Pour aborder l'aspect juridique des crimes commis pendant la période coloniale, nous avons fait appel à M.Azzedine Zalani, un expert juridique qui a longuement travaillé sur la question des crimes de guerre. Il nous a aimablement accordé cet entretien. L'Expression: Comment se pose, du point de vue juridique, la question des crimes coloniaux et particulièrement ceux commis le 8-Mai 45? M.Azzedine Zalani: En Algérie, on assiste régulièrement à des réclamations à caractère politique et non juridique tendant à amener «la France à reconnaître ses crimes». Ces demandes prennent même parfois de simples aspects déclamatoires sans portée réelle...c'est comme si on voulait arriver à de simples aveux symboliques de la part d'un coupable sans s'assurer au préalable des éléments nécessaires à la responsabilité, alors même que le mis en cause est déjà au stade, non seulement de la déculpabilisation, mais enclenche un processus contraire de revendication et de revalorisation de l'action coloniale... Quelles seraient, selon vous, les moyens d'ordre juridique pour atteindre cet objectif? D'abord, qu'une loi soit votée par le Parlement algérien, proclamant préalablement et à l'instar de l'esclavage, que le colonialisme est en soi un crime contre l'humanité. Que les massacres commis pendant cette période constituent des crimes du même genre donc non prescriptibles ni amnistiables. Il faudrait, en second lieu, criminaliser les déclarations tendant à valoriser «les bienfaits de la période coloniale» ou toute négation des crimes commis comme apologie de crimes, punies sur le territoire algérien de peines semblables à celles du négationnisme des crimes nazis ou du nazisme. Des exemples en Europe ou aux Etats-Unis existent en la matière. Cette loi criminalisant le colonialisme en instituant un crime spécifique, celui d'apologie du colonialisme, en obligeant le ministère public à engager automatiquement des poursuites contre toute personne déclarant les bienfaits du colonialisme ou niant les crimes commis à l'instar de ce qui existe dans beaucoup de pays -dont la France- contre ceux qui mettent en cause ou nient le génocide des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Enfin, il faudrait voter un dispositif permettant aux ayants droit, aux associations ayant qualité pour agir et à l'Etat d'engager des poursuites. A ce moment, les tribunaux de la République pourront faire leur travail. En quoi pourrait consister la réparation, selon vous? La réparation peut être d'ordre moral ou matériel ou les deux...Elle doit suivre et non pas précéder l'exercice de l'action publique, c'est-à-dire, des poursuites judiciaires. Mais, encore une fois, seule une loi nationale peut instituer le support juridique des poursuites et les règles de la réparation. La reconnaissance judiciaire d'un crime est déjà un début de réparation. Mais qui voudrait-on qu'il reconnaisse, et quoi et encore moins réparer quoi que ce soit si aucune loi ne considère que ce qui s'est passé est un crime inoubliable et donc pas imprescriptible...? Ces crimes ont été déclarés comme impardonnables. Le sont-ils, selon vous? Quand je dis inoubliable, cela ne veut pas dire nécessairement impardonnable. Les peuples doivent pardonner un jour et se réconcilier toujours...c'est une nécessité historique et géopolitique. Cependant, il ne peut y avoir de pardon basé sur l'oubli et l'impunité. En cette date anniversaire, marquée du sang de ses enfants, l'Algérie se doit d'interpeller la France encore une fois, en cette nouvelle ère qui se dit être une ère «d'humanisme, de démocratie, de pardon, de réconciliation, d'histoire commune et de coopération».