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«L'Algérie se transforme progressivement en espace de consommation»
ABDELMALEK SAYAH DIRECTEUR GENERAL DE L'OFFICE NATIONAL DE LUTTE CONTRE LA DROGUE ET LA TOXICOMANIE
Publié dans L'Expression le 28 - 11 - 2006

Dans un entretien accordé à la revue scientifique Actes, dirigée par le professeur Ridouh, Abdelmalek Sayah traite de la problématique de la drogue en tant que phénomène social universel. A la veille de la conférence internationale qui aura lieu les 3 et 4 décembre à Alger sur le même sujet, il nous a paru utile de publier cette interview.
Question: Vous venez d'être désigné à la tête de l'Office, pourriez-vous nous donner un aperçu de son organigramme et ses missions?
Réponse: Permettez-moi tout d'abord, de vous remercier pour l'occasion que vous m'offrez, à l'effet de m'adresser aux lecteurs de la revue scientifique Actes qui s'impose aujourd'hui comme étant une publication spécialisée en Algérie, traitant d'un domaine aussi sensible et complexe que celui de la drogue et de la toxicomanie. Je saisis cette opportunité pour féliciter l'équipe rédactionnelle et les responsables de cette revue pour le travail remarquable et soutenu qu'ils accomplissent afin de lui assurer la périodicité de publication et la qualité du contenu.
Pour revenir â votre question, il faut savoir que l'Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie, en tant qu'institution nationale spécialisée, est chargé essentiellement d'élaborer la politique nationale de prévention et de lutte contre la drogue et la toxicomanie, en étroite concertation avec l'ensemble des secteurs concernés par ce fléau, qui sont d'ailleurs représentés au sein du comité d'évaluation et de suivi de l'Office. Dans la mise en oeuvre de la stratégie nationale, par les différents acteurs, l'Office assure la coordination, le suivi et l'évaluation des actions entreprises dans ce cadre et dresse des rapports périodiques d'appréciation qu'il soumet aux pouvoirs publics.
La deuxième mission de l'Office consiste à canaliser les efforts que fournissent, à la fois, les institutions de l'Etat et les acteurs de la société civile au triple plan de la prévention, de la répression et du traitement des toxicomanes.
Le but visé étant de fédérer l'ensemble des intervenants et d'orienter leurs activités dans le sens des objectifs pertinents définis par le plan directeur national. A ce titre, il veille à la collecte des données nécessaires qui lui permettent d'analyser la situation et d'en tirer les enseignements appropriés.
Au plan international, l'Office active en vue de renforcer la coopération régionale et internationale tout à fait indispensable dans ce domaine, dans la mesure où le trafic de drogue est l'une des formes les plus complexes et les plus dangereuses de la criminalité transnationale organisée. Il est en même temps l'interlocuteur des institutions internationales spécialisées en la matière.
Quant à l'organigramme de l'Office, sans entrer dans les détails, je vous dirais simplement qu'il lui permet dans la phase actuelle, de mener à bien les missions qui lui sont dévolues. Cet organigramme est naturellement appelé à évoluer à court et moyen terme afin de pouvoir répondre aux nouvelles exigences.
Est-ce que votre nomination à la tête de l'Office est une surprise pour vous?
A vrai dire, cette nomination n'est pas pour moi une surprise du fait qu'en ma qualité de commis de l'Etat, je me suis toujours considéré au service de l'Etat et prêt à répondre à toute sollicitation et à l'appel du devoir. Etant magistrat parquetier, depuis de longues années, cette nomination constitue en fait une continuité dans mon parcours professionnel consacré à la lutte contre les différents fléaux sociaux. Il s'agit d'une mission noble et exaltante à laquelle je ne pourrais me soustraire. La confiance placée en ma personne par M. le président de la République me motive davantage dans ma mission.
Quelle est votre vision de la toxicomanie en Algérie?
Le fléau de la drogue et son corollaire, la toxicomanie, constituent à mon sens, l'un des phénomènes les plus inquiétants auxquels doit faire face la société algérienne, à l'instar de tous les pays du monde. En effet, en ce qui concerne notre pays, de nombreux indicateurs montrent que ce fléau connaît une évolution préoccupante depuis quelques années, notamment en matière de propagation de cannabis et de substances psychotropes.
