partenaires afin de créer, par la suite un véritable réseau qui nous permettra de faire un travail de proximité dans les différentes villes et les différents quartiers et villages du pays. Nous avons visé aussi bien le milieu rural que le milieu citadin. Nous comptons, pour la concrétisation du projet, organiser les 26 et 27 juin prochain une conférence nationale avec la participation des associations qui feront partie du réseau. Cette date correspond à la Journée internationale de lutte contre la toxicomanie. Nous voulons en faire notre bras droit en matière de lutte. Tout cela rentre dans le programme de lutte tracée par le gouvernement dans le plan directeur national de prévention et de lutte contre la drogue et la toxicomanie, qui implique la coordination entre les 14 départements ministériels et les différents services de sécurité. Nous sommes donc comptables devant le gouvernement pour l'application de ce programme. Ce programme, justement, fait part de la prise en charge de cette jeunesse pour la sortir des griffes des narcotrafiquants... Oui, ce programme prévoit des mesures d'accompagnement pour réduire le taux de chômage dans le milieu juvénile, la déperdition dans le milieu scolaire et la mise à la disposition des jeunes de moyens socio-éducatifs et culturels pour un meilleur épanouissement. La lutte contre la drogue et la toxicomanie est devenue une priorité des pouvoirs publics. La drogue a pénétré les écoles et touché nos écoliers. C'est un signal d'alarme qui nous interpelle tous, sur les dangers futurs qui nous guettent et qui guettent nos enfants. D'où la nécessité d'une lutte farouche et sans merci, car nous ne sommes pas à l'abri d'une autre tempête, à l'image de celle du terrorisme qui a failli emporter l'Algérie. La drogue détruit notre société et notre force vive qui est la jeunesse. Nous devons livrer aux narcotrafiquants et aux dealers une bataille acharnée et totale. Il s'agit d'une responsabilité morale. C'est aussi la responsabilité morale de tout Algérien digne de ce nom. Et je suis sûr que nous sommes capables d'éradiquer ce fléau comme nous l'avons fait avec le terrorisme et personne ne doute que l'Algérie est une terre de défis et de miracles. Cette lutte exige la coordination de vos efforts avec les organismes de lutte à l'échelle régionale et internationale. Y a-t-il des actions prévues dans ce sens? C'est un volet qui ne nous échappe pas car nous savons que le trafic de drogue est un phénomène transnational. Notre pays est au coeur d'un gigantesque trafic international. Nous avons déjà organisé une conférence avec nos partenaires européens du réseau Pompidou et nos contacts sont permanents avec les instances de lutte aussi bien régionales qu'internationales. Il y a aussi une collaboration entre les différents services de sécurité du pourtour méditerranéen et je vous cite l'exemple de la prise effectuée en janvier 2007 avec l'interception d'un conteneur transportant une grande quantité de cocaïne en Espagne et qui a transité par Alger après une opération de transbordement de marchandises acheminées du Venezuela et destinées à l'Espagne. L'intermédiaire est un Algérien qui habite à Mohamadia (Alger), arrêté depuis par les services ce sécurité. Nous avons aussi des informations sur la filière colombienne qui cherche à avoir un pied en Algérie pour la création d'un autre couloir d'acheminement de la drogue dure vers le continent européen. Comme il y a aussi la filière du Nigeria et du Niger dont un ressortissant vient d'être récemment arrêté à l'aéroport d'Alger, avec presque un kilogramme de cocaïne pure dans son estomac. Parlant du partenariat, je vous informe qu'une délégation algérienne constituée par les cadres de l'Office et de la Dgsn se rendra la semaine prochaine en Espagne, sur invitation de la police espagnole pour des consultations au sujet de la lutte contre ce phénomène. Je vous laisse le soin de conclure cet entretien... J'espère être à la hauteur de la confiance placée en moi par le président de la République pour mener cette tâche. Ma satisfaction réside dans le fait de rendre encore service à mon pays, ce qui est un devoir et une tâche noble qui méritent tous les sacrifices.