Considérée pendant longtemps comme zone de transit, l'Algérie tend à se transformer progressivement en espace de consommation.
A mon avis, il s'agit bien d'un phénomène social qui appelle une riposte sociale fondée sur la mobilisation et l'implication de la société tout entière. Pour être efficace, l'action à entreprendre devra cibler simultanément les trois aspects de la lutte, à savoir la prévention sous toutes ses formes, la répression sans relâche et le traitement des toxicomanes en termes thérapeutique et social.
Je pense que tous les efforts devraient être axés sur la prévention afin de réduire la demande. Cette action devra impliquer à l'évidence tous les segments de la société, à commencer par la famille, dont le rôle est essentiel dans ce domaine, l'école, la mosquée et la société civile dans ses différentes composantes, sans négliger naturellement l'apport hautement appréciable des médias.
En deuxième lieu, dès lors que notre pays dispose désormais de l'arsenal législatif adéquat, la répression du trafic de drogue doit être renforcée, dans le but de resserrer l'étau sur les réseaux de trafic de drogue afin de réduire autant que faire se peut, l'offre.
Enfin, la prise en charge des toxicomanes considérés beaucoup plus comme victimes que délinquants, devra faire l'objet d'une attention particulière qui devra se traduire par la multiplication des centres de traitement spécialisés afin d'assurer la meilleure couverture possible du territoire national ainsi que par des mesures efficaces au plan de la réinsertion sociale des toxicomanes. Cet objectif implique évidemment de nombreux secteurs, en particulier, celui de la santé.
Les médias et les services de sécurité annoncent de plus en plus de saisies de drogues, peut-on dire que la jeunesse est en danger?
Cette question m'offre l'occasion d'adresser mes compliments à l'ensemble des services de lutte, à savoir la Gendarmerie, la Police et la Douane, pour les efforts méritoires qu'ils ne cessent de déployer pour barrer la route aux trafiquants et pour neutraliser les réseaux criminels qui ne reculent devant aucun obstacle dans leur recherche du gain facile et pour détruire notre jeunesse.
Il n'est pas exagéré d'affirmer que la jeunesse est effectivement en danger. Cela ressort clairement des rapports des différents services de lutte qui prouvent que 85% des personnes impliquées dans des affaires liées à la drogue, durant la dernière décennie, sont âgées de moins de 35 ans.
A ce titre, toutes les institutions qui ont une part de responsabilité dans la protection de la jeunesse, sont interpellées et devraient redoubler de vigilance et d'efforts, pour que nous puissions ensemble mettre en oeuvre la parade nécessaire, capable de protéger cette jeunesse qui constitue la cible privilégiée des narcotrafiquants.
Quel est, selon vous, le moyen le plus efficace pour lutter contre la toxicomanie?
Nul n'ignore que lorsque le consommateur de drogue franchit la ligne rouge pour atteindre le stade de la toxicomanie, il devient à la fois malade et victime que la société doit protéger avant de lui assurer les meilleures conditions de soins pour l'aider à s'éloigner de la drogue et à se réinsérer de façon positive dans la société. A ce titre, le toxicomane doit bénéficier de l'attention de tout son entourage, notamment les membres de sa famille, afin de le soustraire aux pièges de la récidive et de la rechute.
Compte tenu de la complexité de cette mission, les institutions spécialisées gagneraient à mon sens, à perfectionner leur personnel et à le diversifier à travers la constitution d'équipes pluridisciplinaires en mesure de prendre en charge le toxicomane de façon efficace.
Deux idées dominent dans le nouveau texte de loi 2004, la répression du trafiquant et l'attitude thérapeutique vis-à-vis des drogués. Que pense faire l'Office pour l'application de ce texte?
Tout d'abord, je me félicite de la promulgation de la loi n° 04-18 du 25 décembre 2004, relative à la prévention et à la répression de l'usage et du trafic illicites de stupéfiants et de substances psychotropes, suivie de la loi 05-01 du 06 février 2005, relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, ainsi que la loi 06-01 du 20 février 2006, relative à la prévention et à la lutte contre la corruption. Il n'est pas sans intérêt de souligner la complémentarité de ces trois textes de loi au regard de l'étroite relation qui existe entre le trafic de drogue, le blanchiment d'argent et la corruption.
Il est évident que cette nouvelle législation contribuera, sans aucun doute, à renforcer le dispositif national de contrôle et de répression du trafic de drogue.
Il demeure entendu que l'efficacité d'une loi est subordonnée, dans une large mesure, à son application qui concerne en réalité plusieurs secteurs en charge des missions aussi bien préventives que répressives, d'autant que la loi qui nous intéresse considère effectivement, le toxicomane comme une victime qui a besoin d'une protection et d'une aide, d'où la possibilité d'injonction thérapeutique donnée au juge et la suspension de l'action publique à l'égard des personnes qui se conforment au traitement médical de désintoxication.
Comptez-vous apporter des modifications au plan directeur national?
Il me semble utile de rappeler ici, que le plan directeur national (PDN), adopté par le gouvernement le 29 juin 2003, sous forme de stratégie nationale s'étalant sur cinq ans (2004-2008), trace les grandes lignes de la politique nationale de prévention et de lutte contre la drogue et la toxicomanie.
Il est tout à fait évident qu'au cours de son application, les nouvelles données qui apparaissent sur le terrain, appellent l'ensemble des acteurs concernés à apporter, au fur et à mesure, les correctifs qui s'imposent.
A ce titre, l'Office compte engager dans un bref délai avec les différents partenaires, une évaluation exhaustive dans le but de faire le point sur le niveau d'exécution du PDN et de relever les éventuelles insuffisances. Cette évaluation nous offrira l'occasion de donner un nouvel élan et de redynamiser toutes les actions entreprises à tous les niveaux depuis l'année 2004, début de l'application du PDN.
Quelle est votre stratégie de renforcement de la coopération internationale?
Tout le monde sait que le fléau de la drogue constitue de nos jours une préoccupation majeure pour la communauté internationale tout entière. Aucun pays ne peut se soustraire à la responsabilité d'y faire face étant donné le caractère transnational de cette forme de criminalité organisée. C'est donc à la fois, une responsabilité collective et individuelle. D'autre part, il est évident qu'aucun pays ne saurait à lui seul, mener efficacement la lutte contre la drogue.
Ce postulat nous éclaire sur la nécessité pour notre pays, d'insérer son action dans le cadre d'une coopération régionale et internationale mutuellement bénéfique. Compte tenu de sa situation géographique et des enjeux géopolitiques actuels, la priorité pour nous sera donnée au renforcement de la coopération et des échanges avec les pays du Maghreb, les pays arabes, l'Afrique et l'espace euro-méditerranéen.
Il est à rappeler que l'Algérie a ratifié toutes les conventions internationales relatives au contrôle et à la lutte contre l'usage et le trafic illicites de drogues. Par conséquent, elle est associée à l'ensemble des activités qui sont menées par les organisations internationales spécialisées au sein desquelles nous nous acquittons de nos obligations et nous défendons les intérêts de l'Algérie. Cette coopération implique également pour nous, l'établissement de relations bilatérales avec les pays voisins et avec tous les autres pays dont l'expérience pourrait nous être utile. Dans ce domaine, notre action se réalise dans le cadre d'une concertation permanente avec les services compétents du ministère des Affaires étrangères et de ses représentations diplomatiques à l'étranger.
Est-ce une tradition de nommer toujours des magistrats à la tête de l'Office?
Vous savez, l'homme ne choisit pas toujours son itinéraire. Il obéit souvent à des contingences qui lui échappent.
La seule chose qui compte pour moi, personnellement, est que cette nomination constitue une marque de confiance de la part de M.le président de la République et mon voeu le plus cher est d'en être digne, à travers ma contribution, à la protection de la société contre le fléau destructeur de la drogue.
Dans cette nouvelle mission, je m'attellerai à mettre au service de cette jeune institution toute mon expérience acquise sur le terrain en tant que magistrat, au contact permanent des fléaux que connaît la société algérienne.


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